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Marie-Élie Aboul-Nasr (E11) : « Mon podcast donne à entendre la diversité des familles françaises »

Interviews

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01.28.2020

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Dans son podcast Passé Recomposé, Marie-Élie Aboul-Nasr (E11) exhume une France méconnue, abritant des familles multiculturelles depuis des siècles. Une façon de rappeler que la diversité et l’inclusion ont toujours fait partie des enjeux nationaux.   

ESSEC Alumni : De quoi parle votre podcast Passé Recomposé ?

Marie-Élie Aboul-Nasr : Je diffuse chaque mois un récit. Une personne raconte au micro ce qu’il ou elle sait de la vie de ses grands-parents et nous livre ses impressions sur son héritage et la transmission au sein de sa famille. Quand la vie des grands-parents recoupe le récit national ou européen, nous nous arrêtons pour contextualiser et comprendre comment ces faits ont impacté la vie des grands-parents. À terme, le projet devrait fonctionner comme une archive vivante de la diversité des parcours des familles françaises. Je veux explorer les « dessous » de l’histoire, composés de femmes et d'hommes dont les récits de vie au second plan de l'Histoire dévoilent une partie méconnue de notre héritage commun. 

EA : Comment cette idée vous est-elle venue ? 

M.-É. Aboul-Nasr : J’ai grandi dans une famille multiculturelle en Grande Bretagne. De ce fait, j’ai beaucoup navigué entre différentes cultures, langues et sphères sociales pendant mes années formatrices. Cela m’a amené à me poser des questions sur qui raconte les histoires collectives et comment s’écrit l’histoire partagée de France et d’Europe. En fonction des points de vue, un même événement historique peut être raconté de plusieurs manières. Ça me fascine.

EA : Comment êtes-vous passée de cette fascination à la réalisation d’un podcast ? 

M.-É. Aboul-Nasr : Pendant un temps j’ai travaillé chez Sparknews au contact de rédacteurs-en-chef de journaux du monde entier. Déjà, à l’époque, nous développions des récits journalistiques autour des « solutions », ce qui tranche avec l’axe « problèmes » plus souvent abordé dans les médias. Aujourd’hui, en tant qu’indépendante, je forme aux outils de prise de parole en public et aux biais inconscients, afin que tout un chacun puisse se raconter au mieux. Et je reste très attentive aux différents récits, ceux qui sont racontés et ceux qui ne sont pas mis en avant.

EA : Quel est votre objectif en racontant l’histoire de ces familles françaises ?

M.-É. Aboul-Nasr : Je cherche à faire émerger la complexité des époques qui nous ont précédés depuis 150 ans. Aujourd’hui, on s’interroge beaucoup dans l’espace public sur l’immigration, la place des minorités, la parentalité, l’égalité, la solidarité. Ce sont des questions que se posaient déjà nos grands-parents. Or leur histoire est souvent récupérée par une pensée simplifiée, qui tend à raconter que « c’était mieux avant », et d’ailleurs, « tout le monde était blanc, parlait français comme langue maternelle, les femmes ne travaillaient pas et il n’y avait qu’une religion en France ». 

EA : Alors que votre podcast montre une réalité toute autre…

M.-É. Aboul-Nasr : Certains langues régionales étaient encore des langue maternelles, les femmes des classes populaires travaillaient, l’immigration existait, et d’autres choses encore. Le passé est aussi riche et complexe que le présent. Il suffit de s’informer pour le redécouvrir. J’ai l’intime conviction qu’il se joue aujourd’hui une lutte des représentations du passé, et qu’il est indispensable d’y prendre part.

EA : Comment identifiez-vous – et sélectionnez-vous – les familles que vous mettez en avant ? 

M.-É. Aboul-Nasr : Je cherche des récits qui vont surprendre, éclairer une partie de l’histoire qu’on connaît peu, ou s’intéresser à des transmissions particulières, voire difficiles. Il y a donc un mélange de grands-parents issus de minorités et de migrations, et de familles au parcours souvent plus « classiques », mais pour qui les mots « transmission » ou « héritage » résonnent d’une façon particulière.

