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Pierre-Arthur Chatard (E11) : « Mon burn-out m’a poussé à reprendre le contrôle de ma vie »

Interviews

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11.03.2020

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Victime d’un burn-out en 2018, Pierre-Arthur Chatard (E11) témoigne de son expérience pour sensibiliser notre communauté, et pour donner un message d’espoir : cette épreuve peut s’avérer bénéfique quand vous arrivez à la surmonter.

ESSEC Alumni : Comment en êtes-vous arrivé au burn-out ? 

Pierre-Arthur Chatard : Mon burn-out a été le produit d’un rythme de travail extrême – de 16 à 20 heures chaque jour, week-end et vacances compris – et d’un conflit de valeurs – dans mon milieu, il était d’usage de construire sa vie professionnelle au détriment de sa vie personnelle, alors que mon besoin était tout autre. Paradoxalement, cela m’a conduit à me plonger dans mon activité plus encore pour éviter de regarder en face le vide que je ressentais ; l’important n’était plus d’être efficace mais d’être occupé, quitte à m’isoler socialement et à mettre ma santé en danger. Un cercle vicieux nourri par une culture d’entreprise poussant au sacrifice pour gravir les échelons. Un médecin du travail consulté à l’époque m’a confié que lorsqu’il demandait à mes collaborateurs comment ils allaient, 40 % d’entre eux s'effondraient en pleurs… Moi aussi, j’ai fini par atteindre le point de rupture.

EA : Comment s’est manifesté votre burn-out ? 

P.-A. Chatard : Un mardi, mon esprit s’est soudainement embrumé. Tel un randonneur perdu à cause du brouillard, j’ai passé une journée à essayer de comprendre des réunions et déchiffrer mes notes. Sur le chemin du retour à la maison avec mon scooter, j’ai évité de justesse un camion. Totalement épuisé, j’ai consulté le médecin de famille qui m’a immédiatement arrêté. Pendant 2 mois, j’ai eu des pertes de mémoire, une incapacité à me concentrer plus de 20 minutes, des insomnies, une perte de l’appétit et une terrible angoisse face à tout cela. Je me souviens aussi avoir essayé de relire les livres de mon enfance : j’ai arrêté après les 2 premières pages des Lettres de mon Moulin, incapable de comprendre ce que je lisais. En revanche je n’ai pas fait de dépression, bien que cela aille souvent de pair avec un burn-out.

EA : Quelles mesures avez-vous prises pour vous rétablir ?

P.-A. Chatard : J’ai été pris en charge par des professionnels de santé exceptionnels, et formidablement soutenu par ma femme, notre petite fille de 2 ans, ma famille et mes amis. Le reconstruction s’est déroulée en trois étapes, sur une durée de 6 mois. D’abord, un repos total, ponctué de deux retraites de 10 jours seul en Provence, avec 3 heures de marche par jour en pleine nature. Il s’agissait de revenir à des choses simples et apaisantes, de mettre à distance ce qui venait de m’arriver et d’accepter ma vulnérabilité. Ensuite, je suis entré dans une phase d’analyse, avec des spécialistes du burn-out, qui m’ont aidé à identifier mes aspirations et à suivre mes intuitions, à retrouver confiance en moi et à renoncer au culte de la performance. À l’issue de ce processus, j’ai pu amorcer ma « renaissance » et construire un nouvel équilibre, avec le soutien notamment des coachs d’ESSEC Alumni et du programme Switch Collective, créé par Clara Delétraz (E09).

EA : Quels changements avez-vous opérés après votre burn-out ? 

P.-A. Chatard : J’ai réalisé mon besoin de vivre plusieurs vies professionnelles en parallèle. 3 jours par semaine, j’aide des entreprises de toutes tailles à définir et exécuter leur plan développement et à réduire la complexité de leurs opérations. Une demi-journée par semaine, j’aide des dirigeants de tous horizons à mettre en valeur leurs parcours pour des entretiens de recrutement. Et encore une demi-journée par semaine, je fais de l’enseignement et du tutorat de projets entrepreneuriaux. Cette nouvelle organisation me permet de choisir les missions et les personnes avec lesquelles je travaille, et d’imprimer mon style dans le respect de mes valeurs. Par exemple, lorsque j’interviens dans des situations complexes de transformation et de restructuration, j’apporte naturellement une attention particulière au bien être des équipes.

EA : Et sur le plan personnel ?

P.-A. Chatard : Mon nouvel équilibre professionnel m’offre de nombreux temps de respiration. Les mercredis par exemple, je vais chercher nos enfants à l’école, puis nous déjeunons et passons l’après-midi ensemble. Une fois par trimestre, j’accorde du temps à un projet personnel : je viens ainsi de finir le GR20 en Corse avec un des mes mentors et amis, ancien commando de la Marine et serial entrepreneur. Il me guide dans le développement de mon cabinet, et m’ouvre sur d’autres façons de voir le monde que le prisme des grandes écoles. Pour 2021, j’ai trois projets : une semaine de jeûne, un séminaire de communication non violente et 10 jours de déconnexion avec mon père à l’occasion de ses 70 ans. 

EA : Quels garde-fous avez-vous mis en place pour ne plus risquer le burn-out ?

P.-A. Chatard : Je sonde mon état de fatigue régulièrement. Dès que je sens que je franchis certains seuils d’alerte que j’ai appris à connaître, je lève le pied. La construction de ce nouvel équilibre a été guidée par une phrase de Nicolas Hayek, créateur de Swatch et décédé brutalement en 2010, au moment où je sortais de l’ESSEC : « J'ai bu la vie comme un assoiffé et je peux vous dire qu'elle a un goût sensationnel. »

EA : Avec le recul, diriez-vous que le burn-out peut arriver à n’importe qui, n’importe où, n’importe quand ? 

P.-A. Chatard : Le burn-out est à mon sens la rencontre d’une offre et d’une demande. D’un côté, des profils de bons élèves qui ne s’écoutent pas, n’ont pas conscience de leurs limites ni de leurs désirs, et se laissent embarquer. De l’autre côté, des organisations peu sensibilisées au burn-out, et qui peuvent manquer de courage lorsqu’il s’agit de remettre en question leur mode de fonctionnement et la gestion humaine de leurs effectifs. 

EA : Avez-vous échangé avec d’autres victimes de burn-out ? 

P.-A. Chatard : Lorsque cela m’est arrivé, je n’ai pas eu l’énergie d’en parler au-delà d’un cercle proche. Mais aujourd’hui je suis prêt à partager cette expérience avec d’autres victimes. Je suis convaincu qu’il y a de nombreux enseignements communs à tirer de ce type d’échanges, qui pourraient servir de garde-fous et de bonnes pratiques tant pour les collaborateurs que pour les entreprises.

EA : Quels conseils pouvez-vous donner aux ESSEC face au burn-out ?

P.-A. Chatard : D’abord, sachez vous arrêter à temps et demander de l’aide. Ensuite, apprenez à vous connaître, à identifier les piliers de votre équilibre, à dire non, à vaincre vos peurs. Vous serez probablement amenés à suivre une nouvelle voie : n’hésitez pas, engagez-vous sur les chemins d’une vie plus authentique. Plus que jamais, la tradition humaniste de l’ESSEC doit vous y encourager ! Les grandes écoles devraient d’ailleurs sensibiliser beaucoup plus leurs élèves à ce sujet, et leur apprendre dès leurs études à formuler leurs attentes vis-à-vis du monde du travail pour leur éviter de graves déconvenues.


Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni

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