Journaliste, essayiste, romancier, storyteller, consultant… Édouard Brasey (E77) multiplie les étiquettes. Ou plutôt s’en affranchit : comme il le résume lui-même, son métier consiste simplement à raconter des histoires. Rencontre.
« Quand j’étais enfant, mes camarades rêvaient de conduire un camion de pompier, de marcher sur la Lune, de devenir Président. Moi, je voulais écrire des livres. » Édouard Brasey est un conteur né – littéralement. Petit, il enregistre des histoires sur le magnétophone de son père, qu’il raconte ensuite à sa famille. À 17 ans, il envoie son premier manuscrit à des éditeurs. « J’ai essuyé des refus et me suis résolu à travailler en entreprise. » Il enchaîne Sciences Po, maîtrise en droit et ESSEC, puis intègre le cabinet d’audit Arthur Young. « J’ai démissionné au bout d’un an. Je ne supportais pas la hiérarchie, les horaires. J’avais besoin de prendre mon indépendance – et de m’exprimer. »
Premières impressions
Édouard Brasey décide de se tourner vers la presse. « Le Figaro Magazine m’a envoyé interviewer la veuve d’un pilote de l’air en me disant que si j’y arrivais, j’aurais prouvé que j’étais journaliste. » Le test est concluant. Édouard Brasey devient pigiste. « Moi qui voulais de la liberté, j’ai été servi. J’ai pu naviguer à vue pendant une dizaine d’années, tout en gagnant correctement ma vie. C’était le début des années 1980, une époque de grande effervescence dans le métier, avec notamment l’émergence des radios libres comme Nova. » S’il lui arrive de prendre la parole à l’antenne, il rédige surtout des articles pour divers magazines économiques, dont L’Expansion et L’Usine nouvelle, et participe avec Patrick Fauconnier (E67) au lancement d’un certain magazine Challenge, qui par la suite mettra son titre au pluriel pour rencontrer le succès que l’on sait.
Édouard Brasey intègre également la rédaction de Lire, alors dirigée par Bernard Pivot. « C’est là que j’ai vraiment appris à écrire. À structurer un propos, mettre en valeur une idée. À faire une accroche, conclure, réduire ou allonger un texte. À éviter les barbarismes et les néologismes. Je me souviens d’un dossier où on conspuait le mot à la mode ‘incontournable’, entré depuis dans les dictionnaires… »
Il interviewe en outre des auteurs confirmés comme Françoise Sagan, Anthony Burgess ou encore Jacques Laurent autour d’un whisky double dans les salons du célèbre hôtel Lutetia. « J’ai fait mon entrée dans le monde de la littérature. »
Une nouvelle page
Peu à peu, Édouard Brasey glisse vers l’édition, en commençant par publier des livres d’investigation – « notamment une enquête sur les jeux d’argent et de hasard que la Française des Jeux a moyennement appréciée… ».
