Philosophie contre pandémie : 5 ESSEC pensent la crise
Face à une crise qui dépasse l’entendement, la philosophie peut-elle nous aider à retrouver des repères ? C’est l’approche proposée par plusieurs ESSEC.
Xavier Pavie, professeur à l’ESSEC, le dit simplement : « Quand le monde fait face à une réalité qui le dépasse, quand la vie des êtres humains est en jeu, les questions d’ordre philosophique refont surface. » Parce que le caractère sans précédent de la situation provoque l’étonnement, posture de départ de toute réflexion philosophique ; parce que les failles révélées par la crise nous invitent à repenser nos modèles, comme le fait tout philosophe ; et parce que le bouleversement que nous éprouvons face à cette épreuve éveille chez nous le besoin de repères – à défaut de réponses… – que les grands courants philosophiques peuvent apporter. Xavier Pavie convoque ainsi les enseignements des ermitages de Pétrarque et Thoreau pour supporter l’isolement du confinement, le dilemme du hérisson de Schopenhauer pour résoudre la tension actuelle entre repli sur soi et solidarité, ou encore les exercices spirituels de l’Antiquité pour trouver la sérénité dans un contexte d’incertitude et d’inquiétude. À lire ici.
Loïck Roche (E88), directeur général de Grenoble École de Management, reprend pour sa part une image utilisée par Michel Serres pour rappeler que « nous ne sommes plus au temps de l’Iliade » – c’est-à-dire à une époque où « on pouvait, comme Achille, s’extraire du champ de bataille et se retirer sous sa tente ». Aujourd’hui, « nous sommes tous embarqués ». Conséquence : pour traverser la tempête, il faut, comme le recommande Michel Serres, « respecter ce que, dans la marine du XIXème siècle, on appelait le pacte de courtoisie. » À savoir : « laisser les querelles et les couteaux de côté, pour préférer prendre soin de l’autre. » Une idée que Loïck Roche renforce en citant également Nietzsche : « Navigateurs égarés, nous avons besoin de signaux de feu. » À lire ici.
De son côté, Anne-Sophie Moreau (E10), rédactrice en chef du Philonomist, évoque la quête de sens que la pandémie entraîne chez nombre d’entre nous – notamment chez ceux qui se retrouvent contraints à l’inactivité, leur métier n’étant pas considéré comme « essentiel ». Une sentence « qui nous met face au vertige de notre inutilité », et qui nous confronte au spectre du « bullshit job » conceptualisé par David Graeber, selon lequel « la plupart d’entre nous occuperait des boulots qui ne servent à rien, voire qui sont néfastes à la société ». La journaliste se tourne cependant vers Spinoza pour nous redonner du cœur à l’ouvrage : le but d’un travail n’a pas nécessairement à être « économico-productiviste », il importe surtout qu’il « contribue à augmenter la puissance d’être de chacun », c’est-à-dire qu’il soit « source de joie, et pour soi-même et pour les autres ». À lire ici.
Autre focale, avec un autre penseur : l’avocat Adrien Basdevant (E12), déjà interviewé par ESSEC Alumni sur un sujet proche, se replonge dans les travaux de Michel Foucault pour éclairer le débat sur l’utilisation des technologies de surveillance et de géolocalisation dans le cadre de la lutte contre la pandémie. Rappelant que le philosophe a décrit le basculement, au XVIIIème siècle, du modèle de l’exclusion des lépreux (on rejette le malade en dehors de la cité) à celui de l’inclusion des pestiférés (on met en quarantaine le malade au sein de la cité), le juriste anticipe l’avènement d’un troisième modèle de contrôle des individus, celui « d’une certaine liberté d’aller et venir, en échange d’un traçage et d’une surveillance en temps réel ». Mais en contrepartie de quoi ? Et avec quelles conséquences sur l’organisation des sociétés de demain ? À lire ici.
Enfin, Julien De Sanctis (C13), philosophe en entreprise (auquel ESSEC Alumni a déjà consacré un portrait ici), voit dans le COVID-19 une « puissance existentialiste ». Comprendre : le virus nous met face aux fondamentaux de la condition humaine en nous rappelant brutalement que « nous, êtres prométhéens par excellence, nous restons foncièrement fragiles et dépendants ». Vulnérabilité et collectivité : voilà les caractéristiques essentielles de notre existence, avec lequel nous devons (ré)apprendre à composer. Bonne nouvelle : la première répond à la seconde. « La vulnérabilité est cet inévitable et persistant défaut d’omnipotence qui pousse à la convivialité plutôt qu’au repli ou à l’indifférence. » Autrement dit, la crise que nous vivons constitue une formidable opportunité de renouer avec « l’universalisme » et de « réhabiliter le commun ». Et cela, c’est plutôt une belle perspective ! À lire ici.
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Image : De gauche à droite : Xavie Pavie, Loïck Roche (E88), Anne-Sophie Moreau (E10), Adrien Basdevant (E12) et Julien De Sanctis (C13)
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