Reflets Mag #149 | Éric Bucquet (E99), du militaire au manager
Reflets Mag #149 consacre un portrait à Éric Bucquet (E99), récemment nommé directeur de la sûreté du Groupe Sanofi après 40 ans de commandement militaire qui l’ont mené des tranchées aux plus hauts sommets de l’État. Découvrez l’article en accès libre… et pour lire les prochains numéros, abonnez-vous !
En intégrant l’ESSEC, Éric Bucquet « sort du rang ». À l’origine, il vient d’une autre grande école : Saint-Cyr, promotion lieutenant-colonel Gaucher. Son diplôme en poche, il choisit les Troupes de marine, spécialité blindés, et rejoint les unités de reconnaissance, premières unités engagées au combat. « On débute lieutenant en charge d’un peloton ou d’une section, soit 30 à 40 personnes. Au bout de 4 ans, comme capitaine on prend la tête d’une compagnie ou d’un escadron, soit 140 à 160 personnes. » Les responsabilités restent les mêmes, à différentes échelles : formation des nouvelles recrues, entraînement au combat, gestion des matériels, accompagnement de la montée en compétences, suivi de carrière et des familles… « Au fond, on fait beaucoup de ressources humaines. Et on doit le faire bien, parce qu’on a besoin non seulement de fidéliser les troupes – qui sont constituées à 80 % de contractuels pour 5 ans – mais aussi de leur donner les moyens d’affronter l’épreuve la plus difficile qui soit : la guerre. »
Il ne s’agit pas uniquement de préparation : Éric Bucquet va aussi au feu avec ses soldats. « En 1991, nous avons été déployés pour empêcher l’invasion de Djibouti par une division éthiopienne. En 1992 et 1993, nous sommes partis à Sarajevo avec les casques bleus de l’ONU pour rouvrir l’aéroport et établir un pont aérien humanitaire contournant le blocus. En 1994, nous avons été envoyés en République centrafricaine puis au Rwanda avec ordre de mettre fin aux massacres et d’aider les populations. La nuit, nous assurions la protection de la zone humanitaire contre les attaques du front patriotique rwandais. Le jour, nous assurions un minimum de service public dans un pays où l’administration, la police, la justice n’existaient plus. L’unité a ainsi eu à gérer une épidémie de choléra qui frappait les réfugiés ! »
Nouvelle direction
Après huit années de commandement direct, Éric Bucquet quitte le régiment et rejoint l’École de guerre pour s’initier aux métiers de l’état-major. Une transition qu’il décide de prolonger en effectuant un cursus à l’ESSEC. « J’ai toujours vu un parallèle entre le chef militaire et le chef d’entreprise. L’un comme l’autre doit mobiliser des moyens financiers et humains pour mettre en œuvre une stratégie et atteindre une cible. C’est assez offensif : on parle bien de conquérir un marché… »
Le management occupe aussi une place importante dans les deux positions. « Personne ne fait l’armée pour l’argent : une nouvelle recrue touche le SMIC ! À charge de l’encadrement de motiver la troupe autrement. À certains, nous parlons d’aventure, à d’autres, nous donnons un cadre, des repères. Et, bien sûr, nous fédérons autour des valeurs républicaines. »
Parmi celles-ci, la fraternité, éternelle dernière du triptyque national, passe au premier plan. « Il faut créer des relations fraternelles entre les soldats pour s’assurer qu’ils n’abandonneront jamais leurs camarades dans la bataille. » Un enjeu d’autant plus déterminant qu’il existe une grande diversité de profils au sein des corps. « On travaille énormément sur le groupe. L’uniforme, le règlement, la rémunération identique pour chaque grade (et la transparence à cet égard) aident à créer l’unité. Et l’union fait la force… »
Un homme de troupe
Après l’ESSEC, Éric Bucquet alterne encore pendant plusieurs années entre des postes en régiment et des postes en état-major.
