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Alexandre Allegret-Pilot (E13) : « Les défaillances d’entreprise accélèrent en France »

Interviews

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01.31.2024

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Alexandre Allegret-Pilot (E13) œuvre au ministère de l’Économie pour accompagner les restructurations des entreprises en difficulté. Il dresse le bilan des défaillances en France et explique les actions menées par l’État pour soutenir les acteurs concernés. 

ESSEC Alumni : Quel panorama peut-on dresser des entreprises en difficulté en France ? 

Alexandre Allegret-Pilot : Après 3 années en sous-régime (28 000 défaillances en 2022 contre 52 000 en 2019), principalement en raison du soutien extensif de l’État (PGE, FDS, prêts bonifiés, suspension du recouvrement forcé URSSAF…), le troisième trimestre 2023 est celui du rattrapage avec l’accélération des défaillances (58 000 en 2023) dans un contexte conjoncturel particulièrement tendu. L’augmentation est particulièrement forte chez les PME de plus de 100 salariés et la sinistralité plus lourde chez les petites PME de moins de 50 salariés (+ 43 % de défaillances, à un niveau proche de celui de 2009). Les TPE concentrent quant à elles 92 % des jugements. 243 000 emplois ont été menacés en 2023.

EA : Cette aggravation concerne-t-elle tous les secteurs et toutes les régions ?   

A. Allegret-Pilot : Sur le plan sectoriel, la construction est très affectée (24 % des faillites) tout comme le textile-habillement et la boucherie/abattage. Sur le plan géographique, une défaillance sur trois se concentre en Auvergne-Rhône-Alpes et en Île-de-France ; une sensibilité forte demeure par ailleurs sur les bassins industriels en transition, comme dans le Nord.

EA : La tendance est-elle la même chez toutes les puissances équivalentes à la France en Europe et dans le reste du monde ? 

A. Allegret-Pilot : Il est difficile de dresser une comparaison très précise dans la mesure où les procédures amiables et collectives sont principalement régies par le droit national et recoupent des périmètres qui ne sont pas parfaitement identiques entre les pays. Un intense travail d’harmonisation est cependant porté au niveau de l’Union européenne, notamment avec les directives « Insolvabilité ». Une analyse de la sortie de la période du Covid, sur la base des défaillances compilées par Eurostat, permet ainsi d’identifier une accélération plus précoce en dehors de la zone euro (Royaume-Uni et Suède en tête) en raison de pics d’inflation, d’un durcissement de la politique monétaire plus fort et très probablement d’une politique plus libérale pour ce qui concerne le Royaume-Uni. Dans l’industrie et pour la traditionnelle comparaison France/Allemagne, un nombre de défaillances substantiellement plus important a été relevé en France. Plusieurs facteurs différenciants peuvent être évoqués : répartition des secteurs et des tailles, niveau d’intégration au système bancaire, intervention publique. À l’échelle mondiale, on s’attend à une hausse des défaillances de 10 % sur 2024, après rattrapage substantiel en 2023, tant aux États-Unis (+ 47 %) qu’en France (+ 36 %), aux Pays-Bas (+ 59 %), au Japon (+ 35 %) ou en Corée du Sud (+ 41%). 

EA : Quelles sont les principales causes des difficultés des entreprises que vous accompagnez actuellement en France ? 

A. Allegret-Pilot : Les causes sont multiples et diffèrent en fonction des secteurs. Conjoncturellement, les activités électro-intensives ou très exposées à l’inflation des intrants, à faible marge et à moindre capacité de répercussion sur les prix, ont été très affectées par la crise (ex. production d’emballages plastiques). Structurellement, certains secteurs traversent une mutation importante qui entraine des restructurations à la chaîne (ex. automobile). Enfin, le contexte financier (hausse des taux) peut constituer tant un révélateur (faiblesse des capitaux propres, trésorerie basse) qu’une cause (ex. modèle économique de la construction immobilière).

EA : Quelle réponse de l’État face à cette situation ?

A. Allegret-Pilot : La France se distingue très certainement par son dispositif public d’accompagnement et par les efforts déployés pour permettre la reprise ou la conversion des sociétés, des actifs et des emplois – tout en évitant le soutien abusif, notamment aux entreprises dites « zombies ». Il s’agit en priorité de préserver certains actifs et savoir-faire stratégiques sur le territoire national.

EA : Vous-même, quelles actions menez-vous en tant que chef de la mission de restructuration des entreprises (MRE) à Bercy ? 

A. Allegret-Pilot : J’anime le réseau des Commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises (CRP en métropole, CVEDP outre-mer) qui interviennent auprès de 2 000 à 4 000 entreprises par an et peuvent eux-mêmes compter sur mon équipe à Paris pour un support en stratégie de négociation, expertise juridique, financière et procédurale, doctrine commune ou encore formation, ainsi que pour la prise en charge des dossiers les plus complexes (ex. multi-régions). Parallèlement, nous pilotons une start-up d’État, Signaux faibles, qui détecte en avance les difficultés des entreprises et permet de déployer des actions de prévention grâce à des compétences en analyse de données, informatique et design.

EA : Et en tant que délégué interministériel adjoint aux restructurations d’entreprises ? 

