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Reflets Mag #151 | Jérôme Fabry (E05) : « Que vont devenir les écoles de commerce… et l’ESSEC ? »

Interviews

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31/01/2024

Dans Reflets Mag #151, Jérôme Fabry (E05), associé chez EY-Parthenon et responsable du Club Affaires publiques d’ESSEC Alumni, analyse les profondes mutations que connaissent les écoles de commerce (dont l’ESSEC) depuis une décennie – et anticipe de nouveaux bouleversements dans les années à venir. Découvrez l’article en accès libre… et pour lire les prochains numéros, abonnez-vous !

Reflets Magazine : Comment avez-vous développé votre expertise de l’enseignement supérieur ?

Jérôme Fabry : J’ai débuté ma carrière dans le conseil en stratégie avant de rejoindre les services de l’État où j’ai notamment contribué à des projets de réforme dans l’enseignement primaire et secondaire (évaluation de la politique de lutte contre le décrochage scolaire, création de la première direction du numérique au ministère de l’Éducation nationale, réforme de la politique d’éducation prioritaire…) puis supérieur (création de la première plateforme française de MOOC). Aujourd’hui, j’exerce en tant qu’associé chez EY-Parthenon où j’accompagne des acteurs publics et privés ainsi que des investisseurs dans leurs plans stratégiques et leurs plans de transformation, leur due diligence ou encore leurs nouvelles activités. J’effectue en particulier des missions pour des universités, des groupes privés d’enseignement supérieur et des grandes écoles, dont l’ESSEC.

RM : Le secteur des écoles de commerce a-t-il connu des changements notables ces dernières années ?

J. Fabry : Notons d’abord que les effectifs des formations au management connaissent une croissance de 7 à 8 % par an en France depuis 10 ans par rapport à 2 % par an pour l’ensemble des filières. Cette attractivité, imputable à de bons taux d’insertion professionnelle et à l’adéquation des cursus avec les aspirations des jeunes, constitue la matrice de trois bouleversements. Premier bouleversement : l’offre s’est enrichie avec des portefeuilles intégrant des programmes post-bac (Bachelor / BBA), des masters (Grande École), des mastères spécialisés… Autre évolution, conjointe : l’hybridation des cursus avec la multiplication des doubles diplômes et autres partenariats pour à la fois toucher plus de cibles et de métiers et encourager la transdisciplinarité et la diversification des compétences. Sans oublier le développement des programmes 100 % en ligne.

RM : Deuxième bouleversement ?

J. Fabry : Qui dit élargissement de l’offre dit intensification de la concurrence. Résultat : les étudiants (et leurs parents) se montrent de plus en plus exigeants sur la qualité de la formation et sur l’expérience offerte par l’établissement. Une pression du retour sur investissement d’autant plus forte que les frais de scolarité se sont renchéris – et que nous évoluons dans un contexte où 80 % des métiers de 2030 n’existent pas encore (source : Institut pour le futur/Dell) et où une personne qui obtient son diplôme aujourd’hui changera entre 5 et 13 fois de métier dans sa carrière (source : Pôle emploi). Les écoles sont attendues au tournant : pour tenir leurs promesses, elles doivent veiller à développer non seulement leur capacité d’adaptation, mais aussi celle de leurs élèves.

RM : Et troisième bouleversement ?

J. Fabry : Les modèles économiques ont traversé d’importantes mutations. Il existe une diversité de configurations aujourd’hui : associations loi 1901, Établissements d'enseignement supérieur consulaires (EESC), universités ou même sociétés commerciales… Mais toutes les formations ont dû développer leurs ressources propres dans un contexte de raréfaction voire de suppression des subventions publiques, en particulier celles versées par les chambres de commerce.

RM : Aujourd’hui, quels modèles prévalent ?

J. Fabry : On ne peut aborder ce sujet sans rappeler une spécificité française bien connue : la coexistence des grandes écoles et des universités. Ailleurs, les business schools font partie d’ensembles universitaires plus larges couvrant de nombreuses disciplines, des humanités aux sciences, et mutualisant ainsi certains investissements (campus, digitalisation…). Conséquence : les meilleurs établissements français fonctionnent avec moins de 200 M € de budget quand Harvard atteint 5,4 Mds $, Oxford 2,8 Mds £ ou encore ETH Zürich 1,3 Mds CHF. Un déséquilibre accru par le fait que nos concurrents américains, mais aussi certains européens (comme IE University en Espagne), reçoivent des donations privées d’envergure – à Harvard, les frais de scolarité ne représentent ainsi que 21 % du budget. Certes, nos écoles sont de plus en plus soutenues par leurs fondations, mais elles dépendent principalement des revenus qu’elles tirent de leurs activités de formation.

RM : Comment composent-elles avec cette contrainte ?

J. Fabry : On assiste à une montée en puissance des modèles « for profit », mais davantage dans les établissements à vocation professionnalisante (« teaching school ») que dans ceux à vocation d’enseignement et de recherche (« research school »). En outre, les modèles « non profit » restent les meilleurs au monde. Attention, ce terme ne signifie pas que les écoles concernées ne dégagent pas d’excédent. De fait, leur profitabilité a augmenté ces dernières années. Cependant on reste bien loin des niveaux observés dans d’autres filières de l’enseignement supérieur privé. Et cet argent sert à financer leur développement, pas à rémunérer des actionnaires ni à satisfaire des intérêts commerciaux.