Côté régiment, il devient d’abord chef de bureau opération – instruction du 1er RIMa comptant plus de 1 000 soldats. « Je suis notamment retourné en Bosnie, cette fois avec l’OTAN, pour une mission de pacification ; il s’agissait de lutter contre des insurrections localisées et contre le trafic d’armes, d’accompagner les ONG et la reconstruction, de stabiliser la région et de rassurer les populations. Puis j’ai été promu à la tête du 5e régiment interarmes d’outre-mer basé à Djibouti qui a la spécificité d’abriter toutes les armes – infanterie, blindés, artillerie sol-sol, artillerie sol-air ou encore hélicoptères – dans un environnement avec des unités de la Marine nationale et de l’armée de l’Air et avec un rayonnement international. Nous collaborions quotidiennement avec l’armée locale tout en assurant la formation de troupes yéménites, burundaises, éthiopiennes… Nous avons ainsi entraîné les premières troupes ougandaises qui ont ensuite été dépêchées en Somalie. C’est une grande fierté ! »
Côté état-major, il participe à la rédaction de lois de programmation militaire. « Là, je mettais à profit ce que j’avais appris en cours de finances. La défense constitue la première ligne d’investissement de l’État avec 15 milliards d’euros de ressources à ventiler chaque année pour l’acquisition des outils et technologies qui nous permettront de protéger le pays dans le futur. Pour piloter ce budget, il faut coordonner les besoins des armées en liaison avec la direction générale de l’armement (DGA) et l’État pour les traduire en lignes budgétaires qui permettent de lancer les commandes… et ajuster tous les jours en fonction de l’évolution des coûts et du contexte. »
Sous les ors de la République
Cette expérience marque un tournant en qualifiant le colonel Éric Bucquet pour rejoindre l’état-major particulier du président de la République. « J’étais chargé de suivre toutes les opérations pour le président, de préparer les conseils de défense ainsi que des conseils restreints, d’organiser des auditions avec des dignitaires étrangers, de faire la passerelle entre l’Élysée et les armées, de suivre la mise en œuvre des décisions… J’ai ainsi bénéficié d’une fenêtre d’observation privilégiée du monde politique, d’autant plus passionnante que nous avons été confrontés à de nombreux défis durant cette période : guerre civile en Côte d’Ivoire, retrait d’Afghanistan, crise terroriste au Sahel… »
Appelé sous Nicolas Sarkozy, il est maintenu sous François Hollande, signe de la confiance qu’il inspire en haut lieu – comme le confirme sa nomination, au bout de trois ans, en tant que directeur des opérations de la direction générale pour la sécurité extérieure (DGSE). « Cette fois, j’ai découvert le monde fascinant du renseignement. Je ne peux évidemment rien dévoiler mais je tiens à rendre grâce aux équipes que j’avais sous mes ordres. Ces hommes et ces femmes parviennent à identifier les dangers de demain et à anticiper les prochains coups de nos adversaires au prix de risques extraordinaires, et sans reconnaissance possible, vu la nature obligatoirement clandestine de leurs actions. »
Là encore, ses états de services convainquent. Emmanuel Macron le reconduit pour un deuxième mandat puis lui donne les rênes de la direction du renseignement et de la sécurité de la Défense (DRSD) qui assure la protection des 200 000 collaborateurs du ministère mais aussi du socle industriel et technologique nécessaire à la sûreté du pays. « Cette tâche m’a ramené au contact des entreprises, qu’il s’agisse de grands groupes comme Airbus, Dassault, MBDA, Naval Group, Nexter, Safran ou Thalès, ou de PME, TPE, TPI et startups concourant à notre souveraineté. Toutes font face à des menaces importantes : espionnage, piratage, influence… Malheureusement, la plupart n’ont pas les compétences en interne pour se prémunir. Nous leur apportons donc un support pratique dans une logique de coopération. Par exemple, nous avons créé une Computer Emergency Response Team (CERT) qui, à terme, doit permettre de consulter à tout moment un correspondant spécialisé en cybersécurité. Et lors d’événements professionnels comme le Salon du Bourget, nous expliquons comment présenter des équipements sans s’exposer aux espions et aux vols de maquettes ou de matériels. »
Sans oublier les boucliers économiques. « Nos entreprises pâtissent d’une trop grande vulnérabilité aux rachats étrangers. Nous avons donc initié le recrutement des agents de contre-ingérence économique (ACIE) qui sont renforcés par des inspecteurs sécurité défense (ISD) pour, entre autres, demander aux dirigeants qui les a approchés et éviter, avec l’aide de Bercy et de la DGA, les transactions néfastes à l’intérêt national. »
Le fusil change d’épaule
En 2022, Éric Bucquet fait son adieu aux armes. « J’avais atteint la limite d’âge. Place aux plus jeunes. En tout, j’aurai passé 39 ans sous les drapeaux ! » Cependant il ne connaît pas le repos du soldat ; deux jours après la cérémonie, il est intronisé directeur sûreté du groupe Sanofi. Sa mission : protéger les salariés (dans les pays difficiles), les produits (contre le trafic et la contrefaçon), les infrastructures digitales (contre les cyberattaques) ou encore la réputation (contre les fausses informations, ou l’usurpation de marque). « Autrement dit : je mets en application ce que je préconisais auprès des partenaires de la DRSD. La boucle est bouclée. »
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
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