Agathe Lemaître (M13) : « Je veux aider les parents d’élèves à lutter contre le harcèlement scolaire »
Suite à un drame familial, Agathe Lemaître (M13) s’engage dans la lutte contre le harcèlement scolaire à l’école, au collège et au lycée. Elle prépare notamment un roman de sensibilisation, La Fille de cristal, que vous pouvez précommander sur Ulule jusqu’au 16 octobre.
ESSEC Alumni : Pourquoi vous impliquez-vous dans la lutte contre le harcèlement scolaire ?
Agathe Lemaître : Ma sœur Liane s'est suicidée après 7 années de harcèlement scolaire. Sur le moment, je n'arrivais pas à y croire. Je ne comprenais pas. Puis j’ai découvert son journal intime dans son appartement de Toulouse. J'y ai lu la description de ce qu'elle avait subi. J’ai alors décidé d’agir, de lutter contre ce poison qui avait tué ma sœur.
EA : Quelle est l’ampleur du harcèlement scolaire en France aujourd’hui ?
A. Lemaître : L'État parle d'un élève sur 10, les associations plutôt d'un élève sur 5 qui, au cours de sa scolarité, subit du harcèlement – c’est-à-dire des violences répétées, qui peuvent être psychologiques, physiques, matérielles ou sexuelles. Ces actes visent à humilier, nuire ou se défouler sur des personnes qui n'ont pas les moyens de se défendre, soit parce qu’elles sont vulnérables (âge moins élevé, handicap, isolement social), soit parce qu’elles ne se sont pas défendues la première fois. À souligner, ceux et celles qui harcèlent sont souvent d'anciennes victimes, ou des personnes qui ont aussi besoin d'aide.
EA : Quels sont les profils des victimes ?
A. Lemaître : Il n’existe malheureusement pas de statistiques à ce jour sur ce sujet.
EA : Le phénomène s’arrête-t-il au primaire et au secondaire, ou touche-t-il aussi les études supérieures ?
A. Lemaître : Au-delà du bac, le harcèlement scolaire reste présent, même s'il perd un peu d'ampleur, toujours selon les associations. On assiste plus à du harcèlement sexuel et à des bizutages.
EA : Quelles sont les conséquences du harcèlement scolaire pour les victimes ?
A. Lemaître : Elles sont nombreuses : phobie scolaire, sociale ; anxiété, dépression, mélancolie ; conduites à risque (alcool, médicaments, drogues) ; isolement, mutisme ; scarification, tentatives de suicide, suicide ; troubles du sommeil, de l'alimentation, TOCs… Et elles peuvent durer pendant des années, même jusqu’à l'âge adulte.
EA : Face à ce constat, vous préparez un livre, La Fille de cristal…
A. Lemaître : La plupart du temps, le harcèlement scolaire est invisible. Impossible à détecter par la famille ou les enseignants, trop compliqué à dénoncer pour les victimes. Résultat, ces dernières se renferment sur elles-mêmes, alors qu’on passe de la petite moquerie aux insultes, puis aux agressions… C'est cet engrenage qui a coûté la vie de ma sœur. Et c’est cette histoire que je veux raconter – d'autant qu’aujourd’hui je suis maman. Avec l'aide de 47 professionnels (enseignants, psychologues, écrivains, journalistes, philosophes…), j’écris un roman à deux voix, qui alterne les mots de ma sœur et les miens pour décrire le quotidien d’une collégienne et expliquer le mécanisme fatal qui mène de paroles blessantes à l’irréparable.
EA : À qui s’adresse cet ouvrage ?
A. Lemaître : Parce qu'il prend le format d'une enquête, ce livre est plus facile à aborder que les témoignages classiques. Il est accessible à tous et toutes, mais il s’adresse en priorité aux parents, pour les aider à repérer les signes du harcèlement, et à comprendre le cheminement, les pensées, la logique, la parcours de ceux et celles qui le subissent.
EA : Au-delà de son contenu, comment comptez-vous utiliser ce livre pour sensibiliser au harcèlement scolaire ?
A. Lemaître : Mon objectif est d’abord de permettre aux parents d’aborder ce sujet avec leurs enfants, en leur racontant l'histoire ou en leur prêtant le livre. Les profits des ventes seront par ailleurs reversés à deux associations qui agissent sur le terrain.
EA : Quels dispositifs existe-t-il aujourd’hui pour lutter contre le harcèlement scolaire ?
A. Lemaître : Si vous êtes victime, vous pouvez appeler le numéro 3020. Sachez en outre que chaque établissement ainsi que le rectorat ont un protocole précis à suivre en cas de dénonciation. Autres ressources : l'application gratuite Bodyguard, qui permet de supprimer les commentaires haineux sur les réseaux sociaux ; les lieux d’accueil comme la Maison de Marion à Paris ; ou encore le tutorat associatif, avec des acteurs comme Les Outsiders à Toulouse par exemple, qui consiste à accompagner victimes et agresseurs pour comprendre comment le harcèlement s'est mis en place et éviter que le problème persiste ou se réitère.
EA : Des outils supplémentaires vous paraissent-ils nécessaires ?
A. Lemaître : Il faut renforcer les efforts de formation du personnel enseignant, et sensibiliser davantage les élèves pour éviter les dynamiques de groupe néfastes.
EA : Comment les alumni peuvent-ils soutenir votre projet – et s’impliquer contre le harcèlement scolaire ?
A. Lemaître : Tout le monde peut agir à son échelle contre le harcèlement : en ouvrant le dialogue, en apprenant à identifier et prévenir les comportements problématiques, en rejoignant une association ou un groupement de parents d’élèves… et en lisant ou offrant La Fille de cristal ainsi qu’en soutenant le projet sur Ulule.
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
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