Candace Nkoth Bisseck (E12) : « On peut se reconstruire après une relation abusive »
Candace Nkoth Bisseck (E12) publie le premier tome de Miracles sans frontières où elle raconte comment elle a échappé à une relation abusive à Abidjan et réinventé sa vie en Suisse, notamment grâce à l’ESSEC. Rencontre.
ESSEC Alumni : Que raconte votre ouvrage ?
Candace Nkoth Bisseck : Je dévoile un chapitre particulièrement douloureux de ma vie, une relation abusive à Abidjan de 2006 à 2009 avec un homme violent que je surnomme « Scar ». J’explique l’engrenage qui m’a menée dans cette situation anxiogène et dangereuse – mais aussi comment je m’en suis sortie, notamment grâce à mon admission à l’ESSEC. Si certains passages peuvent choquer, il s’agit surtout de livrer un message d’espoir. Je veux que mon expérience puisse servir de cas pratique, d’inspiration pour toute personne traversant un moment difficile, en montrant qu’avec de la foi, du courage, un réseau et certaines décisions stratégiques, on peut réécrire sa destinée.
EA : Avec le recul, êtes-vous en mesure de décrypter par quels mécanismes votre ancien compagnon a pu vous placer sous son emprise ?
C. Nkoth Bisseck : Tout d'abord, j’ai rencontré Scar dans un contexte d’extrême vulnérabilité : âgée d’à peine 20 ans, je venais de perdre successivement plusieurs proches et pour échapper au deuil, je cherchais à reconstituer un noyau familial. Ensuite, Scar a su susciter ma compassion : il s'est lui-même présenté comme victime de sa propre histoire familiale et de certaines de ses relations antérieures, et il a prétendu chercher tout comme moi à fonder un nouveau foyer. Enfin, il s'est positionné comme mon sauveur : ultra-présent, généreux, constant et prévenant dans les premiers temps, il n’a montré son vrai visage qu’une fois la relation solidement établie. Mon manque d’expérience et ma naïveté ont achevé de me mettre à sa merci.
EA : Comment avez-vous réussi à lui échapper ?
C. Nkoth Bisseck : Là aussi, les choses se sont faites en plusieurs étapes. Un premier tournant a eu lieu lorsque j’ai tenté de reprendre mes études à Abidjan, démarche à laquelle Scar s'est violemment opposé. J’ai bien perçu à cet instant qu’il n’était pas sain que mon compagnon refuse de me voir progresser et, incidemment, approcher voire atteindre ou dépasser son propre niveau professionnel. Puis une série d’incidents où il se montrait de plus en plus instable et agressif ont fini par me faire craindre pour ma vie. Combiné à un désir farouche de réaliser mon plein potentiel, ce refus de mourir bêtement m’a donné le courage nécessaire pour envisager mon départ. C’est à ce moment que j’ai amorcé le processus d’admission aux grandes écoles françaises.
EA : Vous écrivez ainsi que l’ESSEC a joué un rôle central dans votre libération…
C. Nkoth Bisseck : Très concrètement, mon admission m’a donné le sésame nécessaire pour pouvoir fuir la Côte d’Ivoire sans avoir à battre en retraite vers mon pays d’origine, le Cameroun – option que j’envisageais plus difficilement car j’avais vraiment besoin d’aller de l’avant, pas de retourner en arrière. Par ailleurs, sur un plan plus psychique, ma réussite au concours m’a donné confiance en moi. Je me suis découvert une persévérance, une force et des compétences que je ne me connaissais pas.
EA : Après l’ESSEC, et une fois libérée de votre relation, vous vous êtes engagée pour le développement des femmes. Quelles actions menez-vous dans ce domaine ?
C. Nkoth Bisseck : J’ai notamment fondé Black Roses Mentors pour aider les femmes à s'épanouir et à rayonner dans leur poste ou leur projet entrepreneurial et au-delà, en leur proposant du coaching, des formations et du mentorat. J’ai ainsi accompagné des centaines de femmes à travers le monde et collaboré avec des organisations comme la Fondation L’Oréal.
EA : Vous avez aussi dirigé pour les Nations Unies l’initiative eTrade for Women…
C. Nkoth Bisseck : Mon rôle a consisté à bâtir une communauté internationale de femmes entrepreneures numériques issues de pays en développement, dans le but de créer à terme une économie plus inclusive dans ces régions. J'ai ainsi facilité des dialogues constructifs avec des décideurs politiques, conçu et animé des programmes de formation, ou encore contribué à la création d'opportunités de collaboration transfrontalières entre les membres du programme.
EA : Cet engagement est aussi en lien avec un autre de vos domaines de compétences : le numérique. Comment avez-vous développé cette expertise ?
C. Nkoth Bisseck : Je me suis initiée au numérique de manière informelle, alors que j'étais étudiante en droit au Cameroun, avec pour hobbies le blogging et l’animation de communautés en ligne. Puis j’ai travaillé à Abidjan pour une entreprise de distribution et services de produits de télécommunications. Une fois à l'ESSEC, j’ai effectué le programme CPI (Création d'un Produit Innovant) où j’ai collaboré avec une équipe pluridisciplinaire à l’élaboration de la stratégie de transition digitale de La Poste. À la fin de mes études, j'ai rejoint le cabinet Polyconseil, spécialisé en innovation numérique, avant d'être recrutée pour diriger une startup du groupe Jumia, géant de l’e-commerce en Afrique, au Cameroun.
EA : Aujourd’hui, vous faites la synthèse de vos différentes expériences avec votre structure Innoa Consulting en Suisse. Pouvez-vous présenter vos activités ?
C. Nkoth Bisseck : Avec Innoa Consulting, je me concentre sur le leadership et l'inclusion en entreprise, avec une base à Genève mais une portée internationale. Mon ambition : aider les dirigeants à bâtir des équipes et des cultures inclusives, performantes et orientées vers l'avenir, grâce au coaching, au conseil, à la formation et à l’animation d'ateliers, entre autres. De temps en temps, j'apporte encore mon expertise à des institutions sur des questions d'entrepreneuriat et d'innovation numérique en tant qu'outils de développement.
EA : Gardez-vous des liens avec le Cameroun et l’écosystème africain ?
C. Nkoth Bisseck : Oui, absolument. Au Cameroun, j'offre depuis plusieurs années dans le cadre de diverses initiatives mon mentorat à des jeunes à fort potentiel, issus de milieux divers, pour renforcer leurs compétences en leadership, favoriser leur croissance personnelle et promouvoir un changement positif dans leurs communautés. Par ailleurs, je préside aussi l’African Professionals Network Switzerland (APNS) qui vise à encourager le réseautage, le développement professionnel et la collaboration sur des projets à impact entre la Suisse et le continent africain. Enfin, il m’arrive de travailler avec des fondations et institutions internationales telles que la Commission Européenne ou l'Union Africaine sur des sujets liés à l'entrepreneuriat, à l'innovation et au leadership féminin comme leviers de développement en Afrique. Sans oublier mon engagement de longue date au sein du programme Leaders Africa de la Fondation Obama.
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
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