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COVID-19 : Une ESSEC en Grèce témoigne

Interviews

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06.23.2020

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Bénédicte Parfait-Fleury (E04) salue le bilan de la Grèce dans la lutte contre le COVID-19. Mais redoute les conséquences de l’épidémie sur l’économie du pays, qui commençait à peine à se remettre de 10 ans de crise structurelle. 

ESSEC Alumni : La Grèce était-elle préparée à faire face au COVID-19 ? 

Bénédicte Parfait-Fleury : Le pays se savait dans une situation de grande vulnérabilité face au coronavirus : l’hôpital public grec est exsangue après plus d’une décennie de crise et de coupes budgétaires, et la population est l’une des plus âgées d’Europe, donc l’une des plus vulnérables. Sans parler des camps de migrants surpeuplés : autant de bombes sanitaires potentielles. 

EA : Comment la Grèce a-t-elle géré les premiers mois de l’épidémie ?

B. Parfait-Fleury : Rien n’a été laissé au hasard : les écoles ont fermé alors qu’il y avait moins de 100 cas dans le pays, puis ont suivi les restaurants et hôtels. À peine une semaine plus tard, tous les commerces non-alimentaires étaient fermés, et une quarantaine stricte de 14 jours était imposée à tous les voyageurs arrivant de l’étranger. Enfin, les déplacements hors du domicile ont été limités à 6 raisons bien précises, sur présentation d’un justificatif, sous peine d’une lourde amende. 

En parallèle, des mesures économiques ont été mises en place pour soutenir les entreprises, les commerces, et aussi pour renforcer les capacités hospitalières du pays : 2000 postes ont été ouverts à l’hôpital dès le début de la crise. 

EA : Ces mesures ont été prises très tôt, avant que la gravité de la situation ne l’impose de fait. Comment les autorités les ont-elles fait accepter à la population ? 

B. Parfait-Fleury : Le gouvernement a mis en place une campagne de communication omniprésente sur tous types de média : « #MenoumeSpiti », restons à la maison. Des alertes assourdissantes ont résonné sur tous les téléphones portables du pays. Chaque soir à 18h, l’épidémiologiste à la tête du conseil scientifique national faisait un point en direct à la télévision : nombre de cas, nombre de morts, explication des mesures nécessaires… qui étaient mises en application aussitôt par le gouvernement. 

EA : Quels résultats ces mesures ont-elles permis d’obtenir ?

B. Parfait-Fleury : Aujourd’hui, les Grecs sont fiers d’avoir réussi à aplatir très tôt la fameuse « courbe du coronavirus ». Avec un peu plus de 3200 cas et 190 décès pour 11 millions d’habitants, la Grèce a le meilleur bilan d’Europe dans la lutte contre l’épidémie. Le pays a ainsi pu commencer son déconfinement progressif dès le 4 mai. Le laisser-passer pour sortir de chez soi a disparu et les masques sont devenus obligatoires dans un certain nombre de lieux. Les magasins, les plages, les restaurants ont ouvert par autorisations successives, les lycéens et collégiens ont repris le chemin de l’école, puis les primaires et les crèches depuis le 1er juin, un jour sur deux. 

EA : La Grèce considère-t-elle que l’épidémie est finie sur son territoire ?

B. Parfait-Fleury : La campagne gouvernementale « #MenoumeSpiti » s’est muée en « #MenoumeAsphalis », restons en sécurité, tout aussi visible que la précédente, rappelant que le virus est toujours là et martelant les gestes barrière. Pourtant, ces gestes sont loin d’être systématiquement respectés, et depuis quelques jours, le nombre de cas a recommencé à augmenter, notamment à cause de voyageurs en provenance de l’étranger qui n’ont pas respecté la quatorzaine obligatoire à leur arrivée. 

EA : Quelle a été la réaction des autorités ? 

B. Parfait-Fleury : Le chef du conseil scientifique a immédiatement recommencé ses points journaliers à la télévision, les contrôles se multiplient et de lourdes peines sont appliquées. Début juin, un bar de Mykonos a été puni d’une amende de 20 000 € et fermé pour deux mois pour non-respect des mesures de distanciation. Mais à l’heure où le pays rouvre progressivement ses frontières aux touristes étrangers, l’inquiétude reste vive.

EA : Comment se dessine l’après-crise ?

B. Parfait-Fleury : Au-delà d’une potentielle deuxième vague du virus, la grande interrogation est d’ordre économique. Comme partout, le pays a connu une récession pendant la quarantaine. Mais c’est surtout la saison touristique qui inquiète. Avec 30 millions de visiteurs accueillis chaque année, le tourisme est la première industrie du pays. Or si la Grèce jouit actuellement d’une image de pays « sûr » qui pourrait convaincre certains d’y passer leurs vacances, la saison s’annonce difficile. 