Par exemple, mon premier récit est celui d’une femme récemment naturalisée, dont les grands-parents, russes allemands, ont été plusieurs fois déportés par les Nazis et les Soviétiques. Je trouve que ce témoignage résume bien la tension entre notre vision de l’Europe et la réalité de nos ancêtres.

EA : Quelles rencontres vous ont-elles le plus marqué ?

M.-É. Aboul-Nasr : Il y a quelques années, lorsque je menais ces enquêtes à titre personnel, j’ai rencontré la grand-mère d’une amie pour parler de ses propres grands-parents. Elle était agricultrice près de Lille, et ses grands-parents étaient nés en 1870. Elle pensait n’avoir rien à raconter, mais à chaque étape, son récit me réservait des surprises. Par exemple, ses grands-parents parlaient flamand, langue qu’elle ne parlait plus parce que l’école républicaine interdisait aux enfants de la parler entre eux. 

Autre chose : ils se sont mariés à quasiment 30 ans. Du haut de mes préjugés, j’ai trouvé cela très tardif. Pourtant, comme m’a dit cette femme : « quand on est agriculteur, on épouse aussi la ferme, il faut bien choisir. » 

EA : Et quelles sont les prochaines rencontres à votre programme ?

M.-É. Aboul-Nasr : Les épisodes récents concernent une famille franco-vietnamienne, dont la grand-mère était vietnamienne et corse (un mélange étonnant, mais visiblement pas si rare dans les années 1910 en Indochine) et le parcours d’une grand-mère camerounaise, dont la petite-fille est une poétesse et afro-féministe française. Ce mois, c'est une femme née grâce à un don de spermatozoïdes qui raconte son lien à la transmission. Et dans les prochains épisodes, il y aura une famille d'origine berbère, une famille d'Île-de-France et sans doute un retour au Vietnam.

EA : Avez-vous d’autres pistes de développement pour votre podcast ?

M.-É. Aboul-Nasr : Je souhaite compléter les récits – subjectifs – par des épisodes supplémentaires, plus courts, dans lesquels des sociologues, anthropologues et autres spécialistes pourraient venir éclairer des sujets. Par exemple, dans le cas du second épisode sur une famille d’artistes, un ou une spécialiste de l’histoire de la musique aurait pu expliquer les raisons sociologiques pour lesquelles, à l’époque, devenir professeur de piano représentait une des rares ascensions sociales possibles pour une femme issue des classes populaires.   

EA : Quel est votre business model ?

M.-É. Aboul-Nasr : Pour l’instant il n’y a pas de mode de rémunération, je me suis embarquée en me disant que j’apprendrais en cours de route. Aujourd’hui je suis à la recherche d’une ou d'un partenaire, pour partager et construire ensemble la ligne éditoriale, mais aussi créer des relations avec des mécènes ou des partenaires financiers pour faire grandir le projet. Si je veux doubler le nombre d’épisodes, il faudra monétiser le podcast !

EA : Où peut-on écouter votre podcast ?

M.-É. Aboul-Nasr : Il est disponible sur toutes les plateformes de podcasts : Apple / Google Podcast, Deezer, Spotify, Eeko, etc.

EA : Comment les ESSEC peuvent-ils soutenir votre projet ?

M.-É. Aboul-Nasr : Écoutez le podcast, et si vous l’aimez parlez-en autour de vous, suivez le compte Instagram ou Twitter, et mettez des étoiles et des commentaires sur Apple Podcast et Eeko – ça aide beaucoup avec les algorithmes. Toute visibilité médiatique serait également bienvenue. 

Vous pouvez en outre contribuer à mes campagnes de financement participatif sur les sites Arezzo et Tipee. Voire devenir mon partenaire financier ou vous associer à mon projet en me contactant directement à l’adresse podcastpasserecompose@gmail.com. N’hésitez pas également à me signaler des récits intéressants à la même adresse !


Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni

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