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Sandrine Lilienfeld (E89), présidente de Caroll : « Le hasard des rencontres fait parfois que les destins changent »

Interviews

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26/01/2018

Début 2017, Reflets #117 consacrait sa couverture à Sandrine Lilienfeld (E89), qui venait de prendre les rênes de la marque de prêt-à-porter Caroll. Un an plus tard, ESSEC Alumni met en accès libre l’interview fleuve de cette pétillante cinquantenaire qui aura fait toute sa carrière dans l'industrie de la mode, des Galeries Lafayette à Gérard Darel, en passant par Etam, Kookai et Naf Naf.

ESSEC Alumni : Vous avez réalisé l'ensemble de votre carrière dans l'industrie de la mode et du prêt-à-porter, est-ce un hasard ?

Sandrine Lilienfeld : Pas tout à fait. Lorsque je suis entrée à l'ESSEC après une maîtrise de gestion à la Sorbonne, j'étais étudiante salariée et travaillais pour l'essentiel dans les grands magasins en fin de semaine et pendant les vacances. À l'époque, j'étais déjà extrêmement intéressée par le secteur de la mode et des cosmétiques. Parallèlement à cela, à l'ESSEC, j'avais choisi les cours les plus techniques comme contrôle de gestion, consolidation, optimisation fiscale, mais aussi les cours de management et de stratégie, parce que j'avais le sentiment que c'est ce qui me serait le plus utile le jour où je voudrais être entrepreneur. Et je me disais que, dans le fond, les cours de marketing ne servaient pas à grand-chose et que cela s'apprenait sur le tas. Je me suis donc naturellement dirigée vers la distribution, ce qui était beaucoup moins hype et beaucoup moins bien payé que ce à quoi la plupart d'entre nous se destinaient à la sortie de l'école.

EA : Pourquoi ce contre-pied ?

S. Lilienfeld : Cela fait partie de mon tempérament. Je n'avais tout simplement pas envie d'être dans le moule des grandes promos. Au cours de ma scolarité, j'avais pourtant fait un stage chez Arthur Andersen que je n'avais d'ailleurs pas trouvé désagréable, et qui s'était à ce point bien passé que cette grande maison m'avait embauchée, avant que je ne donne finalement ma démission au bout de seulement quinze jours. C'était possible en ce temps-là, tout simplement parce que les jeunes diplômés étaient assurés de trouver rapidement un emploi à leur mesure, et n'avaient pas trop à se préoccuper de l'avenir. Je ne l'ai jamais regretté, cela s'est même révélé être un très bon choix stratégique. C'est ainsi que je me suis retrouvée à travailler aux Galeries Lafayette, qui testait pour la première fois l'embauche de jeunes diplômés issus de grandes écoles, avec l'objectif de faire monter en compétence leurs services marketing et leurs services achats en recrutant des personnes plus ouvertes à l'international, mieux structurées intellectuellement, avec une vision plus construite. J'y ai passé quatre années, comme acheteuse lingerie d'abord, puis prêt-à-porter, ce qui m'a permis d'acquérir une solide culture mode. Et puis j'ai profité d'un congé maternité pour aller voir ce qui se passait ailleurs.

EA : Et c'est ainsi que vous rejoignez le groupe Etam comme directrice des achats...

S. Lilienfeld : C'était au milieu des années 1990 et, à l'époque, le groupe était déjà une entreprise très innovante, leader sur son marché et disposant d'une culture du résultat et du management extraordinaire. Les presque onze années que j'y ai passées ont réellement façonné et structuré tout ce que je connais aujourd'hui du retail en France. J'étais un peu l'oiseau rare pour eux, sortie d'une grande école avec quatre ans d'expérience en lingerie et prêt-à-porter, un profil peu courant dans la mode, ce qui me valait d'être affublée de l'étiquette « cadre d'avenir » ou « cadre à haut potentiel », je ne me rappelle plus bien. En tout cas, j'ai été recrutée en tant que chef de produit, puis rapidement nommée chef de groupe, sorte de poste intermédiaire entre chef de produit et direction des achats, ce qui constituait alors une première chez Etam. J'ai beaucoup appris au contact de Pierre Milchior, patron et actionnaire de la marque, véritable visionnaire et très ouvert sur le monde, ce qui a notamment permis à sa société d'être l'une des toutes premières à s'installer en Chine.

