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Paul Salvanès (E07), auteur : « Je voulais parler de l’humanitaire en tenant le lecteur en haleine… et en alerte »

Interviews

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03.13.2018

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Après 10 ans dans l’humanitaire, Paul Salvanès (E07) publie La Haine qu’il faut, polar sur fond de conflit au Darfour et en République Démocratique du Congo. Une histoire sombre, inspirée de sa propre expérience. 

ESSEC Alumni : Que raconte La Haine qu'il faut

Paul Salvanès : La Haine qu'il faut est un roman noir qui a pour théâtre l'aide humanitaire d'urgence. L'intrigue se déroule au cœur des conflits du Darfour et de l'est de la République Démocratique du Congo (RDC), dans les années 2010. On y suit le périple initiatique de Bosco, jeune travailleur humanitaire français vite confronté aux dilemmes de son nouveau métier, notamment quand d'autres expatriés sont mystérieusement assassinés autour de lui. Alors que, pour les autres, la mort fait partie des risques assumés, lui décide de mener discrètement son enquête. Évidemment, ça ne va pas bien se passer. 

EA : Pourquoi avoir fait le choix du roman noir ? Et de ce sujet en particulier ?

P. Salvanès : J'ai travaillé 10 ans dans l'humanitaire d'urgence. Cette expérience m'a mené de l'Afrique à l'Asie, en passant par le Moyen Orient, sur des guerres civiles ou des catastrophes naturelles. Dix ans, ça fait des histoires à raconter !
D’autant que l'humanitaire, c'est de la matière romanesque quasiment infinie. Il y a évidemment le danger auquel on est confronté, indirectement et même directement puisque les ONG sont de plus en plus des cibles. Il y a la nécessité de s’adapter en permanence à des environnements volatiles et hostiles. Il y a des remises en question philosophiques et éthiques au quotidien. Il y a toute une galaxie de personnages qu'on croise au gré des missions – réfugiés, déplacés, militaires, forces spéciales, commandants rebelles, enfants soldats, mais aussi grands reporters et chercheurs universitaires.

EA : Et que dire des humanitaires eux-mêmes ! 

P. Salvanès : Ils viennent des quatre coins du monde, chacun avec ses valeurs, son vécu, son approche… L'aide internationale est une industrie qui pèse des dizaines de milliards annuels, qui emploie des centaines de milliers de personnes dans des centaines de pays. C'est un monde qui a profondément changé depuis les débuts du « sans frontiérisme » à la fin des années 1960. Aujourd'hui, plusieurs générations d'humanitaires se mélangent. Le cocktail est souvent bon, parfois il est explosif. Tout cela permet de tirer les trames narratives d'une intrigue, et de la faire rebondir. 
Et puis, l'humanitaire est le meilleur endroit pour commettre le meurtre parfait ! Justement parce que c'est un métier dangereux. Les humanitaires paient chaque année un lourd tribu pour se porter au secours de populations en détresse. Depuis ma première mission, en 2007, plus de mille d'entre eux ont été assassinés, sans parler des blessés, des kidnappés, des traumatisés… Et les terrains sont par définition ceux d'États défaillants : il n'y a pas toujours de services de sécurité dignes de ce nom, la justice est bien souvent populaire. Que nous apprennent les récents scandales sur le recours à la prostitution par certains humanitaires ? Qu'il est très difficile de savoir, et de contrôler ce qu'il se passe dans le secret du terrain, d'autant plus avec le turnover incessant des équipes. 
Je voulais parler de tout cela – mais au carnet de route, j'ai préféré la construction d'une intrigue un peu sombre qui permette, je l'espère, de tenir le lecteur en haleine, et en alerte. 

EA : Ce texte s'inspire-t-il directement de choses vécues ?

P. Salvanès : Bien sûr. Il paraît qu'on n'écrit jamais loin de soi, d'autant plus pour un premier roman ! Le Darfour et l'est de la RDC sont des régions que je connais, pour y avoir travaillé plusieurs années. J'ai eu mon lot d'aventures, dont certaines se retrouvent d'une façon ou d'une autre dans ce texte, mais je me suis aussi inspiré des histoires qu'on se raconte entre nous, celles de la génération des Balkans, du Rwanda… Le reste est imaginé à partir du champ des possibles de l’humanitaire, et il est vaste. L'intrigue en elle-même est cependant une pure fiction, et heureusement ! 

 

Image - 2018 03 13 - Paul Salvanès 2.jpg

© Constance Decorde

 

EA : Avez-vous souhaité faire passer un message politique ? Lequel ?

