Céline Saada Benaben (E93), DG d'eBay France : « Ma priorité : avoir un impact direct sur la vie quotidienne des gens »
Céline Saada-Benaben (E93), directrice générale d'eBay France, fête ses 10 ans au sein de la célèbre plateforme. Une période durant laquelle elle a su évoluer aussi rapidement que le site lui-même, en occupant pas moins de six postes différents. Elle fait le bilan pour ESSEC Alumni.
ESSEC Alumni : eBay a fêté ses 20 ans en 2015. Quel est le secret de la longévité dans un secteur aussi changeant qu’Internet ? Comment eBay s’est-il adapté aux évolutions considérables du marché ?
Céline Saada Benaben : Le secret de la longévité d’eBay tient à sa mission, qui n’a pas changé depuis 1995, et qui est toujours tout à fait d’actualité : mettre en relation des acheteurs et des vendeurs partout dans le monde sur une plateforme sécurisée disponible dans 190 pays. Vendeurs particuliers, PME, marques et distributeurs peuvent vendre leurs produits – uniques ou non – aux 164 millions d’acheteurs actifs dans le monde.
Il tient aussi à sa capacité à investir rapidement dans les nouveaux modes d’utilisation et de consommation. À titre d’exemple, l’investissement dans le mobile a démarré début 2000, et aujourd’hui plus d’un tiers des transactions sont finalisées sur ce canal. Le montant total des transactions sur mobile atteint 28 milliards de dollars, soit près de 900 dollars par seconde (sources : chiffres internes eBay – 2014).
EA : Aujourd’hui, quel est le business model d’eBay ?
C. Saada Benaben : L’essentiel des revenus d’eBay provient de commissions payées sur les ventes réalisées sur la plateforme : pas de vente pour nos vendeurs, pas de revenus pour nous. Nos intérêts sont communs, et ce d’autant plus que nous ne sommes jamais en concurrence avec eux. Nous ne sommes pas des distributeurs, nous n’avons pas nos propres stocks à écouler. Notre valeur ajoutée est de connecter un acheteur avec l’objet qu’il recherche, où qu’il se trouve dans le monde et parmi près de 1 milliard de produits disponibles à tout moment sur notre plateforme.
EA : Ce modèle connaît-il des différences d’un pays à l’autre ?
C. Saada Benaben : Le business model et la plateforme sont pour l’essentiel communs aux 190 pays dans lesquels nous opérons. Nous lançons fréquemment des évolutions dans l’expérience utilisateurs, que nous testons dans certains pays ou certaines régions, avant de les déployer au reste des sites.
Nous développons aussi des services et des partenariats qui permettent de répondre au mieux aux besoins locaux : en France par exemple, nous travaillons avec Mondial Relay pour offrir une expédition facile et moins chère en Points Relais.
EA : Quelles sont les spécificités d’eBay en France ?
C. Saada Benaben : En France, eBay est le 2ème site e-commerce en fréquentation quotidienne et le 4ème site d’e-commerce avec environ 8 millions de visiteurs uniques par mois. Nous sommes très fiers d’avoir été élus place de marche préférée par les internautes en décembre dernier.
Si l’on compare l’activité d’eBay en France et celle d’eBay dans les autres pays, on note que le poids des transactions transfrontalières, aussi bien à l’achat qu’à la vente, est encore plus important en France : 97 % des vendeurs professionnels français exportent sur notre plateforme vers 17 pays en moyenne par an. Au total, une transaction sur cinq sur eBay est transfrontalière.
Les Français sont aussi les plus grands utilisateurs des services de click and collect (livraison en points de ventes) en Europe. Plus de 60 % des acheteurs l’utilisent au moins une fois par an – c’est bien plus qu’ailleurs.
Enfin, je dirais que la façon de chercher les produits est un peu différente – dans la mode par exemple, un Français ou un Italien cherchera une marque en priorité, quand un Allemand ou un Anglais cherchera une robe noire.
EA : En définitive, eBay est-il encore un site de ventes aux enchères ?
C. Saada Benaben : 80 % de notre activité est aujourd’hui constituée d’achats immédiats. Les ventes aux enchères font partie de notre ADN, c’est une part importante de notre identité, mais eBay ne se limite plus à cela.
EA : Le succès du Bon Coin vous a-t-il fait de l’ombre ?
