Blandine Cain (M04) : « Mon livre répond à 80 % des problématiques des entrepreneurs »
Blandine Cain (M04) a récemment publié Prêt à entreprendre ? Suivez le guide ! Un ouvrage concret et pratique, mêlant outils et témoignages, qu’elle aurait aimé pouvoir lire quand elle-même lançait son activité.
ESSEC Alumni : Quelle expérience de l’entrepreneuriat avez-vous ?
Blandine Cain : Mes deux parents sont entrepreneurs, j’ai opté pour une spécialisation en entrepreneuriat durant mes études, je me suis mariée à un entrepreneur et nombre de mes amis étaient entrepreneurs avant que je le devienne moi-même ! Après une expérience d’une douzaine d’années en cabinet de conseil et au sein de grandes entreprises en tant que cheffe de projet, j’ai créé ma première entreprise à 33 ans quand il m’est apparu que j’avais besoin à la fois de plus d’indépendance et d’un métier plus ancré dans mon territoire, dont je puisse mesurer l’impact. J’ai ainsi imaginé l’un des premiers espaces de coworking en zone rurale, Le 50 Coworking, qui s’est ensuite diversifié dans des activités de séminaires et de bien-être. En parallèle, j’ai développé une offre d’accompagnement pour les porteurs de projets de tiers-lieux, en gestion de projet, modélisation économique et gestion courante. Puis j’ai décidé de quitter ma région et donc revendu l’espace de coworking, tout en poursuivant mon activité de conseil et de formation sous la marque Esprits Singuliers, en élargissant ma clientèle à tous les porteurs de projet d’activités tertiaires ou artisanales et aux entrepreneurs déjà établis, confrontés à des difficultés ou à la nécessité d’un pivot stratégique.
EA : Pourquoi publier un ouvrage à partir de ces expériences ?
B. Cain : Au fil de mes échanges avec d’autres entrepreneurs, je me suis rendu compte que nous partagions certaines interrogations quel que soit le projet, et que nous faisions les mêmes erreurs et tombions dans les mêmes pièges, faute d’avoir été mis en garde en amont. Par ailleurs j’avais lu plusieurs ouvrages au moment de me lancer et j’avais été déçue d’y trouver soit de longues listes d’organismes ou d’options juridiques qui me laissaient perplexe, soit des témoignages dressant un portrait partial et subjectif de l’entrepreneuriat, aux antipodes de ce que je vivais au quotidien. J’ai donc eu envie de produire un support différent, pratique et directement applicable, quels que soient le métier ou l’ambition, qui fasse gagner du temps, de l’énergie et de l’argent.
EA : Que contient votre ouvrage ?
B. Cain : Ce guide propose des outils, des solutions et des conseils concrets permettant d’avancer de manière autonome mais avec une boussole. Il est disponible en deux versions : la version synthétique, qui se focalise sur la méthode, et la version enrichie qui intègre les témoignages de 26 entrepreneuses et entrepreneurs.
EA : Quels principaux outils et conseils donnez-vous ?
B. Cain : Les outils et conseils que je partage respectent trois critères. Primo : faire preuve de bon sens ; le temps est compté, il faut le consacrer à des tâches réellement utiles, d’autant plus quand celles-ci ne relèvent pas de notre cœur de métier. Deuxio : répondre aux besoins du plus grand nombre et être faciles à prendre en main et à personnaliser. Tertio : être aussi pertinents dans l’étape de conception que dans la gestion courante et les prises de décision ; par exemple j’explique comment construire un rétroplanning qu’on pourra réutiliser pour décliner opérationnellement le plan stratégique, ou un business plan qui servira aussi de support pour définir de suivre les objectifs financiers ou évaluer les effets d’une décision.
EA : Quid des témoignages que vous partagez ? Comment avez-vous sélectionné ces 26 entrepreneurs et entrepreneuses ?
B. Cain : Tous et toutes font partie de mon réseau personnel ou professionnel : je me suis ainsi assurée de l’authenticité et de la véracité de leurs récits. J’ai aussi veillé à la diversité des activités et des approches – en circonscrivant néanmoins mon propos au secteur tertiaire et à l’artisanat, car l’agriculture et l’industrie me paraissent avoir des spécificités méritant des guides dédiés. Je souhaitais mettre en évidence qu’il n’existe pas une seule et unique manière de procéder. Loin de moi l’idée d’incarner un modèle de référence ultime ; au contraire, il m’importait de moduler mon point de vue, de proposer des contrepoints, et de laisser chacun s’identifier à l’un ou l’autre, ou réaliser la synthèse qui lui convienne. C’est d’ailleurs la grande leçon que je retiens de ces témoignages : pour réussir dans l’entrepreneuriat, il faut adapter son approche en fonction de sa personnalité, de ses savoir-faire et savoir-être, de ses valeurs, de son environnement et de son ambition.