P. Salvanès : Je voulais que les travailleurs humanitaires de ma génération puissent se retrouver dans le périple de Bosco et de ses amis, et à la fois rester accessible à des lectrices et lecteurs qui ne connaissent rien de ce milieu. Pour ceux qu'il fascine comme pour ceux qu'il agace, c'est aussi une plongée dans l'humanitaire du 21ème siècle, professionnel, industriel, bureaucratisé, avec de l'engagement, du sacrifice mais aussi du cynisme, du sexe, de la drogue et des gros sous. 
Donc pas de message politique autre que celui de la complexité, chère à notre nouveau Président… Le parcours de Bosco est celui d'une confrontation à une réalité. Il est en cela parallèle à celui de tout jeune professionnel qui découvre un métier. Quand on débarque en banque d'affaires après l'ESSEC, on comprend vite que c'est différent de ce à quoi on s'attendait. Idem pour ceux qui s'engagent en politique. Certains le vivent bien, s'adaptent, trouvent de nouveaux moteurs. D'autres partent en courant. De ce point de vue, l'humanitaire ne fait pas exception.

EA : En fait, ce qui vous intéresse, ce sont les logiques organisationnelles et les interactions entre individus et systèmes… 

P. Salvanès : Tout à fait. Aujourd'hui, à force de gigantisme, l'humanitaire se déconnecte progressivement des populations, qui sont pourtant sa raison d'être. Ce n'est évidemment pas intentionnel. Cela s’est fait à l'aune d'une professionnalisation qui était nécessaire, et qui a poussé à l'harmonisation des profils recrutés, à la création d’incitations financières, à l’adoption de logiques de carrière pour ce qui était auparavant une vocation. En soi, rien de mal ! Mais cela favorise de fait une uniformisation qui est aussi parfois un nivellement par le bas, avec une prime au reporting et à la communication, très loin des préoccupations immédiates des victimes.
Encore une fois, le parallèle me semble pertinent avec la politique, dont les hommes et les femmes n'ont jamais paru aussi éloignés de leurs électeurs. Ou avec le secteur privé, dont certains acteurs favorisent outrageusement quelques gros actionnaires au détriment de leurs clients finaux, ou de leurs employés. J'ai mis en exergue de La Haine qu’il faut une citation de Paul Virilio : « L'invention du navire est aussi l'invention du naufrage ». Comme si, quoi qu'elle fasse, l'humanité est condamnée à se planter, car toutes ses bonnes idées génèrent leurs propres effets pervers. Pour moi, ces effets d'entropie qui font glisser les organisations loin de leurs raisons d'être initiales sont une source perpétuelle de fascination, et de perplexité. 

EA : La Haine qu'il faut est votre premier roman. Comment vous êtes-vous imposé en tant qu’écrivain ? 

P. Salvanès : Je n'avais jamais écrit, à part quelques articles. Jusque là, je tirais de mes lectures une proximité avec les mots, mais surtout un complexe. Face à certains auteurs, récents ou non, la tâche semble immense…
Au final, je me suis simplement lancé ce défi, lors de ma dernière mission avec le Comité international de la Croix Rouge, dans l'est de la RDC, en 2015. Je vivais dans une petite ville sur les rives du lac Tanganyika, la vie sociale n'était pas exactement exubérante. J'ai avancé et j'ai finalisé à mon retour en France, un an plus tard.
J'ai évidemment reçu l'aide de proches, pour les relectures, et les conseils précieux de Benjamin Cornet (E07), camarade de promo qui a monté la librairie Les Mots et les Choses à Boulogne. Pour l'éditeur, j'ai suivi le chemin classique, j'ai envoyé des manuscrits et j'ai eu de la chance : j'ai rencontré Damien Serieyx des Éditions du Toucan et de l'Artilleur, auquel le texte a parlé. 

EA : Avez-vous d'autres projets d'écriture en vue ?

Aujourd'hui, je réorganise une vie en France après dix années d'expatriation, cela prend du temps. Je donne des formations en négociation et gestion de conflit, je suis aussi juge à la Cour Nationale du Droit d'Asile. Du coup, la suite de La haine qu'il faut reste dans ma tête et sur quelques bouts de papier. L'essentiel de mon temps d’écriture est désormais consacré à un projet journalistique et entrepreneurial, « le Continent », média européen que je suis en train de monter.

 

Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E11)

 



Illustration : © Constance Decorde

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