Puis le rêve d’enfance devient réalité avec la sortie d’un premier roman. « À partir de là, j’ai construit ma carrière d’auteur en alternant fiction et documents. » Il lâche cependant l’investigation, qui exige d’être en permanence sur le terrain, pour se consacrer à la recherche, seul dans son bureau. « Je m’intéresse particulièrement à l’étude des légendes, des mythologies. » Sa curiosité n’ayant d’égal que son imagination, il alterne sagas fantastiques et contes merveilleux, polars historiques et thrillers contemporains, essais ésotériques et sagas familiales et régionales, produisant assez d’ouvrages pour vivre exclusivement de sa plume, d’autant plus que la plupart des 80 ouvrages dont il est l’auteur sont réédités par le club de lecture France Loisirs ou traduits en anglais, en italien, en espagnol, en portugais, et même en russe et en japonais. « J’ai la chance d’être rapide. Je n’écris pas au kilomètre pour corriger ensuite ; j’élabore la phrase dans ma pensée avant de la coucher sur le papier. J’ai comme modèle Stendhal plutôt que Flaubert – sur la technique s’entend. Flaubert retravaillait énormément ses textes ; il les raturait, les déclamait dans son « gueuloir ». Stendhal, lui, a dicté La Chartreuse de Parmes en 15 jours. »
Il prévoit ainsi de publier deux livres dans l’année – La Ferme aux maléfices en avril aux Éditions de Borée, où il est également conseiller éditorial, puis un thriller à l'automne, sous le pseudonyme de James Barnaby. « Pas pour me cacher, mais pour me libérer. Les maisons d’édition aiment les étiquettes. Elles ne comprennent pas qu’un auteur puisse naviguer d’un genre à l’autre. Endosser une fausse identité me permet d’aller là où on ne m’attend pas. En 2016, j’ai même publié un récit non signé sur le thème des Anonymous. À mon grand étonnement, il a très bien marché. Ceci démontre que le texte reste plus important que l’auteur, contrairement à ce que laisse penser le star-system actuel. »
Le sens de l’histoire
Inclassable, insaisissable, Édouard Brasey ? « Il n’y en a pas moins un fil rouge dans mon parcours : je suis un raconteur d’histoires. Que celles-ci soient réelles ou non, le principe, les procédés sont les mêmes. La langue américaine a un nom pour ça : le storytelling. » Un métier qu’il exerce désormais jusque dans le monde de l’entreprise, en tant que formateur et consultant associé de l’agence parisienne Letraining. « Le principe est d’appliquer les règles de la narration à la stratégie de communication. Construire une véritable histoire mettant en scène l’entreprise ou son dirigeant pour instaurer ou valoriser une identité de marque. »
Édouard Brasey entraîne par ailleurs des dirigeants à la prise de parole en public, là aussi en s’inspirant de son expérience. « J’ai suivi des formations de comédien, de comedia dell’arte et de conteur. Je me suis confronté à la scène, au public. C’est un enseignement que je recommande à tous les élèves d’écoles de management. Divertir une audience et animer une équipe réclament une approche similaire. Il faut sentir son interlocuteur et ajuster en conséquence la manière dont on s’adresse à lui. »
Ligne de vie
Si le travail d’auteur nourrit celui de consultant et de formateur, l’inverse est aussi vrai. « Avoir plusieurs cordes à mon arc libère mon écriture. D’une part parce que je puise de la matière dans mes activités annexes. D’autre part parce que je suis soumis à une moindre contrainte financière que la plupart de mes confrères. » Car dans ce secteur comme dans tant d’autres, on assiste à une polarisation entre une minorité d’élus et une majorité de laissés pour compte. « L’écart se creuse entre les auteurs qui écoulent des millions d’exemplaires, comme Marc Lévy ou Guillaume Musso, et ceux qui, malgré leur talent, plafonnent péniblement à quelques centaines d’exemplaires, et doivent prendre un job alimentaire pour s’en sortir. » Avec sa double casquette, Édouard Brasey a trouvé un équilibre enviable – quoique fragile. « Je suis condamné à écrire jusqu’à la fin de ma vie… Car la retraite d’artiste est misérable. J’ai intérêt à garder de bonnes capacités mentales avec l’âge, comme Jean d’Ormesson ! Heureusement, le travail quotidien de la langue entretient la jeunesse de l’esprit… » Somme toute, Édouard Brasey se sent privilégié. « J’ai la chance de me consacrer entièrement à ma passion, et de la partager. Cela justifie tous les sacrifices. »
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E11)
Les Fils du patriarche, roman, Calmann-Lévy
Le Domaine des oliviers, roman, Calmann-Lévy et France Loisirs
Anonymous (sans nom d’auteur), roman, Pygmalion et France Loisirs
Le Dernier pape, roman, Télémaque et France Loisirs
Les Lavandières de Brocéliande, roman, Calmann-Lévy et France Loisirs
La Malédiction de l’anneau, trilogie romanesque, Belfond et France Loisirs
La Grande Encyclopédie du merveilleux, encyclopédie, Le Pré aux Clercs et France Loisirs
La Grande Bible des fées, encyclopédie, Le Pré aux Clercs et France Loisirs
En savoir plus :
www.edouardbrasey.com
www.letraining.fr
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