EA : Vous abordez aussi les écueils à éviter…
B. Cain : J’ai rencontré des porteurs de projet qui sollicitaient mon accompagnement mais qui en réalité recherchaient seulement une validation, sans ajustement ni remise en question. Cet excès de confiance peut être dû à la complaisance des proches, à une méconnaissance du terrain ou encore à une analyse économique superficielle basée sur la pensée magique ou la méthode du doigt mouillé… Il faut veiller à ne pas tomber dans ces travers, rester humble et mesuré – littéralement : il peut suffire d’indicateurs basiques (volumétrie et montée en charge de l’activité, charges et revenus détaillés, emploi du temps, rémunération nette minimum requise) pour se rendre compte que certains projets ne sont pas viables. Autre point de vigilance : même quand on réussit son lancement, on peut sous-estimer l’endurance que requiert la gestion d’un projet de ce type dans la durée. De la même manière qu’un bébé change la vie des parents, la création d’une entreprise change la vie de celui ou celle qui la porte, et souvent de ses proches. Le nier conduit souvent à l’échec.
EA : Vous-même, avez-vous commis des erreurs dans vos projets entrepreneuriaux ?
B. Cain : Comme tous les entrepreneurs (c’est important de le rappeler), j’ai commis des erreurs. Par exemple, j’ai mal anticipé la routine qui s’installerait une fois mon activité lancée, et j’ai connu une phase de démotivation. J’en suis sortie en mettant en place des mécanismes de projection et une vision stratégique à plus long terme.
EA : Justement, comment s’épargner les déconvenues ?
B. Cain : D’abord en faisant en sorte de bien s’entourer : j’ai échappé à de nombreux désagréments en suivant les conseils d’entrepreneurs plus expérimentés – c’est de cette manière, par exemple, que j’ai acheté mon local plutôt que de le louer, même si ce choix m’engageait plus et paraissait plus risqué au premier abord, parce qu’autrement mon modèle économique n’aurait pas été assez rentable et parce qu’à terme la revente de ma structure d’exploitation sans murs se serait avérée quasiment impossible ou très désavantageuse. Ensuite, je fais toujours appel à mon cerveau gauche et à mon cerveau droit quand je prends une décision importante : j’écoute mon intuition et mes émotions puis je valide ces pressentiments par une analyse rigoureuse et chiffrée. J’abandonne rarement une idée qui me fait vibrer sous prétexte qu’elle n’est pas viable ; je la retravaille plutôt pour qu’elle le devienne.
EA : Le fait d’être une femme entrepreneuse apporte-t-il une perspective singulière sur ce métier ?
B. Cain : Je ne pense pas appliquer des méthodes autres que celles utilisées par les hommes ni même avoir eu un parcours sensiblement différent parce que je suis une femme – notamment, je n’ai jamais ressenti d’ostracisme. Je trouve par ailleurs caricatural d’affirmer que tous les hommes ou toutes les femmes ont telles forces ou telles faiblesses spécifiques pour entreprendre : j’ai autant accompagné des hommes qui manquaient de confiance en eux que des femmes qui n’hésitaient pas à affirmer leur leadership. Pour autant, la publication d’un guide de l’entrepreneuriat par une femme a son importance, d’une part parce c’est rare (j’ai cherché), d’autre part (et c’est lié) parce les femmes manquent de role models en entrepreneuriat. De ce point de vue, faire entendre ma voix et celles de 10 autres entrepreneuses permet de montrer non seulement que nous avons notre place dans ce domaine mais aussi que cette voie n’a rien d’extraordinaire ou d’insurmontable pour nos profils. Il est temps que la figure de l’entrepreneuse se normalise dans nos imaginaires, particulièrement dans celui des jeunes filles.
EA : Quelles suites donnez-vous donner à la publication de ce guide ?
B. Cain : Cet ouvrage constitue l’une des briques de mon accompagnement à l’entrepreneuriat : il s’agit d’un concentré de mes apprentissages des 10 dernières années. Il me permet de partager mon expérience avec le plus grand nombre – aussi en tant que support à des conférences thématiques et des masterclasses collectives que je développe actuellement – et répond à environ 80 % des problématiques que je vois passer. Les 20 % restants relèvent des spécificités du porteur et de son projet, pour lesquelles je propose une approche sur-mesure et individuelle avec mon organisme de formation. À noter, j’ai récemment décroché la certification Qualiopi, ce qui permet aux salariés ou aux chômeurs en reconversion professionnelle d’utiliser leur CPF pour financer leur parcours.
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
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