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Thibault Daniel (BBA 10) : « Il faut un changement systémique dans le secteur de la communication »

Interviews

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13/06/2023

Thibault Daniel (BBA 10) est directeur général adjoint de l’agence de communication événementielle et digitale Halloween Agency, qui emploie une trentaine de collaborateurs à Toulouse et Paris, pour une cinquantaine de clients dont Heineken, Canon, RayBan et Moët Hennessy Diageo. Il décrypte les tendances du secteur depuis le tournant qu’a marqué le COVID-19 et donne ses conseils pour évoluer dans le domaine.

ESSEC Alumni : Le secteur de l’événementiel a-t-il totalement dépassé le COVID-19 ? 

Thibault Daniel : Le COVID-19 a été un coup dur. Cependant la pandémie a été suivie à la fois par un effet de rebond et par un effet de report. Résultat : beaucoup de projets d’envergure se sont tenus en 2022. Le marché me paraît ainsi être revenu au niveau de l’avant COVID-19, avec de nombreux appels d’offre. Toutefois les attentes des clients ont changé et de nouvelles compétences sont devenues essentielles : le livestream, l’audiovisuel en général, la scénographie, les vues 3D, le motion design… Ces évolutions d’envergure ont contribué à un mouvement de concentration des acteurs sur le marché des agences de communication, avec divers rachats et fusions.

EA : Aujourd’hui, quelles sont les évolutions et tendances majeures de l’événementiel ? 

T. Daniel : Un nombre croissant de marques place désormais l’événementiel au cœur de leur stratégie, plutôt que de le considérer comme un simple canal de communication parmi d’autres. D’où une véritable montée en gamme : les agences doivent redoubler de créativité et, dans cette optique, recruter des talents de plus en plus pointus pour la conception et la production de leurs événements. Autre tendance : l’articulation de plus en plus intime avec le social media. Les événements font non seulement l’objet d’une importante communication en amont sur les réseaux, mais aussi de multiples posts produits par les participants eux-mêmes. L’influence bouscule aussi les choses avec des coûts contacts réduits et une vraie capacité à déplacer les foules grâce à certains créateurs de contenus populaires sur Instagram ou TikTok. Sans oublier les évolutions de l’intelligence artificielle, notamment dans l’univers de la scénographie : on voit fleurir des « prompt art » assez dingues, de faux pop-up stores ou de fausses « collabs » entre marques. Ce qui n’est pas sans soulever des questions : il devient facile pour une agence ou une marque d’organiser des « fake events », c’est-à-dire de faire croire qu’elle a réalisé telle ou telle opération promotionnelle incroyable à l’autre bout du monde, alors qu’il n’en est rien !

EA : Comment les agences de communications répondent-elles à ces évolutions ?  

T. Daniel : En ce qui nous concerne, nous sommes passés d’agence d’hôtes et d’hôtesses et d’animation puis agence de communication événementielle à agence de social media et de production de contenus… Aujourd’hui, nous recommandons quasi systématiquement une approche phygitale. D’un côté, l’événementiel sous toute ses formes : pop-up stores, lieux éphémères, événements corporate, lancements de produits, événement RP, stands de marques… De l’autre, la sphère digitale, particulièrement les réseaux sociaux : stratégie, production de contenus, influence… 

EA : L’événementiel est régulièrement pointé du doigt pour son impact environnemental. Comment traitez-vous ces enjeux ? 

T. Daniel : Nous avons déjà mis en place des bonnes pratiques : gestion des déchets, végétalisation de l’offre traiteur, réemploi de certains décors qui sont revalorisés par des acteurs comme ArtStock, upcycling dès que possible, stockage et réutilisation au maximum des éléments produits au fil des années, production française ou à minima européenne sur les textiles… Mais je suis conscient que ces efforts ne suffiront pas à impulser un vrai changement systémique. Autrement dit : selon moi, il faut que les marques sortent moins de produits, qu’elles réduisent leurs messages et qu’elles se lassent moins vite de leurs propres campagnes, notamment événementielles. On constate beaucoup d’impatience : « On fait quoi de nouveau cette année ? » Or cette question devrait toujours être précédée par une autre : « Qu’est-ce qui a bien marché et qu’on peut garder tel quel ? ». Red Bull fait ses courses de caisse à savon depuis 23 ans. Dans le monde entier. Et ça fait toujours marrer autant de monde ! Privilégier la continuité permettrait de limiter l’impact de la production des événements. Ceci étant posé, à nous les agences de recommander avec plus de conviction et de courage des solutions à faible impact écologique.