A. Allegret-Pilot : J’accompagne les entreprises industrielles les plus signalées politiquement, après saisine par le ministre chargé de l’Économie (Bruno Le Maire), la ministre chargée du Travail (Catherine Vautrin) ou le ministre chargé de l’Industrie (Roland Lescure). Je suis ainsi amené à coordonner l’ensemble des dispositifs sociaux et fiscaux en vigueur, en lien avec les administrations concernées (ex. URSSAF, DGFiP), à identifier les pistes budgétaires accessibles (subventions, prêts, investissement) et à superviser les restructurations opérationnelles et financières en lien avec les partenaires privés (salariés, dirigeants, créanciers, investisseurs, managers de transition, cabinets d’audit) dans un cadre procédural dédié (procédures amiables, procédures collectives) ou en amont des procédures et en toute confidentialité. 

EA : Concrètement, sur quels indicateurs vous basez-vous pour considérer qu’une entreprise est en difficulté ? 

A. Allegret-Pilot : On repose largement sur la notion de cessation des paiements (ne plus pouvoir faire face à son passif avec son actif disponible) et sur l’ouverte de procédures collectives (sauvegarde, redressement judiciaire, liquidation judiciaire). Au sens de l’UE, outre les cas d’ouvertures de procédures collectives, une PME est en difficulté dès lors que ses capitaux propres sont inférieurs à la moitié du capital social. Pour les ETI et grandes entreprises sont aussi mobilisés des critères liés au ratio emprunts/capitaux propres (supérieur à 7,5) et au ratio de couverture des intérêts (inférieur à 1) sur les deux exercices antérieurs. Cela conditionne largement la capacité d’intervention des pouvoirs publics, principalement au regard de la réglementation des aides d’État. Pour autant, les entreprises qui rencontrent des difficultés mettant en danger leur pérennité sont bien plus nombreuses que les entreprises « en difficulté » au sens juridique : il importe donc d’agir au plus tôt, ce que doivent notamment permettre les procédures amiables (ex. conciliation, mandat ad hoc) et une communication fluide avec les services de l’État. Pour cela, il est essentiel d’avoir une bonne vision de la situation de l’entreprise (ex. comptabilité analytique), de la concurrence et des dynamiques de marché.

EA : Accompagnez-vous toute entreprise en difficulté ? Ou seulement certains profils ou certaines situations ?

A. Allegret-Pilot : Mes services accompagnent essentiellement les entreprises industrielles de 50 à 400 salariés. Les entreprises de plus de 400 salariés peuvent saisir le Comité Interministériel de Restructuration Industrielle (CIRI). Celles de moins de 50 salariés peuvent se tourner vers les conseillers départementaux aux entreprises en difficulté (CDED) lorsqu’elles rencontrent des problématiques simples. Nous restons naturellement mobilisables pour répondre à des situations complexes représentant un enjeu important pour le bassin d’emploi ou pour la chaîne de valeur (ex. fournisseur sensible) quelle que soit la taille de l’entreprise.

EA : Quelles solutions proposez-vous aux entreprises en difficulté ? 

A. Allegret-Pilot : Nous apportons tout d’abord un soutien stratégique avec un appui dans les négociations auprès des créanciers et des investisseurs. Nous pouvons mobiliser différents outils techniques (financement d’audits et de recherche d’investisseurs, prêts directs de l’État…), coordonner les partenaires publics (URSSAF, DGFiP, collectivités territoriales, banques publiques comme la Banque des Territoires, la Caisse des Dépôts, Bpifrance ou la Banque européenne d’investissement…), mettre de l’huile dans les rouages et accélérer les procédures.

EA : Intervenez-vous sur demande des entreprises ? Ou dans un cadre contraignant ? 

A. Allegret-Pilot : Cela dépend du contexte de notre intervention et des intérêts en jeu. Lorsque nous intervenons en tant que créanciers (ex. restructuration des prêts directs que nous avons pu attribuer pendant la période COVID, créances fiscales et sociales), notre présence est obligatoire et nos préconisations contraignantes. Lorsque nous intervenons à la demande de l’entreprise en tant que facilitateur, notre aide est facultative. Lorsque nous identifions des enjeux importants pour l’intérêt général (ex. risque de fuite de propriété intellectuelle à l’étranger, détournement d’actifs, conflit social persistant), nous n’hésitons pas à mobiliser l’ensemble des outils de l’État pour pousser vers une sortie « par le haut ».

EA : Comment mesurez-vous l’impact de vos interventions ? 

A. Allegret-Pilot : Classiquement, nous considérons trois grandes dimensions : le maintien (ou le développement) de l’activité économique et des actifs associés (chiffre d’affaires, EBE, actifs nets…), le maintien (ou le développement) de l’emploi (ETPT, répartition des qualifications et des contrats…) et l’apurement des dettes, notamment publiques. Sur ce dernier point, nous pouvons aussi étudier notre capacité à mobiliser des financements (subvention, capital, dette) pour accompagner la transformation de l’entreprise. Enfin, ces considérations s’appliquent aussi bien à une entreprise donnée qu’à un bassin d’emploi (notamment pour la mobilité des travailleurs au regard des transformations sectorielles, avec des industries déficitaires et d’autres excédentaires) ou à un secteur industriel. Naturellement, au-delà des moyens mobilisés, le degré de succès de notre intervention dépend très fortement de la sévérité de la situation dans laquelle se trouve l’entreprise concernée et de ses perspectives : il ne faut donc pas hésiter à nous saisir dès les premiers signes de difficultés !

 

Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni

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