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Reflets Mag #152 | Litiges : la révolution de l’amiable ?

Avis d'experts

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14/05/2024

Dans Reflets #152,  Constance de Garidel-Thoron (E06), avocate au barreau de Paris et counsel au sein du cabinet Taylor Wessing, dresse le bilan de la « politique de l’amiable » lancée par le garde des sceaux début 2023. La volonté initiale, ambitieuse et réformatrice, a-t-elle entraîné le « changement de culture » annoncé ? Découvrez l’article en accès libre… et pour lire les prochains numéros, abonnez-vous !

Les acteurs de la procédure civile n’ont pas attendu janvier 2023 pour mettre en pratique l’adage selon lequel un mauvais arrangement vaudrait mieux qu’un bon procès, notamment dans la vie des affaires.

Ainsi, lorsque le garde des sceaux déclarait sur TF1 en juin 2023 : « On a 1 % d’amiable » en France, ce chiffre doit être nuancé. Par « amiable », il entendait en effet les « modes amiables de règlement des litiges » (MARL), soit uniquement l’amiable organisé et encadré : la conciliation, la médiation, ou encore la procédure participative créée en 2020 (article 1528 du code de procédure civile). Le pourcentage avancé ne prend pas en compte les nombreuses transactions qui ont lieu chaque jour hors de ces cadres, entre des parties conseillées tout simplement par leurs avocats.

L’objectif des modes amiables est de parvenir à un accord grâce à l’assistance d’un tiers indépendant et neutre, dans un cadre confidentiel, en cherchant une solution de compromis, plutôt que de laisser le sort du litige entre les mains du juge avec un résultat par définition non maîtrisé. Cette stratégie peut être appropriée pour les décideurs juridiques confrontés à une situation contentieuse sensible et à fort enjeu.

Les incitations a la conciliation

Reste que les MARL organisés peinent, effectivement, à se développer en pratique. Et ce, malgré des incitations qui vont parfois jusqu’à la contrainte.

Ainsi, depuis 2020, le juge peut faire injonction aux parties de rencontrer un médiateur dans un but d’information (article 127-1 du code de procédure civile). Les parties restent cependant libres de ne pas entrer en médiation, le juge ne pouvant l’ordonner qu’avec leur accord (article 131-1 du code de procédure civile).

Toujours depuis 2020, dans le cadre principalement des « petits litiges » (tendant au paiement d’une somme inférieure à 5 000 €), la demande en justice est nécessairement précédée d’une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative, sous peine d’irrecevabilité (article 750-1 du code de procédure civile, annulé par décision du Conseil constitutionnel du 22 septembre 2022, mais rétabli par décret du 13 mai 2023 moyennant l’ajout d’une précision sur la notion de délai manifestement excessif de la tentative de conciliation).

Les inconvénients des modes amiables de règlement des litiges

Un des inconvénients évidents des MARL, et qui peut expliquer la réticence des justiciables à y avoir recours, est la perte de temps qui y est liée. Une médiation, une conciliation, ne sont pas des processus immédiats, loin de là. Les mois passés en tentative de résolution amiable, vains s’ils n’aboutissent pas à un accord, auront retardé d’autant l’accès au juge ou du moins la décision de ce dernier.

S’ajoute à cela la probable stratégie dilatoire des parties défenderesses. La partie contre laquelle l’action en justice est (ou est sur le point d’être) dirigée a naturellement intérêt à accepter un MARL, qui lui permettra de gagner du temps jusqu’à une éventuelle condamnation. La partie demanderesse se voit au contraire freinée dans l’exercice de ses droits.

Un autre écueil des MARL est leur instrumentalisation par une des parties afin de préparer son dossier pour un futur contentieux. La confidentialité de ces processus ne doit pas amener à abandonner toute vigilance. Chacun dévoile nécessairement une partie de ses cartes et, dans les litiges d’affaires notamment, la prise d’informations est clé (selon les assises « avocats, magistrats, greffiers et personnels de justice » du 11 décembre 2023).

Une solution : l’audience de règlement amiable

Un réel changement pourrait avoir lieu avec le tout dernier-né des « MARL », l’audience de règlement amiable ou « ARA ». Celle-ci concerne les litiges introduits après le 1er novembre 2023 (pour l’instant, seules les procédures devant le tribunal judiciaire, écrites ordinaires ou en référé, sont concernées, mais l’expérimentation devrait être étendue rapidement à d’autres juridictions). Elle intervient après saisine du juge, qui peut, à tout moment de la procédure, orienter les parties vers une ARA.

Lors de cette audience, qui se tient devant un juge distinct de celui saisi du litige et dont le rôle ne sera pas de statuer mais de faciliter la recherche d’un accord, les parties sont amenées à discuter, sous l’égide de leurs avocats (pour les procédures avec représentation obligatoire par avocats : article 774-3 du code de procédure civile), et protégées par la confidentialité. Le juge peut renvoyer en ARA y compris d’office et si les parties s’y opposent. Cette contrainte est la première raison pour laquelle les chiffres des MARL vont nécessairement augmenter.

La deuxième raison est meilleure : l’ARA ne devrait pas favoriser les comportements dilatoires.

Lorsqu’il oriente en audience de règlement amiable, le juge saisi du litige fixe en effet une date de renvoi à laquelle l’affaire sera rappelée devant lui. Si à cette date les parties n’ont pas trouvé un accord, la procédure judiciaire suit son cours. Si ce renvoi devant le juge saisi du litige est proche, et avec lui le spectre du jugement défavorable, les parties n’auront pas nécessairement intérêt à utiliser l’ARA dans le seul but de gagner du temps. La pratique mise en place par les juges des référés du tribunal judiciaire de Paris est excellente à cet égard : la date de l’ARA, comme la date de renvoi, est proche de l’audience initiale. Ainsi, en cas d’échec de l’amiable, aucun temps (ou très peu) n’aura été perdu. Si les parties trouvent un accord, les choses peuvent également être très rapides : le juge qui tient l’ARA peut homologuer directement à l’issue de l’audience l’accord en question et ainsi lui conférer force exécutoire.

Les choses pourraient donc changer en 2024, le développement de l’amiable dans les juridictions étant une des priorités absolues de l’année pour la Chancellerie.

 

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Image : © AdobeStock

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