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Kammy Brun (EXEC MBA 23) : « Le secteur aérospatial n’est pas réservé aux hommes »

Interviews

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17/10/2024

Kammy Brun (EXEC MBA 23) évolue dans l’industrie aérospatiale depuis 15 ans. Un secteur à la fois résolument tourné vers l’avenir mais très en retard sur l’égalité femmes-hommes. Analyse à la lumière de sa propre expérience.

ESSEC Alumni : Quel a été votre parcours dans l’industrie aérospatiale ? 

Kammy Brun : J’évolue depuis 15 ans dans le secteur. J’ai notamment été consultante chez NovaSpace (ex Euroconsult), responsable du développement commercial chez Airbus Defense & Space et vice-présidente de la stratégie et du développement commercial de SkyFi US. Je me suis également engagée comme co-présidente du chapitre parisien de Women in Aerospace pendant 3 ans. Aujourd’hui, je dirige à la fois ma société de conseil Kalaxie et la filiale française de Simera Sense, fabricant sud-africain de caméras optiques spatiales.  

EA : Qui sont les principaux acteurs du secteur ? 

K. Brun : Le marché est valorisé à 509 milliards d'USD en 2023. L'Amérique du Nord, l'Asie et l'Europe représentent 80 % du volume d’affaires. Les acteurs du secteur – à majorité B2B, certains B2B2C – appartiennent essentiellement à l’industrie, à la défense et aux administrations publiques et sont soit de grands groupes, comme Airbus, Boeing, Thales, Safran ou SpaceX, soit à l’inverse de nouveaux entrants rassemblés sous la désignation « New Space ». Certaines applications s’adressent plutôt à des clients commerciaux (les communications, la navigation par satellite), d’autres plutôt à des clients institutionnels (la surveillance, la gestion des débris spatiaux). 

EA : Et quelles sont les grandes tendances du secteur ?

K. Brun : Historiquement tourné vers la fabrication de matériel, le secteur s'oriente depuis 10 ans vers les offres « as a service » dans des domaines d’application aussi variés que la défense et le renseignement, la protection de l'environnement et la lutte contre la déforestation, l’océanographie et la surveillance maritime contre la pêche illégale, la prévision et la gestion des catastrophes naturelles depuis les séismes jusqu’aux incendies de forêt en passant par les inondations, l'agriculture de précision, les assurances… Comme vous le voyez, l'espace et les satellites semblent par nature très éloignés de notre vie réelle mais en réalité nous les utilisons tous au quotidien. En témoigne la popularité de Google Map ! 

EA : Comment Simera Sense se positionne-t-elle dans ce contexte ? 

K. Brun : Nous voulons faciliter l'accès aux technologies d'observation de la Terre en développant une charge utile optique standardisée et accessible pour le marché des petits satellites. En 6 ans d’existence, nous avons déjà livré plus de 60 caméras à très haute résolution (VHR), dont 20 se trouvent actuellement en orbite. 

EA : Votre entreprise a été créée en Afrique du Sud et a désormais son siège en Belgique ainsi que des filiales en France et au Royaume Uni. Pourquoi ces différents pays d’implantation ? 

K. Brun : Tout d’abord, l'Afrique du Sud constitue un marché relativement restreint et manque de main-d'œuvre qualifiée, ce qui nous a poussé à développer une partie de nos activités en Europe, qui de surcroît abrite plus de la moitié de nos clients et fournisseurs, et qui bénéficie d’importants financements : à elle seule, l'Agence spatiale européenne (ESA) reçoit 1 171 millions d’euros de l’Allemagne, 1 048 millions d'euros de la France, 448 millions d'euros du Royaume Uni et 292,6 millions d'euros de la Belgique, pour ne citer qu’une partie de ses pays contributeurs. Après, nos différents pays d’implantation tiennent à divers enjeux stratégiques. Nous avons choisi la Belgique pour notre holding et avons levé 15 millions d'euros auprès d’un fonds basé au Luxembourg. La France s’est imposée comme une évidence pour ouvrir notre nouvelle ligne de production : la région de Toulouse est considérée comme l'un des principaux centres spatiaux européens.

