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Jérôme Calot (E06) : « Votre argent à la banque peut financer des activités nocives pour l’environnement »

Interviews

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05/07/2023

Souvent, l’argent que vous déposez sur vos comptes courants ou épargne est réinjecté dans des activités nocives pour l’environnement. Comment éviter cette utilisation de vos fonds ? Le regard de Jérôme Calot (E06), directeur marketing et communication de la néobanque Helios.

ESSEC Alumni : Comment l’argent déposé et placé à la banque par les particuliers peut-il contribuer à la crise environnementale ?

Jérôme Calot : La création monétaire et l’octroi de financements par les banques reposent sur un équilibre avec la collecte de liquidités auprès de leurs clients. Par ce biais, l’argent déposé sur les comptes courants ou épargne des particuliers peut s’avérer abonder les projets les plus nocifs pour l’environnement : production d’énergie fossile, industries polluantes, agriculture intensive… Selon l’ONG Reclaim Finance, les grandes banques françaises ont ainsi accordé plus de 11 milliards de dollars aux 9 premières entreprises pétrolières et gazières américaines et européennes en 2022, portant le financement total des énergies fossiles à 1 331 milliards de dollars depuis la signature des Accords de Paris en 2015.

EA : La pression réglementaire s’est pourtant accrue sur le secteur bancaire ces dernières années autour de ces questions…

J. Calot : Il n’y a pas de réglementation contraignante : chaque établissement est libre de faire les choix de financement et d’investissement qu’il veut, avec le niveau de rentabilité et de risque qu’il décide. Certes, depuis 2017, les banques peuvent tomber sous le coup de la Directive sur le Devoir de Vigilance qui les oblige à prévenir et réparer les violations des droits humains et les dommages environnementaux engendrés par leurs activités. BNP Paribas a ainsi été assignée sur ce motif début 2023. Mais les dernières décisions de justice en la matière révèlent de grandes difficultés à faire appliquer les textes.

EA : La donne peut-elle changer dans un futur proche ?

J. Calot : L’adoption récente d’un dispositif dédié par l’Union Européenne pourrait rebattre les cartes. Cependant pour l’heure la nouveauté vient surtout de la réglementation sur la communication extra-financière qui pousse les entreprises à fournir des informations sur leurs impacts sociaux, environnementaux et sociétaux. Cette déclaration de performance extra financière (DPEF) est appelée à se généraliser et se normaliser, ce qui devrait permettre de fiabiliser les données et de comparer les entreprises entre elles. Alors les banques devront faire face à leurs limites et contradictions ainsi qu’aux attentes des parties prenantes désireuses de les voir s’impliquer davantage dans la transition écologique.

EA : Est-il caricatural d’affirmer qu’à ce stade, les banques traditionnelles ont des politiques d’investissement « irresponsables » ? Certaines ne prennent-elles pas des mesures – ou du moins ne proposent-elles pas des alternatives à leurs clients ?

J. Calot : Les chiffres montrent sans ambiguïté que les produits d’investissement ou les financements responsables ne représentent encore qu’une goutte d’eau dans l’activité des banques traditionnelles aujourd’hui. Peut-on par exemple considérer qu’il est responsable de continuer à soutenir le développement d’un major pétrolier dont le renouvelable est censé représenter moins de 10 % de son activité à horizon 2030 ? Ou soutenir une entreprise dont la stratégie aggrave de façon certaine l’augmentation de la température bien au-delà des engagements climatiques mondiaux ?

EA : Existe-t-il des solutions pour les particuliers souhaitant que leur argent en banque ne nourrisse pas des activités à impact négatif ?

J. Calot : Il existe des établissements éthiques qui font des choix d’investissement forts et qui sont transparents sur les financements accordés. C’est le cas d’helios, entre autres.

EA : Comment s’assurer qu’une banque ne tient pas un double discours sur le sujet ?

J. Calot : Si on s’en tient aux déclarations de son établissement, on n’a pas de fortes garanties. La meilleure solution consiste à se référer aux conclusions des observateurs indépendants qui suivent les activités des banques, le respect de leurs engagements et le fléchage de leurs financements. Chez helios par exemple, nous avons fait estimer l’impact carbone de nos investissements par un organisme externe, qui a confirmé que nos comptes étaient parmi les moins émissifs en CO2 en France en 2022.

EA : De leur côté, comment les banques peuvent-elles contrôler l’impact de leurs produits d’investissement ? 

J. Calot : Les banques sont responsables de l’utilisation finale des fonds qu’elles octroient. Elles doivent limiter les usages non fléchés des financements et les montages complexes qui empêchent les informations de circuler correctement, et mener leurs propres évaluations d’impact avec des méthodologies et des taxonomies officielles – elles-mêmes rendues publiques pour que des acteurs extérieurs puissent les évaluer à leur tour.

EA : La finance dite responsable n’est pas exempte de polémiques – on pense notamment au déclassement récent de nombreux fonds Article 9. Quel regard portez-vous sur ces failles ? 

J. Calot : Selon moi, il ne s’agit pas de failles mais d’affaires de greenwashing. Le véritable problème, c’est que les fonds concernés ont pu utiliser des termes flatteurs pour induire en erreur sur la véritable durabilité de leurs instruments financiers. Heureusement, les régulateurs veillent et n’hésitent plus à agir pour alerter ou sanctionner. Les labels évoluent, la transparence progresse et la vigilance des parties prenantes aussi.

EA : Les particuliers qui s’estiment floués disposent-ils de recours ? 

J. Calot : Seules les actions collectives me paraissent susceptibles de faire bouger les lignes et de créer des jurisprudences contraignantes pour les entreprises. Mais la probabilité de recouvrer ses pertes reste faible compte tenu des efforts à engager pour caractériser un éventuel manquement des acteurs financiers, bien protégés derrière les pare-feux juridiques de leurs services Risques & Conformité… Mieux vaut prévenir que guérir en se posant les bonnes questions en amont et en s’en remettant aux labels les plus exigeants.

EA : Quid de la rentabilité ? Les faillites récentes aux États-Unis rappellent que la santé d’un établissement bancaire dépend grandement de la performance de ses investissements – et qu’on est particulièrement fragile lorsqu’on n’est pas « too big to fail ». Comment les néobanques se mesurent-elles aux acteurs traditionnels sur ce plan ? 

J. Calot : Difficile de comparer un établissement bancaire traditionnel et une néobanque tant les différences sont nombreuses : l’exposition au risque, le montant d’actifs sous gestion, l’empreinte géographique des investissements… Par ailleurs, les néobanques ne disposent que très rarement d’une licence bancaire complète : leurs fonds sont donc cantonnés dans des établissements bancaires qui portent une grande partie du risque. Le principal danger qui guette ces nouveaux acteurs est plutôt leur capacité à se financer (capital-risque ou dette) en attendant de passer le seuil de rentabilité, dans un contexte où les financements se font plus rares et plus sélectifs.


Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni

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