Moundyr Gainou (EXEC MBA 17) : « Les abus sont nombreux sur le marché de l’automobile d’occasion »
Le marché de l’automobile d’occasion présente des atouts certains à l’heure de l’inflation et de la vie chère. Mais les fraudes sont nombreuses et exposent conducteurs, assureurs et concessionnaires à des risques importants. Explications et recommandations de Moundyr Gainou (EXEC MBA 17), consultant indépendant spécialiste du secteur.
ESSEC Alumni : Comment avez-vous développé votre expertise du marché de l’automobile ?
Moundyr Gainou : J’ai commencé ma carrière comme mécanicien chez BMW après un CAP en mécanique automobile et un BTS dans l’après-vente. Puis j’ai suivi les cours du soir du CNAM et rejoint des équipementiers automobiles sur toute la zone EMEA. Enfin j’ai effectué l’EMBA ESSEC & Mannheim, au terme duquel j’ai porté un premier projet entrepreneurial avec Arthur Kachka (EXEC MBA 17) puis un second en solo. Aucun n’a décollé. Je suis alors devenu consultant indépendant pour les professionnels de l’automobile cherchant à scaler leur modèle économique en France ou à l’international. Ma première mission : lancer la plateforme berlinoise heycar sur le marché français. Deuxième mission, toujours en cours : accompagner cette fois une entreprise lituanienne, carVertical, toujours dans le digital et l’automobile, toujours sur le marché français. Je mets à leur disposition mes compétences techniques, les représente auprès des médias, les introduit auprès des grands groupes et constructeurs du secteur pour booster leur développement commercial…
EA : Entre autres activités, carVertical pilote un indice de transparence du marché de l’automobile d’occasion. Pourquoi s’intéresser à cet enjeu en particulier ?
M. Gainou : Parce qu’il existe une asymétrie d’information particulièrement grande entre acheteurs et vendeurs sur le marché des véhicules d’occasion, ouvrant la voie à de nombreux abus : fraude au compteur kilométrique, dissimulation de dommages (vice caché), falsification de la provenance (voitures qu’on présente comme locales quand elles sont en réalité importées)…
EA : Quelles peuvent être les conséquences de ces abus pour les acteurs du secteur ?
M. Gainou : La fraude rend la vie plus difficile à tout le monde, sauf aux criminels, car elle augmente leur marge bénéficiaire. Les concessionnaires et importateurs se retrouvent dans une position juridique délicate et voient leur réputation ternie. Les assureurs appliquent des tarifs sous-évalués par rapport aux risques réels de panne ou de sécurité qu’ils sont censés couvrir. À l’inverse, les particuliers s’acquittent généralement d’un prix beaucoup trop élevé par rapport à la valeur réelle du véhicule : la surcote s’élève par exemple à +21 % en moyenne en cas de fraude au compteur kilométrique.
EA : Sur quelles données l’indice de transparence de carVertical se base-t-il ?
M. Gainou : L’indice repose sur une étude conduite dans 25 pays où carVertical établit des rapports sur l'historique des voitures d’occasion depuis au moins un an à partir de plus de 900 sources de données. Le score final prend en compte 6 facteurs différents : le pourcentage de compteurs kilométriques trafiqués ; la valeur moyenne de réduction du compteur kilométrique ; le pourcentage de véhicules endommagés ; la valeur relative des dégâts ; le pourcentage de voitures importées ; et l’âge moyen des voitures contrôlées.
EA : Quels enseignements en tirez-vous sur la transparence du marché de l’automobile d’occasion en France ?
M. Gainou : Notre pays se classe au 5ème rang des marchés les plus transparents en Europe avec seulement 3,27 % de fraude au compteur et 41,2 % de voitures inspectées affichant un historique de dommages. En général, plus nous nous déplaçons vers l'Est, plus nous constatons de fraude. Ce phénomène tient en partie au sens de circulation transfrontalière des véhicules, qui tend à aller d’Ouest en Est.
EA : Comment la France se positionne-t-elle par rapport à ses voisins ?
M. Gainou : La France est plus transparente que l’Espagne, l’Italie et la Belgique mais reste derrière le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Suisse et le Danemark. Les bons résultats de l'Allemagne et de la Suisse nous paraissent s’expliquer par une culture d'achat de voiture différente et par un respect plus marqué des lois de manière générale. Le Royaume-Uni constitue un cas à part : son marché est relativement protégé par son système de circulation unique qui empêche les importations des véhicules de l’Europe continentale ; or il est démontré que les véhicules d’occasion importés exposent à un risque aggravé de malversation, les informations se perdant plus facilement d’un pays à l’autre.
EA : Quelles seraient vos recommandations pour améliorer la transparence du marché de l’automobile d’occasion ?
M. Gainou : Les pouvoirs publics doivent s’emparer du sujet, notamment la Commission Européenne. Les contrôles restent aujourd’hui insuffisants, notamment sur la fraude au compteur, les dispositifs de falsification sont accessibles en quelques clics sur Internet et se vendent librement sur les réseaux sociaux. Même laxisme du côté des sanctions, encore trop faibles dans de nombreux pays (pas la France) qui ne considèrent pas ces agissements comme des délits. Il faut aussi renforcer la sensibilisation et l’information du grand public, comme y contribue l’indice de carVertical.
EA : Aujourd’hui, comment se prémunir contre les risques de fraude sur le marché des voitures d'occasion ?
M. Gainou : Avant tout, inspectez l’historique en ligne et utilisez autant de données internationales que possible. Puis consultez le carnet de maintenance et les factures en prêtant particulièrement attention à l’évolution des années et du kilométrage. Vérifiez aussi les contrôles techniques et la cohérence des réparations faites au fil des années. Ensuite, effectuez un essai routier (si possible en ville et sur autoroute) en vous assurant qu’aucun bruit suspect ne provient de la suspension, de la transmission ou du moteur, et que le pot d’échappement n’émet pas de fumée excessive. Enfin, même si vous ne repérez rien de douteux, nous vous recommandons de faire inspecter le véhicule par un professionnel. Un concessionnaire de la marque restera toujours plus fiable (même s’il est plus coûteux) : non seulement il a un œil plus avisé mais il dispose en outre des outils de diagnostic constructeurs et sait exactement ce qu’il faut contrôler.
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
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