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Mohamed Touré (M12) : « La tech africaine enregistre la croissance la plus rapide du monde »

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08/02/2023

Passé par l’école d’ingénierie informatique ESIGELEC puis par EY, Mohamed Touré (M12) est aujourd’hui directeur général de Sqorus West Africa, basé en Côte d'Ivoire. Son métier : accompagner la transformation digitale d’entreprises et d’organisations publiques en Afrique. Il explique les enjeux de la révolution numérique en cours sur le continent. 

ESSEC Alumni : Quels enjeux spécifiques la transformation digitale soulève-t-elle en Afrique ? 

Mohamed Touré : La situation diffère selon les pays, mais on peut évoquer quatre enjeux majeurs. Premier enjeu : le manque de formation – autant à destination des particuliers que des entreprises. Si la pénétration de l’Internet mobile est estimée à environ 42 % en Afrique de l’Ouest, seule une faible part de la population possède une véritable éducation numérique lui permettant d’appréhender les outils mis à sa disposition et de tirer la pleine mesure des opportunités offertes par ces derniers.

EA : Quel est le deuxième enjeu majeur ? 

M. Touré : Le manque de fonds. Bien sûr, les États africains sont conscients de la nécessité d’investir pour lutter contre la fracture numérique ou pour dynamiser les jeunes pousses de l'entrepreneuriat digital. Cependant le développement de l’écosystème repose encore en majorité sur les financements d’acteurs privés, notamment du secteur de la télécommunication si l’on prend l’exemple de la Côte d’Ivoire. Pourtant, selon un rapport d’IFC et de Google, l’économie numérique pourrait représenter 5,2 % du PIB du continent à l’horizon 2025.

EA : Et le troisième enjeu ? 

M. Touré : Le manque de « maturité ». Si le digital est omniprésent dans les habitudes de consommation, il peine encore à s’imposer dans la vie économique. Les acteurs de l’économie informelle (petits commerçants, ouvriers…) l’exploitent encore trop peu dans leurs activités. Et dans les entreprises plus formalisées, les directions informatiques restent souvent perçues comme des centres de coûts plutôt que comme de véritables partenaires permettant de se différencier en innovant. Pire, elles peuvent susciter la méfiance, car la digitalisation expose aussi à de nouveaux risques : 64 % des entreprises africaines ont subi une cyberattaque en 2021.

EA : Quid du quatrième enjeu ?

M. Touré : Le manque d’infrastructures – et le coût élevé des équipements. L’accès des populations au haut débit demeure lent et inégal : certaines régions de la Côte d’Ivoire n’avaient pas encore accès aux réseaux 3G et 4G en 2022. Les acteurs locaux de la télécommunication se mobilisent néanmoins pour étendre la fibre à de nouvelles localités dans le pays. Un projet de déploiement mené par Orange Côte d’Ivoire et Huawei devrait également fournir une connectivité de base à plus de 100 localités extra-rurales d'ici peu.

EA : À l’inverse, de quels atouts l’Afrique bénéficie-t-elle pour sa transformation digitale ? 

M. Touré : La population africaine est majoritairement jeune et sensible au numérique. Les réseaux sociaux et les applications mobiles font partie intégrante des modes de consommation, ce qui nourrit le développement de l’entrepreneuriat numérique et la croissance de l'e-commerce en particulier. Par ailleurs, le passage à la 5G, entamé en 2018, s’accélère en Afrique de l’Ouest et ouvre de nouvelles opportunités.

EA : Et quelles problématiques spécifiques à l’Afrique le numérique permet-il de traiter ? 

M. Touré : Les exemples sont multiples ! La transformation digitale permet à l’Afrique de désenclaver les zones rurales, d’améliorer les taux de pénétration bancaire et l’inclusion financière des populations, de faciliter l’accès aux informations avec Internet et l’accès aux soins avec l’e-santé, de renforcer les services publics et la transparence des dépenses publiques, d’insérer les entreprises locales dans l’économie mondiale…

EA : Ces enjeux sont-ils généralisés en Afrique ? Ou varient-ils en fonction des régions et des pays ? 

M. Touré : Bien que le déploiement du numérique ait pris de l’avance en Afrique de l’Est, les enjeux restent pour la plupart similaires d’une région à l’autre. Par exemple, les inégalités de couverture réseau s’observent partout.

EA : Où en est l’Afrique par rapport au reste du monde sur le plan de la transformation digitale ? 

M. Touré : La tech africaine a enregistré en 2021 la croissance la plus rapide du monde pour atteindre une valorisation totale de 5,2 milliards de dollars. Contrairement à ce que laissent entendre certains, on ne peut pas dire que l’Afrique soit en retard – d’autant que le point de départ n’est pas le même pour tous les continents ! Certes, certaines activités se développent plus lentement qu’ailleurs du fait de nécessaires adaptations au contexte local : c’est le cas du e-commerce qui, malgré son attractivité auprès des consommateurs, pâtit des insuffisances de la géolocalisation et des infrastructures routières dans de nombreuses régions. Mais de nombreuses avancées ont été réalisées ces dernières années dans d’autres secteurs.

EA : Qui sont les principaux acteurs de la transformation digitale en Afrique ? 

M. Touré : Les États jouent bien évidemment un rôle central. Ils définissent des stratégies nationales ambitieuses, créent des pôles technologiques dédiés à la recherche ainsi que des data centers, sensibilisent les populations et agissent contre la fracture numérique. Ils sont souvent accompagnés dans ces actions par des partenaires techniques et financiers, qu’ils s’agissent de l’Union Européenne ou de la GIZ, ou d’entreprises provenant des États-Unis, de l’Inde, du Japon ou de la Chine.

EA : Pour autant, les entreprises africaines ne sont pas en reste…

M. Touré : En effet – notamment les acteurs de la banque, des assurances et des télécommunications qui se positionnent en véritable sponsors de la transformation digitale en Afrique. On a ainsi récemment vu l’opérateur de téléphonie Orange Côte d’Ivoire signer un partenariat avec le leader de la production rizicole pour promouvoir la digitalisation de la filière du riz dans le pays. N’oublions pas en outre les cabinets de conseil comme Sqorus, dont les effectifs comptent de nombreux jeunes issus de la diaspora qui jouent un rôle important dans la sensibilisation des dirigeants et l’accompagnement des organisations. Saluons enfin le travail de certaines ONG, associations et fondations spécialisées qui ont constitué des bases de données précieuses, utilisées comme support et tremplin pour divers programmes nationaux.

EA : Quelles sont les perspectives de la transformation digitale en Afrique pour les années à venir ? 

M. Touré : Les secteurs les plus demandeurs en solutions digitales seront sans doute l’agriculture (pour contrôler l’impact météorologique et optimiser les rendements), l’industrie (pour automatiser les processus et augmenter la productivité), le public (pour raccourcir les délais des procédures administratives), les services (pour optimiser les processus et booster l’e-commerce) et la fintech (pour compléter l’offre du secteur financier traditionnel).

 

Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni

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