Reflets Mag #140 | Stratégie d'entreprise : jouer pour gagner ?
Dans Reflets Mag #140, Jérémy Borot (E05), membre du comex de Cdiscount passé par McKinsey et Natixis, dresse un panorama de la stratégie d'entreprise : quel est son objectif ? Comment l'atteindre ? Que signifie "gagner" quand on est dirigeant ou entrepreneur ? On vous met l’article en accès libre… abonnez-vous pour lire l'ensemble du numéro !
De nombreuses entreprises publient leur « plan stratégique ». Elles communiquent une ambition et un ensemble d’actions pour aligner les parties prenantes : clients, employés, fournisseurs, etc. Le mot « stratégie » est alors quelque peu dévoyé : on imagine mal Napoléon dévoiler ses plans de bataille dans les journaux…
Si nous avons une réelle stratégie, moins publique, en parallèle de notre plan du même nom, la discussion sémantique a peu d’importance. Si le plan public remplace une réflexion plus profonde, cela peut devenir dangereux. Alors, avez-vous une stratégie ? Jouez-vous pour jouer ou pour gagner ? Et qu’est-ce que gagner ?
Le cabinet de conseil où j’ai exercé définissait une stratégie à peu près comme suit : « Un ensemble de décisions impliquantes prises en avance de phase de l’incertitude pour XYZ. »
Chaque élément en gras est important. Ce sont plusieurs actions et le retour en arrière doit être difficile. Les choix sont opérés tôt et contiennent une part d’inconnu. Enfin, « XYZ » peut signifier créer de la valeur, marquer des buts, sauver des vies… J’aime à le remplacer par « gagner » et laisser chacun choisir son jeu.
Comment gagner en entreprise ? Différenciation, taille relative, coûts, tendances macro, innovation, allocation de ressources, M&A, talents, organisation, culture, coopétition, régulation, risques, exécution, vitesse… Tous les sujets ont leur démonstration académique qui prouve leur importance. On s’y perdrait presque…
Qu’est-ce qui permet de gagner ?
Être naturellement avantagé…
Être moins cher, le plus gros ou le plus avancé sur la courbe d’apprentissage peut suffire. Quand on possède une mine d’or à ciel ouvert, qu’on est positionné dans un pays à bas coût ou qu’on a une décennie d’avance sur nos concurrents… cela donne un avantage ! On pourra lire Cost Curves and Supply Curves (1931) ou quelques classiques de BCG Perspectives des années 1970 à ce sujet.
… ou différent…
Sans avantage naturel, la différenciation est l’impératif le plus classique. C’est le message du célèbre article « What is strategy » de Michael Porter, enseigné dans toutes les écoles. À tel point que je l’ai étudié dans trois cours différents quand j’étais à l’ESSEC ! Dans la même veine, on pourra lire The Attacker’s Advantage (1986), Blue Ocean Strategy (2005) ou l’un des nombreux ouvrages qui suggèrent la proximité client.
… au bon endroit…
Pourtant, pendant ma période McKinsey, l’analyse dominante assurait qu’il valait mieux suivre les tendances macro. Granularity of growth (2007) défend qu’une stratégie moyenne au sein d’un excellent secteur crée plus de valeur que l’inverse. Il faudrait donc identifier les courants (No ordinary disruption, 2016) et réallouer ses ressources en fonction.
… avec un excellent corporate center…
Il s’agit de penser et gérer les ressources rares, de vendre une activité dès qu’on n’en est plus le possesseur naturel, de faire du M&A un facteur de différenciation, de minimiser les coûts de frottement entre les activités… Les écoles de pensée de la corporate strategy sont parfois complexes à saisir.
… constitué de talents exceptionnels…
Les meilleures équipes prendront naturellement les bonnes décisions. From Good to Great (2001) défend notamment que les talents sont la meilleure stratégie. C’est encore mieux si l’organisation en tire le meilleur (Beyond performance, 2011) et permet de prendre systématiquement les meilleures décisions (lire Dan Ariely et Olivier Sibony à ce sujet). Bref, attirer et retenir les meilleurs simplifie tout le reste.
… capables de s’adapter au secteur et à l’époque
Enfin, d’autres auteurs soutiennent que c’est le régulateur qui a le plus fort impact (Connect, 2015), que l’écosystème est la clé (Co-opetition, 1997), qu’il faut avant tout prendre le marché avant les autres, qu’il faut gérer les risques pour éviter de disparaître (Black Swan, 2010), voire anticiper les signes de décadence (How the Mighty Fall, 2009)…
La liste est longue ! Qui a raison ? Cela dépend de vous, de votre secteur, de vos concurrents et de l’époque. Toutes les suggestions précédentes sont intelligentes. Utilisez-les comme une checklist. Il s’agit surtout de sélectionner les quelques points qui sont les plus pertinents pour vous, d’en faire une stratégie, puis de la tester.
10 points pour tester sa stratégie
Comment différencier communication et stratégie pour gagner ? J’apprécie les ten timeless tests of strategy publiés en 2011 par McKinsey. Ils sont exigeants : deux tiers des dirigeants qui les passent se notent en dessous de quatre sur dix. Quid de votre stratégie ?
1. Elle va battre les concurrents. Elle nous donnera un avantage sur le marché. Elle est significativement différente de ce que les autres vont faire et s’attendent à ce que nous fassions. Nous ne faisons pas simplement comme tout le monde.
2. Elle est fondée sur un avantage compétitif réel. Notre plan d’action est construit sur des éléments que nos concurrents n’ont pas. Nous ne faisons pas de diagnostic complaisant et inexact quant au moteur de notre performance.
3. Elle est granulaire et précise. Nos marchés sont segmentés finement et nous comprenons en détails l’allocation de nos ressources. Nous n’avons pas défini les sujets trop génériquement pour faire le lien entre les opportunités et nos moyens.
4. Elle nous place en avance de phase des tendances du marché. Nos plans anticipent les évolutions de fond, les scénarios de disruption et ce qui pourrait paraître imprévisible. Nous évitons de penser que le statu quo va se poursuivre.
5. Elle est fondée sur l’analyse d’informations que nous seuls avons. Nos analyses du marché, des clients et des produits sont originales. Nous ne tirons pas de conclusions très similaires aux autres sur la base de données semblables.
6. Elle accepte et prend en compte l’incertitude. Nous sommes conscients que notre plan pourra être amené à changer et nous l’avons pris en compte. Nous n’ignorons pas les possibilités alternatives et l’inconnu ne nous paralyse pas.
7. Elle équilibre choix impliquants et flexibilité de saisir les opportunités. Nous gardons des marges de manœuvre pour faire face à l’imprévu en parallèle de nos axes forts. Nous n’avons pas alloué toutes les ressources à l’avance.
8. Elle est fondée sur l’évaluation de toutes les options avec rigueur et sans biais. Nous avons listé les possibilités et mené une analyse rationnelle. Nos préjugés, nos préférences personnelles et nos biais n’ont pas dicté la feuille de route.
9. Elle nous convainc collectivement. Toute l’équipe dirigeante soutient la stratégie. Chaque département l’a déclinée à son niveau et elle est largement partagée. Nos habitudes et croyances ne s’opposent pas à la nouvelle direction.
10. Elle se traduit par des actions et des allocations de ressources impliquantes. Au-delà des mots, nous modifions la répartition de nos moyens financiers et humains. Ce ne sont pas des paroles en l’air sans actions observables.
Alors, votre stratégie vous fera-t-elle gagner ?
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Image : © AdobeStock
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