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Messe du souvenir 19 novembre 2022 - ESSEC Alumni

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Spiritualité

11.21.2022

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Sg 1, 13-15 ; 2, 23-24 ; Ps 143(144) ; Ap 11, 4-12 ; Lc 20, 27-40

Eglise Saint-Germain-des-Prés (Paris)

Samedi 19 novembre 2022

 

Abbé Sébastien Thomas

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Chers frères et sœurs, 

Célébrer une Messe du souvenir n’est pas un acte anodin. Nous sommes certainement venus dans cette église pour des raisons très diverses, mais ce que nous faisons en ce moment dit quelque chose d’important sur notre relation à la vie et à la mort – si du moins nous y accordons quelque importance. Dans le 2e livre des Martyrs d’Israël, il est écrit qu’après une bataille où beaucoup d’hommes avaient trouvé la mort, « (Judas Macchabée) organisa une collecte auprès de chacun et envoya deux mille pièces d’argent à Jérusalem afin d’offrir un sacrifice pour le péché. » Et le livre se poursuit : « C’était un fort beau geste, plein de délicatesse, inspiré par la pensée de la résurrection. Car, s’il n’avait pas espéré que ceux qui avaient succombé ressusciteraient, la prière pour les morts était superflue et absurde. » (2M 12, 43-44) 

Judas Maccabée est mort en 160 avant notre ère. C’est dire qu’avant même la mort et la résurrection de Jésus-Christ que nous célébrons à chaque messe, la « pensée de la résurrection » existait déjà. Il est beau de voir que la liturgie de l’Église nous accompagne chaque jour, et que les lectures qu’elle nous propose aujourd’hui nous aident à mieux approfondir cette question.

 

  1. Les lectures du jour

La résurrection des morts était l’objet de débats pendant la vie publique de Jésus, notamment entre les Pharisiens qui croyaient à la résurrection et les Saducéens qui n’y croyaient pas. L’Évangile que nous venons d’entendre fait état de ce débat : les Saducéens présentent un cas très concret – quoique volontairement excessif – à Jésus. Leur perfidie va jusqu’à admettre la résurrection pour montrer par l’absurde qu’elle n’est pas possible : « Eh bien, à la résurrection, cette femme-là, duquel d’entre eux sera-t-elle l’épouse, puisque les sept l’ont eue pour épouse ? »

Jésus ne répond pas à cette question, car elle n’a aucun sens, mais il se réfère à Moïse, la plus haute autorité du Premier Testament : « Que les morts ressuscitent, Moïse lui-même le fait comprendre dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur le Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob. Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. Tous, en effet, vivent pour lui. »

 

Cette question, disions-nous, n’a aucun sens, car comme le dit clairement la 1ère lecture de ce jour, « Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants. » On se souvient que dans le deuxième chapitre du livre de la Genèse, « Le Seigneur Dieu donna à l’homme cet ordre : ‘‘Tu peux manger les fruits de tous les arbres du jardin ; mais l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu n’en mangeras pas ; car, le jour où tu en mangeras, tu mourras.’’ » (Gn 2, 16-17) On peut ainsi voir dans la désobéissance de l’homme l’origine de la mort. La mort n’était donc pas dans le plan de la Création. Ainsi, le livre de la Sagesse peut-il conclure : « C’est par la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde ; ils en font l’expérience, ceux qui prennent parti pour lui. » 

C’est d’ailleurs ce que confirme le dernier livre de la Bible, le livre de l’Apocalypse. Dans la deuxième lecture que nous avons entendue à l’instant, les deux témoins sont tués par la Bête, et leurs cadavres restent sur la place de la grande ville, pendant trois jours et demi,
« mais, après ces trois jours et demi, un souffle de vie venu de Dieu entra en eux : ils se dressèrent sur leurs pieds, et une grande crainte tomba sur ceux qui les regardaient. Alors les deux témoins entendirent une voix forte venant du ciel, qui leur disait : ‘‘Montez jusqu’ici !’’ Et ils montèrent au ciel dans la nuée, sous le regard de leurs ennemis. » Ils sont appelés dans la vie nouvelle, la vie véritable du ciel qui est l’intimité de Dieu.

 

  1. La foi dans la vie éternelle

Pourtant, les apparences s’opposent à ce que nous venons de dire. Qu’on pense évidemment à la guerre qui fait rage en Éthiopie, au Mozambique, au Cameroun, en Ukraine ou en Arménie, qu’on pense aux révélations récentes sur les abus, dans l’Église ou ailleurs, ou qu’on pense aux inquiétudes de nos contemporains quant à l’avenir de notre civilisation, aux difficultés économiques et sociales qui s’annoncent… la souffrance et la mort semblent avoir partout le dernier mot. Nous sommes parfois tentés de désespérer de ce monde où le mal fait plus de bruit que le bien. 

