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Nathalie Marchak (E03) : « J’ai créé la mini-série Les Siffleurs pour interpeller sur le harcèlement de rue »

Interviews

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08/03/2023

À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, France 2 diffuse Les Siffleurs, mini-série sur le harcèlement de rue créée par Nathalie Marchak (E03). Rencontre avec la réalisatrice.

ESSEC Alumni : Comment êtes-vous passée de l’ESSEC à la réalisation ? 

N. Marchak : Déjà en parallèle de l’ESSEC, je suivais des cours d’art dramatique à l’École Périmony. Une fois mon diplôme en poche, j’ai joué au théâtre et j’ai fait des apparitions au cinéma, notamment dans Les Parisiens de Claude Lelouch. Puis j’ai effectué une formation courte en réalisation à la New York University, sur les conseils de Cédric Klapisch, rencontré lors du tournage des Poupées russes. De retour en France, je me suis essayée à de nombreux postes dans le métier : direction artistique sur des moyens métrages, production chez MK2, finance dans une SOFICA… avant de tout lâcher pour porter le scénario de mon premier long métrage Par instinct

EA : Que raconte votre mini-série Les Siffleurs 

N. Marchak : Il s’agit d’un polar qui cherche à interpeller et interroger sur le harcèlement de rue, le cyber-harcèlement, la notion de consentement. Lila, étudiante ravissante incarnée par Ludmilla Makowski (découverte dans Lupin), disparaît brutalement après une soirée entre copines. Elle avait créé @lessiffleurs, un compte sur les réseaux sociaux où elle postait un selfie avec chacun des hommes qui la harcelaient quotidiennement dans la rue. Chargée de l’enquête, la capitaine Marianne Kacem, interprétée par Nadia Farès, ne peut s’empêcher de penser que Lila a été inconsciente de se balader en mini-jupe et a provoqué ses harceleurs. On lui colle un coéquipier, un jeune homme féministe, qui, à l’inverse, pense que tous les harceleurs sont des violeurs en puissance. Au cours de l’enquête, elle retrouve un homme qu’elle n’a pas vu depuis 20 ans, joué par Charles Berling, et qui la confronte à sa propre histoire.  

EA : De quelle réalité êtes-vous partie en écrivant Les Siffleurs 

N. Marchak : En France, 86 % des femmes disent avoir été victimes de harcèlement de rue, 66 % avoir essuyé des sifflets et 31 % avoir subi des attouchements, selon une étude de l’IFOP publiée en 2018. Voilà pour les statistiques. Cependant je suis surtout partie de mon propre vécu. La séquence de harcèlement au début du premier épisode correspond à une des nombreuses agressions que j’ai subies. Je marchais dans la rue quand une voiture a ralenti à ma hauteur. À bord, il y avait trois jeunes passagers qui se sont amusés à m’insulter. Puis ils m’ont barré la route, sont sortis et m’ont plaquée contre un mur. J’ai cru que j’allais me faire violer. Je suis restée sidérée par la peur. Littéralement sans voix. J’ai longtemps rêvé de ce moment par la suite, en imaginant que j’arrivais d’abord à émettre des sons, puis à parler et même à ruser pour m’en sortir. Dans la vraie vie, j’ai eu la chance qu’une voiture de police fasse sa ronde ce jour-là et les mette en fuite. 

EA : Avez-vous porté plainte ? 

N. Marchak : Je n’ai pas porté plainte – ni cette fois ni lors de mes autres agressions – contrairement au personnage de Lila. Elle veut changer le système. Elle représente toute une nouvelle génération qui s’exprime aujourd’hui pour qu’une femme puisse marcher seule dans la rue et s’habiller comme elle le veut, sans crainte, et qui trouve de l’écho à travers de nombreuses associations comme Dis Bonjour Sale Pute, Nous Toutes, La Fondation des Femmes…

EA : Parmi ces personnes qui lèvent la voix, il y a d’ailleurs la jeune femme derrière le compte Instagram @dearcatcallers…

N. Marchak  : En effet, j’ai aussi été inspirée par cette jeune femme très courageuse qui poste des selfies avec les hommes qui la harcèlent dans la rue. Je me suis interrogée sur les risques pris à dénoncer ainsi publiquement ses harceleurs, ainsi que sur les conséquences de cette exposition médiatique pour ces hommes. 

EA : Il est délicat de transcrire dans la fiction un sujet aussi sensible. Quelles précautions avez-vous prises ? 

N. Marchak : J’ai d’abord lu énormément de témoignages de victimes. J’ai ensuite travaillé avec mon co-auteur Laurent Burtin, un homme, afin de toujours équilibrer nos points de vue – car il ne s’agit pas d’un plaidoyer visant à attaquer les hommes mais plutôt d’une invitation à s’interroger sur ces phénomènes afin de les déconstruire, sans jugement. Et en fin d’écriture, j’ai fait lire les scenarii à des commissaires de police afin de recueillir leur ressenti. Cette démarche m’a permis de confirmer que nous étions justes dans l’écriture. 