EA : Etam qui, dans ces années-là, était aussi très en avance en matière de management...

S. Lilienfeld : Oui, avec un DRH, Jean-Claude Olivier, qui avait compris très tôt que pour conserver ses cadres en devenir, le salaire et les bonus ne suffisaient plus, il fallait offrir autre chose. C'est ce qui les a notamment conduits à engager un programme de management sur trois ans, qui m'a permis par exemple de parfaire ma formation dans le secteur du retail mode en allant suivre des cours au FIT (Fashion Institute of Technology) à New York, ou encore de participer à nombre de projets de développement, parmi lesquels l'implantation de la marque en Chine. J'avoue avoir vécu une période particulièrement exaltante, une sorte d'aventure mêlant exigence absolue du résultat et culture managériale « top » qui permettait de fêter tous les succès, sans oublier que nous disposions d'avancées technologiques importantes, particulièrement pour tout ce qui concernait l'ensemble des systèmes de réapprovisionnement. Etam Lingerie, dont j'étais devenue à la fois patronne du style, des achats, de la qualité et de l'internationalisation des collections, connaissait alors une croissance à deux chiffres, nous étions toujours poussés à l'excellence dans un esprit d'innovation et de grande liberté. Nous étions en permanence formés au management, à l'écoute, avec des réflexions à long terme sur le plan de carrière des talents de l'entreprise, ce qui était très nouveau au début des années 2000. Je peux affirmer qu'Etam a complètement façonné ma culture managériale.

EA : Pourquoi alors en être partie ?

S. Lilienfeld : Je n'ai jamais imaginé un jour quitter Etam, d'autant que j'avais pour objectif naturel de devenir numéro un de la lingerie. Seulement, le hasard des rencontres fait parfois que les destins changent. Ces rencontres, c'est d'abord Jean-Michel Noir, le patron de La Halle aux vêtements, qui cherchait depuis quelque temps à me faire venir travailler à ses côtés. Malgré mon refus, nous sommes restés en contact, jusqu'au jour où il me conseilla de rencontrer Georges Plassat qui venait de quitter le groupe Carrefour pour prendre la présidence de Vivarte. Au cours de notre entretien, il m'a proposé de rejoindre Kookai pour donner un coup de main à Jacques Levy au redressement de la marque qui ne se portait pas très bien, avec la promesse à terme de m'offrir une direction plus importante et de me faire entrer dans le LBO. La perspective d'être au cœur de la stratégie du groupe était extrêmement tentante, sans compter que Georges Plassat souhaitait que je sois à ses côtés en tant qu'expert opérationnel sur la partie retail pour les futures acquisitions. Difficile de résister à une telle offre, et me voilà donc partie dans l'aventure comme supply chain director, ce qui incluait l'informatique, la gestion centrale et la direction des filiales à l'étranger. Deux années plus tard, Kookai était devenu à nouveau rentable.

EA : Jusqu'à l'acquisition de Naf Naf et Chevignon par Vivarte...

S. Lilienfeld : Deux ans après, comme prévu, je prends la direction générale de Naf Naf, puis un peu plus tard la présidence du groupe Naf Naf Chevignon. Un vrai coup de cœur et une expérience absolument extraordinaire avec les frères Patrick et Gérard Pariente, les créateurs de la marque, des gens d'une incroyable créativité et d'un incroyable culot. Rien à voir avec tout ce que j'avais pu connaître auparavant en termes de culture d'entreprise. La marque était rentable grâce au wholesale et aux licences, mais ne gagnait pas du tout d'argent en retail. Ma manière de fonctionner, qui consiste à aller vite tout en offrant une forte délégation, m'a conduite à devoir renouveler la presque totalité du comité de direction, malgré la grande richesse humaine au sein de l'entreprise. Et c'est cette rapidité, cette agilité, combinées à la créativité de l'équipe, qui nous ont permis d'exister et de résister face à nos deux grands concurrents qu'étaient Zara et H&M. On avait un peu un fonctionnement start-up, avec une présence importante sur les réseaux sociaux, ce qui a largement contribué au développement de la marque. Sans aucun doute ma plus belle aventure humaine et managériale.

