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Digital : ne pas rater la bascule

Avis d'experts

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19/04/2017

Le digital est comme un univers en expansion au cœur même de notre économie. Il pénètre tous les secteurs et tous les métiers. La bascule se fait souvent dans la crainte, mais la direction est clairement donnée ! Côté recruteurs, quelles sont les conséquences sur la nature des missions ? Ahmad Hassan, partner chez Heidrick & Struggles, livre son point de vue à Solveig Devray, du Service Carrière d'ESSEC Alumni.

ESSEC Alumni : Comment se traduit cette préoccupation digitale côté employeur ?

Ahmad Hassan : Nous observons une situation assez polarisée. Côté CAC 40 et SBF 120, les sociétés témoignent d’un vrai besoin de transformation. Elles doivent s’adapter, et ne savent pas toujours comment. En réalité, très peu mesurent d’entrée de jeu ce qu’elles doivent faire. Conscientes d’une nécessité de bascule, elles ont en même temps à cœur de ne pas casser une machine qui fonctionne. La motivation « défensive » est souvent le déclencheur de la mission : se protéger, identifier le danger d’une éventuelle « ubérisation » et surtout garder la relation client.
De l’autre côté du spectre, on observe des sociétés arrivant des US, de petites organisations à taille humaine et agiles, au troisième stade de développement (ce que l’on nomme le « scale up »), dont l’objectif est de changer, de booster catégoriquement le nombre de clients afin de rentabiliser le business model, de professionnaliser la force de ventes.
Amusant constat que cette dichotomie : les grands groupes sont en recherche d’expertise digitale (souvent des « digital natives » et start-uppers), et le secteur digital est en recherche de l’expérience des grandes entreprises !

EA : Concernant les métiers, quelles sont les tendances et comment peuvent y répondre les personnes en place ?

A. Hassan : Côté technique, sont demandés des DSI orientés clients, affûtés sur les plateformes d’engagement décentralisées et interactives. Lorsque le DSI a grandi dans l’organisation, il a souvent construit un système transactionnel centralisé dont l’enjeu est de capter l’information et de la traduire en rapports. Son nouveau défi est de le décentraliser, de gagner en agilité et en ouverture, et de ne plus contrôler tous les aspects de ce nouveau schéma. Si le DSI ne se réoriente pas vers le client, il risque de perdre le côté stratégique de son rôle, pour se cantonner à l’infrastructure (hardware, serveurs, informatique bureaucratique). Un DSI clairvoyant et convaincu de cette priorité a une place tout à fait légitime. Il doit comprendre et orchestrer l’engagement client.
Côté marketing, on veut des CMO (chief marketing officer) plus orientés technique qui en comprennent les plateformes, les canaux alternatifs. Jusqu’à présent, l’expérience commerciale et marketing d’un secteur permettait au donneur d’ordre d’avoir un référentiel de situations de marché suffisamment important pour entretenir une intuition métier efficace. Aujourd’hui, l’omni-canalité (la cohérence de l’approche multicanale) devient réalité et suppose l’élimination des silos marketing et logistiques afin d’optimiser l’expérience client. Côté data, grâce aux outils digitaux, les informations captées permettent des micro-segmentations, une précision d’analyse sans comparaison avec cette intuition. On attend de ces acteurs du marketing qu’ils sachent exploiter ces données, comme par exemple le taux de requêtes abandonnées ou encore la localisation des clients. Les outils sont d’une telle finesse qu’on ne peut plus répondre approximativement.
Le digital nous donne plus d’agilité et de rapidité d’action.

EA : Pour réussir la transformation digitale, y a-t-il d’autres éléments de culture nécessaires ?

A. Hassan : Pour une bascule digitale réussie, le changement doit être cohérent et la culture alignée. Prenons par exemple le « télétravail », qui est une des déclinaisons digitales des métiers. Il est non seulement nécessaire d’y investir des outils dédiés, mais surtout d’avoir un management adapté, éminemment investi dans la définition d’objectifs individuels des collaborateurs.
Un autre baromètre intéressant est celui des réseaux sociaux. Y être présent ou non, avec quels moyens ? Peu d’utilité si la réponse à un tweet ou à un mail exige la validation de la hiérarchie, ce qui peut prendre plusieurs heures ou jours ! Nous devenons tous des clients très exigeants, et attendons des réponses immédiates à nos questions, des résolutions rapides à nos problèmes.
La digitalisation va de pair avec la culture de la responsabilisation. 

EA : Quels sont vos réflexes en tant que chasseur ?

A. Hassan : Pour ces métiers de l’expérience client, du e-commerce et du CRM, nous veillons par-dessus tout à clarifier le périmètre du mandat et des moyens alloués. Quelle est la mission exacte, quelle sera l’organisation, la liberté de manœuvre, les aspects business (P&L) ? Nous ne présenterons les candidats qu’en connaissance de cause.
En outre, nous invitons les dirigeants engagés dans cette transformation dans le processus de recrutement, afin de leur donner un rôle dans la validation du candidat. Cela permet d’assurer aux nouveaux recrus sponsors et alliés. Le processus de transformation ne peut aboutir dans un climat de rivalités internes. D’après une étude McKinsey, 70 % des transformations dans les grands groupes échouent non pas à cause d’un choix technologique, mais en raison de facteurs humains. Œuvrer à ce terrain favorable est primordial.

EA : Comment préparer les ESSEC ?

A. Hassan : Dans cette accélération de la transformation, il est fort probable que d’ici trois ans tous ces rôles, DSI, CMO, CDO, changent de nouveau… Il est nécessaire d’avoir l’ouverture d’esprit et la capacité de se remettre en question pour s’adapter aux futurs besoins du marché.
L’une des clés est de focaliser sur son employabilité (acquisition de nouvelles compétences) et non pas sur sa progression dans la hiérarchie.

 

Article proposé par Solveig Debray, du Service Carrière, et paru dans le n°114 de Reflets ESSEC Magazine. Pour s’abonner, cliquer ici

 



Illustration : © Harryarts / Freepik

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