EA : La mini-série met notamment en scène un décalage générationnel sur la perception de ce sujet. Pourquoi avoir choisi de souligner cette dimension ? 

N. Marchak : Vous rappelez-vous de la tribune sur la liberté d’importuner ? Beaucoup de jeunes femmes n’ont pas compris cette prise de position de certaines de leurs aînées, qui s’étaient par ailleurs battues pour le droit à l’avortement et la liberté sexuelle. De fait, la nouvelle génération va plus loin. Elle ne refuse pas pour autant la « drague », contrairement à ce que certains sous-entendent. Elle ne tolère seulement plus les commentaires sexuels permanents et malvenus dans la rue, dans le métro ou en boîte de nuit. Décrire cette évolution des mentalités et ses conséquences à travers des personnages d’âges différents vise simplement à susciter l’interrogation et la réflexion chez les téléspectateurs. 

EA : En définitive, quel message souhaitez-vous porter avec Les Siffleurs

N. Marchak : J’espère que les parents regarderont la mini-série avec leurs pré-ados, leurs ados, garçons et filles, pour en débattre. Je souhaite déconstruire l’idée qu’il appartient aux femmes d’être vigilantes quand elles sortent de chez elles. Nous devons rééduquer notre société pour que ces agressions du quotidien, qui virent parfois au drame, cessent ! 

EA : Ce n’est pas la première fois que vous défendez un engagement féministe dans votre travail… 

N. Marchak : Mon premier long-métrage Par instinct dénonçait en effet la traite des femmes entre l’Afrique et l’Europe. Je n’ai pas fini de m’emparer de ces sujets, notamment de la prostitution. Je me demande souvent si les pratiques sexuelles tarifées auraient existé dans une société matriarcale.

EA : Vous avez aussi rejoint le Collectif 5050 qui œuvre pour la parité et la diversité dans votre secteur. Quelles solutions cette organisation propose-t-elle ? 

N. Marchak : Le Collectif 5050 a notamment contribué à convaincre Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, d’établir une parité entre les réalisateurs et les réalisatrices de fiction. Je suis convaincue que cet engagement a contribué à la décision de France 2 de diffuser Les Siffleurs par exemple, ainsi que de nombreux autres projets. Je n’étais pourtant pas favorable aux quotas il y a encore quelques années… Mais je pense désormais qu’ils sont nécessaires, de façon transitoire, pour faire bouger les lignes.

EA : Vous vous engagez aussi via la société civile des Auteurs-Réalisateurs-Producteurs (ARP), dont vous êtes la vice-présidente bénévole. Concrètement, quelles actions menez-vous ? 

N. Marchak : Historiquement, l’ARP a été fondée par Claude Berri et 33 cinéastes-producteurs parmi lesquels Agnès Varda, Patrice Chéreau, Gérard Oury, Costa Gavras et Henri Verneuil. Aujourd’hui, elle réunit plus de 200 cinéastes de toutes les générations, hommes et femmes aux cinématographies variées, représentants de la diversité et de la richesse du cinéma français et européen, ardents défenseurs de la liberté et de l’indépendance de la création. Notamment connue pour avoir initié l’adoption du concept d’exception culturelle par 183 pays l’UNESCO, l’ARP participe activement aux grandes négociations sur l’avenir du cinéma et sa régulation sur le plan national et européen, ainsi qu’aux réflexions liées à la chronologie des médias, à l’émergence de nouveaux usages, aux obligations des chaînes de télévision et plateformes, à la transparence économique, à l’exposition et exploitation des films en salles… Et aux violences sexuelles dans le secteur. Les statuts de l’ARP ont ainsi récemment été modifiés pour suspendre tout membre qui serait mis en examen dans une affaire de ce type – comme Roman Polanski. Le dispositif prévoit de le réintégrer s’il bénéficie d’un non-lieu et de l’exclure définitivement s’il est condamné, le temps qu’il purge sa peine. Cette mesure envoie un signal fort à nos membres, qui se doivent de se montrer exemplaires. 

EA : Préparez-vous d’autres projets autour de ces problématiques ?

N. Marchak : Je mène actuellement le casting de mon prochain long métrage en langue anglaise. Il a été sélectionné sur la liste inaugurale de WScripted Cannes Screenplay List parmi 25 scenarii écrits par des femmes à haut potentiel international. Le scénario ne traite pas des violences sexistes, mais il est centré autour d’un personnage de femme forte, de mère puissante qui fait tout, malgré l’adversité, pour réenchanter la vie de son fils. 

 

Retrouvez la mini-série Les Siffleurs sur France 2 les 8 et 15 mars à 21h10 et en replay jusqu’au 15 juillet


Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni

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