EA : Comment le pays s’organise-t-il pour limiter la casse ? 

B. Parfait-Fleury : Le premier ministre Kyriakos Mitsotakis a lancé officiellement la saison touristique 2020, dimanche 14 juin, devant le célèbre coucher de soleil de Santorin, île star du tourisme où aucun cas de coronavirus n’a encore été enregistré. Son message est simple : « Touristes, la Grèce est prête à vous recevoir en toute sécurité. » La priorité : assurer la sécurité des voyageurs et celle des locaux. Les infrastructures médicales des îles, très limitées en temps normal, sont renforcées ; des règles sanitaires strictes sont mises en place pour les restaurants, les hôtels et toutes les infrastructures touristiques… Quant à la campagne publicitaire « A Greek summer state of mind », elle capitalise sur les valeurs phares du moment : passer du temps avec les gens qu’on aime, retrouver une proximité avec la nature, se sentir libre. 

EA : Que se passerait-il si une seconde vague de contaminations obligeait à de nouvelles restrictions ? 

B. Parfait-Fleury : Dans un pays qui commençait à peine à reprendre son souffle après 10 ans de crise, le spectre d’un nouvel effondrement est dans tous les esprits. Par ailleurs, le problème de l’accueil des migrants reste entier. À titre d’exemple, le camp de Moria sur l’île de Lesbos, d’une capacité de 2 800 places, héberge toujours 20 000 personnes dans des conditions déplorables. Quant aux nouveaux arrivants illégaux, comme si leur situation n’était pas assez difficile, ils sont désormais affligés d’une nouvelle disgrâce : celle d’être potentiellement porteurs du virus. 

EA : Vous-même, comment cette situation vous impacte-t-elle ? 

B. Parfait-Fleury : En tant qu’écrivain (ndr : Bénédicte Parfait-Fleury est notamment l’auteure de la saga Oniria, plus d’infos ici), la crise aurait pu être catastrophique pour moi, comme elle l’est pour beaucoup de mes confrères : annulation des salons, fermeture des librairies, retard de paiement des droits d’auteur versés annuellement par les maisons d’édition… Les auteurs sont le maillon faible de la chaîne du livre et ils paient un très lourd tribut à la crise. De plus, les critères d’éligibilité de nombreuses aides gouvernementales ne sont souvent pas adaptés à nos situations particulières. Heureusement, des associations dont je suis adhérente, comme La Charte des Auteurs et Illustrateurs Jeunesse ou la Société des Gens de Lettres, agissent pour éviter que les auteurs ne soient systématiquement oubliés. 

Pour ma part j’ai la chance d’être dans un entre-deux : je n’ai plus d’action promotionnelle pour mes livres précédents, et je suis en train d’écrire le suivant. Avec l’école à la maison, j’ai pris beaucoup de retard, mais c’est un moindre mal. 

EA : Quid de votre conjoint ?

B. Parfait-Fleury : J’ai la chance d’avoir un conjoint salarié qui n’a pas perdu son emploi. Il a même travaillé beaucoup plus que d’habitude, guidé par deux objectifs : protéger la santé et les emplois des salariés de son entreprise. Le centre d’appels où il travaille a basculé plus de 500 salariés en télétravail en moins de dix jours au début de la crise, un véritable tour de force. Et avec plusieurs entreprises clientes dans le domaine du tourisme lourdement impactées par la crise, il a fallu trouver de nouvelles missions pour éviter les licenciements, dans un pays où le régime de sécurité sociale est moins sécurisant qu’en France. 

EA : Comment envisagez-vous l’avenir en Grèce ?

B. Parfait-Fleury : Comme beaucoup nous ressentons, plus encore qu’avant, une urgence à profiter de chaque instant, de chaque opportunité. Début juin, nous avons eu le privilège de découvrir la merveilleuse île de Santorin sans la horde de touristes qui l’envahit habituellement à cette période de l’année. Quel bonheur ! En nous entendant parler français, les gens s’interrogeaient : mais comment ont-ils fait pour venir ? Même l’hôtesse de l’avion nous a posé la question. Lorsqu’ils comprenaient que nous vivions en Grèce, leurs visages s’éclairaient : les Santorinois étaient sincèrement heureux que nous ayons la chance de visiter leur île dans un tel calme. Un calme, une qualité de vie qu’eux-mêmes n’avaient pas goûté au mois de juin depuis des dizaines d’années. 

À l’instar de ce qui est initié actuellement à Venise, peut-être est-ce l’occasion pour Santorin – et plus largement pour la Grèce – de repenser son modèle économique afin de le rendre moins dépendant du tourisme de masse et plus respectueux de son écosystème et de ses habitants ? En attendant, il va falloir résister. Une chose que les Grecs portent en eux depuis l’Antiquité ! 


Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni

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