C. Saada Benaben : Je crois que le succès du Bon Coin a permis de faire croître plus rapidement le marché des ventes entre particuliers. Aujourd’hui, la plus grande opportunité de croissance sur ce segment de marché reste le contenu de nos placards. Le nombre de vendeurs et d’occasions de vendre peut encore croître très significativement. Nous leur offrons une plateforme sécurisée et l’accès à 164 millions d’acheteurs actifs dans le monde. C’est assez unique.
EA : Vous affichez l’ambition de devenir « le plus grand magasin du monde » : votre vrai concurrent, c’est Amazon ?
C. Saada Benaben : La vraie question, c’est « qui n’est pas concurrent d’Amazon ? ». Nous nous distinguons par notre stratégie et notre business model unique : nous n’avons pas d’activité de distribution, ce qui nous permet de ne jamais être en concurrence avec nos vendeurs. C’est une différence très importante.
EA : Vous vous êtes récemment associé à Sotheby’s. Une manière de se recentrer sur le segment du luxe, à l’heure où les petites annonces constituent le canal privilégié pour la seconde vie des produits ?
C. Saada Benaben : Les utilisateurs achètent aujourd’hui des objets de plusieurs milliers d’euros sur Internet. Chaque jour sur eBay, plus de 3 500 enchères dépassent les 5 000 dollars.
La digitalisation des ventes aux enchères de produits d’art et de luxe est inéluctable, et c’est dans une volonté d’anticiper cette tendance que Sotheby’s et eBay se sont associés en 2015. Il s’agit du partenariat entre l’un des noms les plus respectés de l’art et l’une des plateformes de technologies les plus utilisées du monde.
En France, nous venons d’annoncer un partenariat similaire avec les Puces de Paris Saint-Ouen. Nous avons mis en place une page dédiée sur eBay pour que les centaines d’objets uniques et de collection qui se trouvent dans les magasins des brocanteurs, antiquaires et marchands d’art des Puces puissent être disponibles à la vente au-delà des heures et des jours d’ouverture de leurs boutiques physiques (samedi, dimanche et lundi) et surtout dans le monde entier.
EA : Vous avez été chargée des vendeurs particuliers en Grande Bretagne, vous gérez aujourd’hui 80 % de vendeurs professionnels… Deux métiers différents ou convergents ?
C. Saada Benaben : Je dirais plutôt convergents, même si les compétences à utiliser et les stratégies employées pour développer ces segments sont différentes. Les produits que l’on trouve sur eBay sont mis en vente par ces deux types de vendeurs, professionnels et particuliers, et c’est ce qui fait la richesse de notre offre. Leurs besoins ne sont pas exactement les mêmes mais ils ont la même volonté de saisir les opportunités créées par eBay. Le fait d’avoir été en charge de différents types d’utilisateurs dans différentes zones géographiques – vendeurs professionnels, particuliers, acheteurs en France et à l’international – est un gros avantage dans mon rôle actuel !
EA : Comment préserve-t-on l’identité et l’intégrité de sa marque lorsqu’elle repose sur autant de partenaires ?
C. Saada Benaben : Nous nouons de nombreux partenariats pour amener les marques à penser et repenser le e-commerce mais cela ne remet pas en cause notre propre notoriété et notre capital marque. L’univers eBay fait partie des plus reconnus dans le monde et notre communauté est particulièrement fidèle. La marque eBay occupe la 7e place du Top 50 des leaders du E-commerce en France (Classement Inside One de la pénétration digitale des marques de e-commerce – 2016).
EA : Quelle est votre vision pour l’avenir d’eBay ?
C. Saada Benaben : Notre mission reste la même : créer des opportunités pour tous à travers les frontières. Nous construisons une expérience encore plus engageante, grâce à une personnalisation croissante des offres et à l’intégration de nouvelles technologies. Nous venons par exemple de lancer en Australie notre premier magasin en réalité virtuelle, en partenariat avec Myer. Nous avons créé un univers immersif, un grand magasin virtuel dans lequel les utilisateurs peuvent naviguer, sélectionner et acheter les produits en contrôlant l’appareil avec leur regard. Tout cela au moyen d’une application dédiée et de lunettes spéciales.
EA : Amusons-nous un peu : quelles ont été les choses les plus folles vendues sur eBay France ? Qu’y trouve-t-on en ce moment ?
C. Saada Benaben : Je me rappelle de la vente de la calotte du pape qui a rapporté plus de 200 000 € à la lutte contre la mortalité infantile au Congo. Un exemple insolite récent est la vente d’une réplique grandeur nature de la soucoupe volante du film La Soupe aux choux par deux amis Haut-Savoyards.