EA : Quelles sont les perspectives de l’événementiel pour les années à venir ?

T. Daniel : Dur à dire, mais je sais ce que je souhaite à titre personnel : des événements populaires. Accessibles. Fédérateurs. Je suis un fervent défenseur du « grand public ». Celui qui rassemble et dont l’envergure joue un rôle dans l’expérience vécue et partagée. Je préfèrerai toujours un événement pour 1 000 quidams que pour 10 privilégiés. Et je pense qu’on a besoin de se rassembler. Par ailleurs j’espère que les marques vont prendre leur courage à deux mains et se mettre à créer leurs propres événements au lieu de payer pour des gros logos en festivals. Elles me paraissent avoir tout intérêt aujourd’hui à développer une « signature événementielle ». D’autant que les « collabs » et le phénomène de « drop culture » devraient continuer à favoriser encore davantage les pop-up stores, les lieux éphémères, les expériences inédites…

EA : Au début de votre carrière, vous travailliez dans la musique. Comment êtes-vous passé de ce secteur à la communication ? 

T. Daniel : Ces expériences m’ont permis de toucher à deux sujets sur lesquels le secteur de la musique a toujours été en avance : d’une part, le live ; d’autre part, les communautés digitales, les artistes ayant toujours fédéré de très importantes audiences sur Internet (MySpace puis Facebook à l’époque). Les parallèles avec la suite de ma carrière me semblent évidents : des univers à créer, des communautés à fédérer avec des temps courts pour les rassembler offline et des temps longs pour les animer online… Je suis simplement passé d’une communication « pour des artistes » à une communication « pour des marques ».

EA : Quels conseils donnez-vous aux ESSEC souhaitant s’orienter vers la communication ou l’événementiel ? 

T. Daniel : Primo, impliquez-vous dans une association dès vos études. Sport, musique, voyage, peu importe la thématique : c’est un élément déterminant quand nous consultons les CVs. Deuxio, fournissez un book ou un portfolio au lieu d’une lettre de motivation. Montrez ce que vous avez fait, même s’il s’agit de projets « fictifs » dans le cadre de vos cours. Tertio, exercez-vous sur les réseaux sociaux. Testez des posts, dépensez quelques dizaines d’euros en achat média, créez des pages, des comptes, essayez de comprendre l’envers du décor au-delà d’un usage personnel.

EA : Et aux ESSEC recherchant une agence de communication ou d’événementiel pour leur entreprise ? 

T. Daniel : Le marché me paraît assez lisible aujourd’hui pour qui s’y intéresse. Donc commencez par taper à la bonne porte selon votre besoin. Consultez des collègues, des anciens camarades d’école, demandez des recommandations pour telle ou telle agence. Assurez-vous aussi que vous pouvez vous payer ce que vous avez en tête. N’hésitez pas à appeler directement les agences que vous envisagez : il leur suffira de quelques informations pour vous donner une première fourchette de budget. Ensuite, prévoyez 3 à 4 semaines minimum entre le brief et le rendu de la recommandation et du budget détaillé, ainsi qu’une compensation financière pour les agences qui perdront votre appel d’offres – même 1 500 €, c’est mieux que rien ! Et si je travaillais chez l’annonceur, je procèderais toujours comme suit : 3 agences en compétition. Pas plus. 2 spécialistes qui connaissent mon secteur d’activité, qui me rassurent et qui affichent des réalisations en ligne avec ce que je souhaite pour ma boîte. Et 1 agence totalement outsider, qui n’a jamais bossé dans mon domaine mais qui a des références solides et qui peut dynamiser un peu le tout.


Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni

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