EA : Après un peu plus de deux années passées à la tête de Gérard Darel, vous présidez aujourd'hui aux destinées de Caroll, l'un des fleurons de Vivarte. Pourquoi ce retour dans le groupe ?

S. Lilienfeld : Parce que j'étais restée très attachée à Vivarte. Après avoir quitté Gérard Darel à la fin de 2015, j'ai pris un plaisir énorme à donner un coup de main à deux start-up en plein devenir, Dagobear, jeune griffe de sous-vêtements masculins, et Ekyog http://www.alumni.essec.edu/fr/magazine-fr/entrepreneurs/ekyog/, installée à Rennes, spécialisée dans la mode bio et écologique, et fondée par Louis-Marie Vautier (G03). Cela m'a permis de m'essayer au management de transition. Une expérience qui m'a beaucoup enrichie, parce que l'univers des start-ups représente une autre génération, ce qui permet aussi de comprendre où va le monde. Parallèlement, j'avais rejoint le board de Simone Pérèle, avec un rôle d'accompagnement dans la réflexion et la mise en œuvre de la stratégie de la société, ce que je fais aujourd'hui encore. J'étais toutefois toujours à la recherche d'un job, lorsque Patrick Puy, le nouveau patron chargé de redresser les comptes de Vivarte, m'appelle au début de cette année pour m'occuper de Caroll, une cible qui m'intéresse parce qu'il s'agit d'une très jolie histoire de marque, avec un positionnement qui me plaît, celui de la femme de 40-50 ans. C'est un véritable challenge, avec l'objectif de remettre plus de mode et de retravailler la relation client, inventer autre chose malgré un passé prestigieux. Il m'était impossible de refuser une si belle proposition.

EA : Que retenez-vous de votre passage à l'ESSEC ? A-t-il été structurant pour votre carrière ?

S. Lilienfeld : Une des richesses de l'école est la liberté que l'on offre aux étudiants de pouvoir choisir les matières qu'ils souhaitent étudier. Je conserve le souvenir d'une réelle liberté et d'une véritable indépendance. Admise sur titre, j'ai également été marquée par l'ouverture d'esprit et l'accueil de l'école, et je considère que cette ouverture ainsi que son système d'admission sur titre représentent une stratégie gagnante vis-à-vis de ses concurrentes. La démarche entrepreneuriale qui permet de vendre ses idées fait selon moi partie de la capacité de créativité propre à l'ESSEC. C'est aussi ce qui m'a permis d'apporter mon expertise aux deux start-ups Dagobear et Ekyog, cette envie de transmettre. Je n'en ai malheureusement jamais eu le temps, mais je rêverais un jour de pouvoir donner des cours au sein de l'école. Cette interaction avec les start-ups comble mon envie de transmettre, ce que je n'ai pas encore eu le temps de faire. Je pense que c'est absolument essentiel de notre part. Je regrette tout de même aujourd'hui de n'avoir pas été une étudiante très impliquée dans la vie de l'école, tout simplement parce que j'étais salariée en même temps que je préparais un master en finance. Cela m'avait obligée à regrouper mes cours sur trois jours et me laissait assez peu de temps pour le reste, à l'exception de ma participation aux Mardis de l'ESSEC, dont je conserve un souvenir assez inoubliable.

 

Propos recueillis par Philippe Desmoulins (E78) et François de Guillebon

 

Extrait de Reflets #117. Pour accéder à l’intégralité, cliquer ici.

 



Illustration : © Arnaud Calais

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