Éléonore Iriart (E99) : « Je m’engage pour l’accès à l’éducation dans les pays en voie de développement »
Cambodge, Philippines, Liban… Depuis 10 ans, Éléonore Iriart (E99) s’engage auprès des jeunes des pays en voie de développement, en facilitant leur accès à l’éducation et à l’emploi. Rencontre.
ESSEC Alumni : Comment vous êtes-vous tournée vers l’aide au développement et à l’éducation ?
Éléonore Iriart : Après 10 ans dans le marketing, la relation client et la fidélisation en Europe, j’ai effectué un bilan de compétences et pris une année sabbatique pour voyager en Amérique latine et en Asie du Sud-Est, ainsi que pour expérimenter le bénévolat, d’abord en soutien scolaire et tutorat au Pérou, ensuite dans un centre de nutrition au Guatemala. L’ensemble de cette séquence m’a donné envie de me réorienter définitivement vers les ONG et l’aide au développement.
EA : Vous avez alors rejoint Pour un Sourire d’Enfant (PSE) au Cambodge…
É. Iriart : Cette organisation a été créée au début des années 90 par Christian et Marie-France des Pallières, suite à la réouverture du pays après les terribles années des Khmers Rouges et de l’occupation vietnamienne. Le couple a voulu répondre à la détresse d’enfants chiffonniers sur la décharge de Phnom Penh, d’abord en leur apportant de la nourriture, puis en leur donnant accès à l’éducation.
EA : Quels programmes pédagogiques PSE a-t-elle mis en œuvre ?
É. Iriart : L’organisation a d’abord ouvert une école et créé des systèmes de rattrapage scolaire. Puis elle a développé la formation professionnelle pour permettre aux enfants qu’elle suivait et qui grandissaient d’accéder à un métier et à des emplois qualifiés, afin de les libérer définitivement de la misère.
EA : Avec quels résultats ?
É. Iriart : Aujourd’hui, ce sont plus de 6000 enfants qui sont accompagnés par PSE et qui accèdent ainsi aux métiers de l’hospitalité, de la gestion et vente ou encore du bâtiment. Et ce sont plusieurs générations qui sont devenues capables de subvenir à leurs besoins et de soutenir leur famille.
EA : Quelles étaient vos missions chez PSE ?
É. Iriart : J’ai d’abord effectué deux ans d’enseignement de publicité, promotion et e-marketing. Dans le même temps, j’ai aussi contribué à la création d’un projet pratique d’études de marché, de type « junior entreprise », mené par des étudiants de deuxième et troisième année de Bachelor au service d’entreprises locales. Puis j’ai dirigé l'École de Gestion et Vente de PSE pendant 3 ans.
EA : Comment l’école a-t-elle évolué sous votre direction ?
É. Iriart : Les effectifs sont passés de 200 à 400 étudiants et l’équipe pédagogique d’une vingtaine à une cinquantaine de personnes, incluant non seulement les professeurs mais aussi les responsables de la gestion des relations entreprises ainsi que du placement des élèves en stage et de leur accompagnement vers leur premier emploi. Ce développement s’est accompagné de la construction de nouveaux locaux et de la montée en compétences des enseignants. Autres initiatives : ouverture d’une boutique gérée par les étudiants, organisation de missions commerciales et d’animation des ventes pour les étudiants, approvisionnement en produits d’entretien et d’hygiène et fournitures scolaires pour les étudiants et le personnel de PSE… À noter, j’ai bénéficié du soutien et des conseils de professeurs et dirigeants de l’ESSEC. L’école est même devenue partenaire de l’organisation.
EA : Quel bilan tirez-vous de cette expérience ?
É. Iriart : D’abord, j’ai dû m’adapter à une culture très différente, tant sur le plan du système éducatif que sur celui de la gestion de projet et d’équipe. Les pratiques varient énormément entre les pays développés et les pays en voie de développement. J’ai donc beaucoup appris en management, en résolution des conflits… Mais le plus gratifiant restait de voir les élèves progresser, devenir autonomes, évoluer dans leur carrière, fonder une famille, quitter leurs logements précaires pour des maisons en dur avec accès à l’eau et à l’électricité.