RM : Comment les écoles françaises ont-elles augmenté leur profitabilité ?

J. Fabry : D’abord en visant une certaine taille critique. Après une première vague de fusions (à l’origine des enseignes Skema, Neoma ou encore Kedge) suivie d’une phase de stabilisation, on assiste aujourd’hui à d’autres rapprochements et à l’émergence de grands groupes privés (généralement soutenus par des fonds d’investissement) comme Omnes Education ou Galileo Global Education, nouvel actionnaire de référence de l’EM Lyon d’ailleurs dirigé par notre camarade Vanessa Diriart (M99) en France. Ensuite en multipliant les sources de revenus : création de programmes, partenariats avec des entreprises notamment via les chaires, collaborations avec d’autres institutions dans le cadre de la recherche, levée de fonds auprès des alumni…

RM : Quid de l’augmentation des frais de scolarité ?

J. Fabry : Il s’agit d’un levier effectivement. Mais d’autres facteurs expliquent la hausse généralisée des frais de scolarité : augmentation sensible de la masse salariale (au niveau du corps administratif comme du corps enseignant) nécessaire pour attirer les talents dans un contexte à la fois de forte concurrence entre établissements et de renouvellement des thématiques d’enseignement, investissements pour mener la transition digitale et environnementale des campus (comme le projet Campus 2023 à l’ESSEC)…

RM : Quelles solutions ont-elles été mises en œuvre pour que les frais de scolarité ne constituent pas une barrière à l’entrée des écoles ?

J. Fabry : Bourses, prêts bancaires, apprentissage et alternance, travail en parallèle de la scolarité… Les écoles sont très attentives à faire en sorte que le financement ne constitue pas un obstacle. Si la diversité sociale n’est pas encore suffisante dans les écoles, l’explication se trouve malheureusement plus en amont de notre système éducatif.

RM : En définitive, les écoles françaises font-elles le poids face à leurs concurrentes internationales ?

J. Fabry : Nos écoles parviennent à atteindre une visibilité internationale et une qualité académique tout à fait remarquables, d’autant plus au vu de leurs moyens. Le Financial Times classe ainsi pas moins de 21 programmes français, dont la Grande École de l’ESSEC, parmi les 100 meilleurs Masters in Management du monde.

RM : Pour autant, il ne faut pas nous reposer sur nos lauriers… 

J. Fabry : En effet, l’avenir nous réserve de nombreux défis : des concurrents anglo-saxons et asiatiques de plus en plus offensifs et attractifs, des besoins en compétences de plus en plus hybrides pouvant favoriser des établissements inscrits dans des ensembles plus larges, des modèles innovants qui émergent en dehors des classements (comme les climate schools aux États-Unis)… La place même du diplôme pourrait être partiellement remise en cause par d’autres formats comme les certifications proposées par certaines entreprises, au premier rang desquelles les GAFAM.

RM : D’où la nécessité d’adapter l’offre en continu pour rester en phase avec les attentes du temps. Aujourd’hui, qu’étudie-t-on en école de commerce ?

J. Fabry : Sans surprise, parmi les sujets qui prennent une place de plus en plus importante dans les cours, on peut citer la révolution numérique et en particulier l’intelligence artificielle, les enjeux sociaux et environnementaux ainsi que les transformations du monde du travail. On observe en outre deux retours : celui des humanités et plus spécifiquement des enjeux géopolitiques dans un contexte de « déglobalisation » et de dégradation des relations internationales ; et celui du management interculturel, maintenant que l’épisode Covid est passé.  

RM : Des thématiques qu’on retrouve logiquement dans les recherches des professeurs – dont le volume tend à croître. Pourquoi les écoles investissent-elles autant dans ces activités ? 

J. Fabry : Primo, la recherche nourrit l’enseignement. Deuxio, une « research school » n’a pas seulement vocation à former, mais aussi à produire des connaissances nouvelles et à participer à l’innovation et au développement économique. Tertio, la recherche pèse dans les résultats des classements.

RM : Autre champ d’investissement et de développement pour les écoles : le digital. Comment celui-ci impacte-t-il le secteur ? 

J. Fabry : D’une part, le digital entraîne l’essor de la pédagogie inversée : les cours en présentiel sont de plus en plus pensés en complément de ressources disponibles en ligne et doivent apporter une plus-value par rapport aux cours à distance. D’autre part, le digital irrigue les services aux étudiants mais aussi au corps professoral et administratif, notamment en fluidifiant les processus relatifs au suivi de la scolarité et à la validation d’acquis. On voit aussi un nombre croissant de collaborations entre écoles et EdTech autour de la réalité augmentée, du métavers, du Web3… Sans oublier le développement des plateformes de signalement et d’accompagnement autour de sujets d’attention comme les problèmes de santé, d’isolement social ou de violences.

RM : La décennie écoulée a vu énormément de transformations. Doit-on s’attendre à de nouveaux changements dans les années à venir ?

J. Fabry : On assiste assurément à une accélération des mutations. Plus rien n’est jamais acquis ; il faut constamment réévaluer et réajuster. En somme, les écoles doivent appliquer ce qu’elles enseignent, c’est-à-dire innover et accompagner le changement, faire preuve de leadership et de responsabilité.


Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni

Paru dans Reflets Mag #151 . Lire le numéro (exceptionnellement en accès libre). Recevoir les prochains numéros

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