 

Pourtant, il est bon de revenir sans cesse à l’Écriture qui nous rappelle la vérité de ce monde : « Dieu n’a pas fait la mort. » Et c’est sur ce point précis que la foi change tout. Un grand théologien du milieu du XXe siècle, Romano Guardini, a exprimé cela de façon lumineuse, en disant ce que l’Évangile du Christ change à notre vie de croyants : 

Nous sommes prêts à apprendre (que le Christ) ne veut pas perfectionner le monde avec les soi-disant valeurs ou énergies plus nobles et plus intérieures, mais qu’une nouvelle forme d’existence commence avec lui. Nous réalisons ce changement d’axe qui s’appelle foi et qui, au lieu de penser le Christ en fonction du monde, fait penser le monde et toutes choses en fonction du Christ. Alors nous ne dirons plus : dans le monde on ne voit pas de mort ressusciter à la vie, donc le message de la Résurrection est un mythe, mais nous dirons : le Christ est ressuscité, donc la Résurrection est le fondement du monde véritable[1]

 

Reconnaître que la résurrection est le fondement du monde véritable, c’est en somme reconnaître ce qui est écrit dans la Bible, de la Genèse à l’Apocalypse : « Dieu n’a pas fait la mort. » C’est ainsi que le Pape François pouvait dire dans une catéchèse récente : « Si nous restons dans la relation avec (le Christ), la vie ne nous épargne pas les souffrances, mais elle s’ouvre à un grand horizon de bien et se met en marche vers son accomplissement[2]. »

Ce grand horizon de bien, cet accomplissement, c’est précisément ce que nous célébrons aujourd’hui, dans la Messe du souvenir. Et lorsque nous faisons mémoire de nos anciens, décédés récemment ou il y a longtemps, c’est pour reconnaître ce qui perdure de leur action jusqu’aujourd’hui, et aussi pour prier pour eux, dans la perspective de ce grand horizon de la vie nouvelle. Car, si nous n’espérions pas que ceux qui avaient succombé ressusciteraient, comme nous le disions au début de cette homélie, la prière pour les morts serait superflue et absurde.

 

  1. Conséquence pour notre vie

Mais allons un peu plus loin, ou plutôt plus près de nous. Qu’est-ce que ce changement d’axe, cette foi en la résurrection, peut changer dans notre vie présente ? Qu’est-ce qu’un étudiant ou un diplômé de l’Essec qui croit en la vie éternelle a de différent d’un autre étudiant ou d’un autre diplômé ? En termes théologiques, nous pouvons parler d’espérance. En termes profanes, il s’agit au moins de persévérance.

Le Catéchisme de l’Église catholique enseigne que « l’espérance est la vertu théologale par laquelle nous désirons comme notre bonheur le Royaume des cieux et la Vie éternelle, en mettant notre confiance dans les promesses du Christ et en prenant appui, non sur nos forces, mais sur le secours de la grâce du Saint-Esprit. » (n° 1817) Cela implique deux choses : la première, c’est ce grand horizon de bien dont parlait le Pape François qui donne à toute chose une perspective différente. Voir une guerre ou une épidémie à la lumière du Royaume de Dieu, c’est accepter que le mal n’ait pas le dernier mot. La seconde chose qu’implique l’espérance, c’est de s’appuyer non sur nos forces, mais sur le secours de la grâce de Dieu. « Prie comme si tout dépendait de Dieu, agis comme si tout dépendait de toi[3] », écrit saint Ignace de Loyola, fondateur de l’ordre des Jésuites à qui notre école doit tant. Associer la prière et l’action dans toutes les dimensions de notre existence peut vraiment changer notre vie et notre façon d’appréhender les obstacles, même lorsque ceux-ci nous semblent être des murs insurmontables ou des fossés infranchissables.

 

D’un point de vue profane, car nous qui sommes réunis dans cette église aujourd’hui ne croyons peut-être pas tous en Dieu, parlons en termes de persévérance. Comme le proclamait le psaume, celui qui croit peut marcher et construire malgré les difficultés, il sait que Dieu est, au cœur de la bataille, « (son) allié, (sa) forteresse, (sa) citadelle, celui qui (le) libère, le bouclier qui (l)’abrite. » Parce qu’il voit au-delà du fossé, il ne perd jamais de vue l’horizon. 

Voici ce que le Pape Benoît XVI demandait pour nous à l’occasion de la Messe du Centenaire de l’Essec, le 1er décembre 2007 – nous sommes sans doute nombreux à avoir assisté à cette messe, il y a quinze ans déjà : 

(Le Saint-Père) demande au Seigneur d’aider (les étudiants et les anciens de l’Essec) à poursuivre leur action en demeurant fidèles aux valeurs fondatrices de l’Établissement, en sachant conjuguer l’humanisme et l’ouverture spirituelle à la transcendance, l’excellence et le souci des plus humbles, l’esprit d’innovation et le sens de la responsabilité, l’accueil de la diversité et le goût de ce qui rassemble les hommes[4]

Oui, chers frères et sœurs, que nous soyons diplômés– parfois depuis fort longtemps – ou que nous soyons aujourd’hui étudiants à l'ESSEC, poursuivons l’action de nos fondateurs et de nos grands anciens. Une immense majorité d’entre eux étaient nourris de la foi que la résurrection est le fondement du monde véritable. C’est au nom de cette foi qu’ils ont construit l'ESSEC et qu’ils en ont fait ce qu’elle est aujourd’hui. 

Vous, les diplômés qui exercez une influence certaine sur la marche du monde contemporain, demeurez fidèles aux valeurs fondatrices de notre école. 

Et vous, les étudiants actuels, qui recevez cet héritage précieux, poursuivez cette construction en gardant les yeux fixés sur ce grand horizon de bien qu’est le royaume des cieux.

Prions les uns pour les autres, pour que le Christ ouvre nos yeux sur le monde véritable, celui que le Père a créé et à qui Il donne son Esprit-Saint pour qu’advienne son Royaume, car il est Dieu, pour les siècles des siècles.

Amen.


[1] Le Seigneur (II), p. 120.

[2] Catéchèse du 14 octobre 2020.

[3] cf. Pedro de Ribadeneira, La vie de saint Ignace de Loyola.

[4] Message du Secrétaire d’État du Pape Benoît XVI à l’occasion de la Messe du Centenaire de l’Essec, le 1er décembre 2007.

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