EA : Après 5 ans chez PSE, vous prenez la direction de Passerelles numériques…
É. Iriart : Cette organisation présente au Cambodge, aux Philippines et au Vietnam forme des jeunes issus de milieux défavorisés aux métiers du numérique : techniciens en installation et maintenance de systèmes et réseaux informatiques, développeurs web, mobile et systèmes d’information, testeurs… Les cours ne se limitent pas à l’acquisition de compétences techniques mais incluent aussi l’apprentissage de l’anglais et le développement des soft skills (communication, travail en équipe, créativité, résolution de problèmes, leadership…) et même la promotion de certaines valeurs (responsabilité, confiance, solidarité, respect, exigence) ainsi que des activités extra-scolaires et un accompagnement dans la vie quotidienne et vers l’emploi. On parle d’éducation au sens large du terme. Les jeunes sont hébergés, nourris et vivent en communauté. Et ça marche : 100 % des participants trouvent un poste dans les 3 mois qui suivent la remise des diplômes.
EA : Quelles actions avez-vous menées chez Passerelles numériques ?
É. Iriart : J’ai dirigé le centre de Passerelles numériques à Cebu aux Philippines pendant 3 ans, puis le centre de Phnom Penh au Cambodge pendant 2 ans. Une partie importante du travail consistait à sélectionner les jeunes éligibles à nos programmes, ce qui impliquait tout un travail d’orientation, de communication auprès des familles, d’organisation d’examens écrits et d’entretien, d’enquêtes sociales… Autres aspects de mon poste : la levée de fonds, les relations avec les bailleurs et les entreprises ou encore les accréditations auprès des autorités locales et le suivi des réformes éducatives. Sans oublier la gestion de certains tracas du quotidien loin d’être anecdotiques : par exemple, réparer une fuite d’eau dans un pays où mousson et typhons sont monnaie courante peut revêtir une véritable importance stratégique !
EA : À quoi ressemblait votre quotidien ?
É. Iriart : Les centres des Passerelles numériques fonctionnent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Je pouvais dans la même journée déjeuner avec un partenaire, emprunter une route qui n’en était pas pour aller à un conseil d’administration dans une ville voisine, assister à un spectacle joué par nos étudiants, puis prendre un bateau de nuit pour une rencontre avec un bailleur sur une île le lendemain.
EA : Quels enseignements retenez-vous de cette expérience ?
É. Iriart : J’ai gagné en autonomie et en capacité de décision : quand vous reportez directement au président de l’ONG qui est à 10 000 km avec 7 heures de décalage horaire, mieux vaut savoir garder son sang froid et prendre des initiatives. J’ai aussi assisté avec grand intérêt au développement rapide et chaotique des pays où j’exerçais, avec l’émergence d’une classe moyenne, d’une société de loisirs et de consommation, et d’un réseau de startups.
EA : En tout, vous avez passé dix ans en Asie du Sud-Est. En êtes-vous sortie changée ?
É. Iriart : Je ne suis plus tout à fait européenne, ni complètement asiatique. Ma personnalité s’est certainement remodelée au contact des différentes influences auxquelles j’ai été confrontée, parfois enthousiasmée par la découverte de l’autre, parfois déconcertée voire découragée par la difficulté de s’adapter à un contexte souvent dépaysant.
EA : Vous avez ensuite quitté l’Asie au profit du Liban. Pourquoi ce choix ?
É. Iriart : J’avais envie et besoin de nouveaux horizons. Et j’étais curieuse de découvrir le Liban, à la fois parce que j’en avais entendu beaucoup de bien et parce que je trouvais du sens à contribuer à la reconstruction d’un pays en grande difficulté – même si je n’avais jamais travaillé jusque là sur des sujets d’urgence. Je n’imaginais d’ailleurs pas à quel point la situation allait continuer de se détériorer dans les mois qui ont suivi l’explosion de Beyrouth.
EA : Sur quels projets avez-vous travaillé au Liban ?
É. Iriart : J’ai pris le poste de responsable des programmes éducation, formation et insertion professionnelle de l’Institut Européen de Coopération et de Développement (IECD), organisme de solidarité internationale qui accompagne des projets de développement humain et économique dans une quinzaine de pays. Je supervisais plusieurs projets : création de filières de baccalauréat techniques en partenariat avec une vingtaine d’écoles privées et publiques dans les secteurs de l’électrotechnique, de la maintenance industrielle et du développement informatique ; développement d’une vingtaine de bureaux d’orientation et emploi avec des lycées partenaires ; gestion d’un centre socio-éducatif de soutien scolaire et psycho-social à destination des enfants réfugiés, principalement syriens, et libanais pauvres ; éducation inclusive… Et bien sûr, adaptation au contexte de crise, avec réorganisation des initiatives existantes et lancement de nouveaux projets moins axés sur le développement et plus sur la réponse aux besoins primaires et sur la continuité pédagogique.
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
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