Pour ce qui est des objets fous qui se trouvent actuellement sur eBay, je laisse le plaisir aux curieux d’aller les dénicher par eux-mêmes parmi les 31,2 millions de produits disponibles en France. Cela fait partie du jeu !
EA : Revenons sur le déroulé de votre carrière. Vous avez débuté dans le conseil. Pourquoi et comment êtes-vous devenue une spécialiste de l’e-commerce ?
C. Saada Benaben : Le point commun entre toutes mes expériences professionnelles est la volonté de travailler sur des sujets qui ont un impact direct sur la vie quotidienne des gens. Le e-commerce et le m-commerce se sont donc imposés très rapidement. Je crois même être allée un peu vite dans cette transition en démarrant dans le m-commerce au tout début des années 2000, soit quelques années avant le premier iPhone.
EA : Depuis 2006, vous évoluez chez eBay, connue pour son organisation plutôt horizontale. Comment progresse-t-on dans une entreprise peu hiérarchisée ? Comment se fait-on repérer, comment gagne-t-on en responsabilités ?
C. Saada Benaben : La structure horizontale et très fluide, à la fois entre les pays et les fonctions, a toujours été pour moi une vraie force d’eBay. Peu d’entreprises permettent de changer de rôle et de pays tous les 2 à 3 ans et d’acquérir des compétences aussi variées. Les qualités importantes pour évoluer dans ce type d’organisation sont la capacité à prendre les projets en main et à délivrer des résultats rapidement, une grande curiosité, beaucoup d’adaptabilité et la capacité à travailler avec des équipes cross-fonctionnelles de toutes nationalités.
EA : Avez-vous des secrets ou des méthodes de management ? Pratiquez-vous un management « à la eBay », ou un management « à la Saada-Benaben » ?
C. Saada Benaben : Malheureusement aucun secret qui me permettrait de donner des conférences sur le sujet ! J’aime beaucoup les valeurs eBay « Debate, decide, deliver » et « Do the right thing » qui correspondent assez bien à la façon dont je travaille.
EA : Vous travaillez à temps partiel, ce qui peut surprendre à votre niveau de responsabilité. Comment conciliez-vous cette contrainte et les exigences de votre poste ?
C. Saada Benaben : Cela me demande pas mal d’organisation au quotidien, de la flexibilité de ma part et de la part de l’organisation et quelques compromis – je fais des choix en termes d’activités et de projets.
EA : Continuons de remonter dans le temps. Quels souvenirs gardez-vous de l’ESSEC ?
C. Saada Benaben : J’en garde de très bons souvenirs : la variété de l’enseignement, la diversité des associations et, dans mon cas, l’opportunité d’aller passer un semestre aux États-Unis, qui a été déterminant pour moi. Sans oublier de belles fêtes étudiantes.
EA : Avoir fait l’ESSEC vous a-t-il aidé dans votre carrière ? Comment ?
C. Saada Benaben : Oui, sans aucun doute. C’est une formation très complète qui m’a permis d’identifier le secteur vers lequel je voulais m’orienter et de trouver mon premier rôle dans ce secteur.
EA : Le réseau ESSEC Alumni a-t-il une utilité pour vous ?
C. Saada Benaben : De plus en plus car j’apprécie la diversité des parcours des alumni, ainsi que des ateliers et des échanges qui sont proposés par l’association.
EA : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes diplômés ?
C. Saada Benaben : Je me donnerais les conseils suivants si je revenais 20 ans en arrière : prendre des cours les plus variés possibles, y compris dans les matières qui ne m’amusaient pas du tout à l’époque – et choisir des entreprises et des rôles dans lesquels on a plaisir à travailler et à se développer.
Céline Saada-Benaben (E93) commence sa carrière comme consultante en stratégie au sein du cabinet Booz à Paris. Fin 1996, elle intègre le pôle Stratégie de Disneyland Paris. En 2000, elle part à Londres et travaille au lancement des activités d’Internet mobile de T-Mobile International en Europe.
Fin 2006, elle rejoint eBay en Grande Bretagne où elle est d’abord en charge de l’activité des vendeurs particuliers, puis de la stratégie et de l’expérience acheteurs pour l’Europe du Sud (France, Italie et Espagne). Courant 2011, elle revient en France et prend la direction commerciale Grands Comptes pour la France et le Benelux, dont la mission est de construire des partenariats avec les grandes marques et les distributeurs français pour accélérer la croissance de leur activité on-line, en France et à l’international.
Elle est nommée directrice générale d’eBay en France début 2015.
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E11)
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