EA : Quelles sont les perspectives du secteur aérospatial dans les années à venir ? 

K. Brun : En France, le plan France 2030 prévoit 1,5 milliard d’euros pour le développement du New Space afin de rattraper son retard dans certains segments clés comme les lanceurs réutilisables et les constellations et d’investir dans de nouveaux usages. De nombreux appels à projets ont été lancés dans ce contexte à destination des startups et leur ont permis de décrocher des contrats de plusieurs millions d'euros. En Europe, l'Agence spatiale européenne (ESA), la Commission européenne (CE) et la Banque européenne d'investissement (EIB) apportent de nombreux financements institutionnels aux acteurs du secteur pour les aider non seulement à produire mais aussi à exporter. 

EA : Quid de la féminisation de ce secteur encore très masculin ? 

K. Brun : En effet, les femmes ne représentent aujourd’hui que 10 % des effectifs du secteur, et cette proportion n'a pas beaucoup évolué au cours de la dernière décennie. Si l'on exclut le marketing, la communication, les ressources humaines, le service juridique et la comptabilité, le pourcentage tombe même à environ 3-5 %. Et à 1-3 % pour les postes de direction. 

EA : Comment expliquer cet état des lieux ? 

K. Brun : Comme ailleurs, le phénomène est multifactoriel mais tient en premier lieu à l’autocensure : les études montrent que les hommes postulent à un emploi même s'ils ne remplissent que 60 % des qualifications quand les femmes ne postulent que si elles répondent à 100 % des critères. De même, les femmes évaluent leur performance en moyenne à 46 %, contre 61 % pour les hommes. Pour plus de détails vous pouvez lire l’article que j’ai écrit à ce sujet sur LinkedIn.

EA : Quelles mesures prendre pour tendre vers plus de parité ? 

K. Brun : Tout d'abord, j'encourage tout le monde à simplement reconnaître cet écart de confiance – et plus particulièrement les femmes à oser postuler. De nombreuses personnes de mon réseau ont franchi le cap après en avoir discuté avec moi et ont obtenu leur « dream job » ! Ensuite, nous devons aborder les questions de diversité dès le plus jeune âge, au collèe ou au lycée, pour éviter que les jeunes filles ne croient à tort que seul Thomas Pesquet peut devenir astronaute. Et pour leur expliquer plus largement que le secteur aérospatial n’est pas réservé aux hommes : elles peuvent tout aussi bien faire carrière comme ingénieures systèmes ou PDG d’un fabricant de lanceur spatial. J’ai beaucoup travaillé sur cet axe de la sensibilisation pendant mon mandat à la présidence de Women in Aerospace. Enfin, je ne crois pas que ce sujet puisse être abordé efficacement sans la participation des hommes. Certes, la solidarité féminine a son rôle à jouer, mais pour la diversité comme pour la pensée critique, il faut des groupes de travail mixtes. 

EA : Vous-même, vous êtes-vous heurtée à des difficultés spécifiquement liées au fait que vous êtes une femme ? 

K. Brun : J’ai non seulement dû m’imposer comme rare jeune femme dans mon domaine – je ne compte plus les fois où je me suis retrouvée seule intervenante autour d’une table ronde exclusivement masculine et où j’ai dû lutter contre le syndrome de l’imposteur – mais aussi comme étrangère, étant originaire de Hong Kong et n’ayant pas toujours su parler le français couramment. Après toutes ces années, je crois vraiment que le développement personnel peut s’avérer déterminant face à ces enjeux. Le coaching et les cours de leadership que j’ai reçus lors de mon Executive MBA à l’ESSEC, ainsi que mes échanges avec mes camarades, ont véritablement marqué un tournant pour moi. C'est d’ailleurs pour cette raison que je m’engage comme ambassadrice du programme encore aujourd’hui. 

 

Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni 

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