Reflets #154 | Guillaume Heim (E21) & Emma Rappaport (E19) : « La France se positionne comme grande puissance de la deeptech »
Reflets #154 consacre un dossier à la deeptech. Parmi les contributeurs : Guillaume Heim (E21) et Emma Rappaport (E19) du ministère de l’Économie et des Finances qui font le tour des actions engagées par l’État français pour gagner la course à l’innovation. Découvrez l’article en accès libre… et pour lire les prochains numéros, abonnez-vous !
Reflets Magazine : Quelles sont vos missions ?
Guillaume Heim : Nous faisons partie de la sous-direction de l’innovation qui pilote l’ensemble des politiques publiques d’innovation : plans d’investissements dirigés, écosystèmes, fiscalité, propriété intellectuelle… Dans ce cadre, nous concentrons nos actions sur le soutien à l’innovation de rupture avec d’une part le pilotage du Plan deeptech et des dispositifs de transfert technologique, d’autre part la stratégie d’investissement en fonds propres de l’État ainsi que la structuration du marché privé de financement dans ce domaine.
RM : Quelles actions l’État mène-t-il en faveur de la deeptech ?
Emma Rappaport : Dans le prolongement des Programmes d’investissements d’avenir (PIA) créés en 2010, la France a lancé le Plan deeptech en 2019 pour que les startups du secteur, initialement moins bien couvertes par les outils de financement publics et privés, bénéficient d’un soutien particulier au nom de leurs spécificités : intensité capitalistique en avance de phase par rapport à la commercialisation, marchés cibles souvent peu matures, propriété industrielle importante… Objectif à horizon 2030 : favoriser la création de 500 startups et de 100 sites industriels chaque année ainsi que le développement de 10 licornes, et positionner notre pays comme puissance de premier plan en matière d’innovation de rupture, facteur de croissance sur le long terme et de souveraineté économique.
RM : Quels sont les principaux axes du Plan deeptech ?
G. Heim : Premier axe : investir et renforcer le capital-risque dédié à la deeptech grâce aux fonds directs et aux fonds de fonds gérés par Bpifrance pour le compte de l’État, avec pour vocation de soutenir les sociétés stratégiques et de générer un effet de levier sur les investisseurs privés.
E. Rappaport : Deuxième axe : financer les projets par la création de nouveaux dispositifs opérés par Bpifrance.
G. Heim : Troisième axe : accompagner les projets les plus prometteurs, y compris très en amont, notamment via le renforcement de l’action des sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT) et autres organismes.
E. Rappaport : Dernier axe : simplifier le cadre juridique portant sur le transfert technologique et sur l’implication des chercheurs dans le monde de l’entreprise.
RM : De quels moyens le Plan deeptech a-t-il été doté ?
G. Heim : Au départ, le Plan deeptech prévoyait de mobiliser 3,5 Mds € sur cinq ans. Depuis deux ans, l’enveloppe a été étoffée de 500 M € pour renforcer les actions existantes et créer 25 pôles universitaires d’innovation propices aux synergies entre universités, laboratoires publics, SATT, écosystèmes locaux…
E. Rappaport : Par ailleurs, le Plan deeptech s’inscrit dans le cadre plus large de France 2030, lancé en 2021 et doté de 54 Mds € pour développer la compétitivité industrielle et les technologies d’avenir. Par sa nature, ce programme participe aussi au soutien de nombreuses entreprises deeptech en santé, spatial ou encore agriculture.
RM : D’autres appuis complètent-ils cette offre ?
G. Heim : De manière générale, les opérateurs de l’État – au premier rang desquels Bpifrance mais aussi la Caisse des dépôts et consignations, Ademe Investissement, l’Agence nationale de la recherche – contribuent au Plan deeptech dans leurs champs respectifs.
E. Rappaport : La Mission French Tech accompagne aussi les startups deeptech les plus dynamiques sur des thématiques comme la réglementation, les relations avec les grands groupes ou encore la formation des équipes.
G. Heim : Et le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ainsi que l’ensemble des acteurs de la recherche publique, sont à la source d’une grande partie des startups deeptech les plus prometteuses, particulièrement dans l’écosystème dit de « transfert technologique » qui porte sur les briques de recherche à fort potentiel industriel : Damae Medical dans la détection médicale, Lactips dans les biomatériaux, Alice & Bob, dont Chloé Poisbeau Cantelli (M17) est la chief operating officer, dans le quantique…
RM : Quel impact l’appui de la puissance publique a-t-il eu jusqu’ici pour la deeptech française ?
G. Heim : Une véritable dynamique s’est enclenchée, dont on mesure les résultats sur au moins trois aspects. D’abord, le renforcement de la position française dans la compétition internationale : selon Bpifrance, le nombre de créations de startups deeptech a doublé entre 2018 et 2023, passant de 168 à 340, et le volume de levées de fonds sur le même segment a quasiment été multiplié par quatre entre 2019 et 2023, grimpant d’1,5 Mds € à 4,1 Mds €. La France est ainsi en passe de devenir le premier pays européen en volume de levées de fonds deeptech et le troisième à l’échelle mondiale.
E. Rappaport : Ensuite, le développement de champions sur les technologies stratégiques en lien avec les grands enjeux contemporains : les principales levées de fonds deeptech en 2023 ont concerné la transition énergétique, le numérique ainsi que les produits médicaux innovants.
G. Heim : Enfin, l'augmentation de l’emploi, notamment très qualifié : les évaluations montrent une corrélation directe entre la dynamique de levées de fonds et le nombre de postes créés. À noter, ce phénomène profite à l’ensemble du territoire : 79 % des lauréats de l’appel à projets « Première Usine » sont situés hors des grandes métropoles.
E. Rappaport : Résultat : le benchmark ESNA (European Start-up Nation Alliance) a récemment classé la France première ex aequo en Europe (avec l’Espagne) comme écosystème favorable aux startups et à l’innovation.
RM : Quid du rôle de l’Union européenne ?
G. Heim : L’Union européenne renforce la coopération entre les États membres et favorise les synergies à l’échelle continentale. Le programme Horizon Europe, en particulier, soutient l’innovation de rupture via l’EIC Accelerator et des fonds dédiés aux startups à fort potentiel technologique. Ces dispositifs complètent nos actions nationales, notamment par des cofinancements ou des collaborations transfrontalières, renforçant notre capacité à attirer des investisseurs internationaux.
RM : Comment poursuivre la dynamique actuelle de la deeptech en France ?
G. Heim : La France doit relever trois défis majeurs. Primo, renforcer le passage de la recherche à l’industrialisation. Les innovations deeptech, souvent issues des laboratoires, nécessitent des cycles de développement longs et coûteux. Le Plan deeptech soutient cette transition à travers les SATT et les Pôles universitaires d’innovation, qui rapprochent la recherche de l’industrie et des investisseurs. L’objectif est d’inciter les chercheurs à entreprendre et à faciliter le transfert technologique.
E. Rappaport : Deuxio, développer une offre privée de financement avec des fonds français, notamment sur les segments matures (growth / cross-over). La direction générale des Entreprises et la mission French Tech y contribuent déjà via des dispositifs comme French Tech Seed ou le Fonds national d’amorçage.
G. Heim : Tertio, renforcer l’échelon européen pour encourager la coopération et le financement à grande échelle et ainsi permettre à nos startups de rivaliser avec les géants mondiaux et défendre notre souveraineté, particulièrement dans des secteurs stratégiques comme l’IA, l’énergie propre et le quantique.
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
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