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Pascal Alphonse (E13) : « Nous lançons une expédition pour la régénération des océans »

Interviews

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17/11/2021

Pascal Alphonse (E13) est à la barre du projet Phoenix, expédition à la voile de l’Atlantique au Pacifique en soutien aux acteurs de la régénération des écosystèmes marins. Vous pouvez soutenir son projet en contribuant à sa campagne de crowdfunding jusqu’au 28 novembre !

ESSEC Alumni : Pouvez-vous nous présenter le projet Phœnix ?

Pascal Alphonse : Le projet consiste en une expédition à la voile de Brest à San Diego, soit près de 10 000 miles nautiques, entre février et juin 2022, pour la régénération de l’océan. Avec mon équipage, nous irons rencontrer, filmer et aider celles et ceux qui s’engagent pour replanter les mangroves et les herbiers sous-marins ainsi que pour restaurer les récifs coralliens et les forêts de kelp. Ces écosystèmes sont les principaux puits de carbone et réserves de biodiversité de la planète.

EA : Vous visez autant à sensibiliser le grand public qu’à agir concrètement… 

P. Alphonse : En effet, nous nous posons du côté « solutions », comme catalyseur et accélérateur des méthodologies de restauration existantes. Nous voulons mettre de l’huile dans les rouages du secteur naissant du « carbone bleu », en facilitant les synergies interprofessionnelles, en mettant les acteurs locaux en lien avec de potentiels investisseurs, en accélérant leur propre communication… 

EA : Qui porte le projet ? 

P. Alphonse : Nous sommes soutenus par la Fondation de la Mer grâce à Sabine Roux de Bézieux (E86), ainsi que par l’entreprise sociale Tenaka, l’ONG internationale Sustainable Ocean Alliance et l’institut Septentrion Environnement comme partenaire scientifique. L’équipage en lui-même sera constitué de deux jeunes femmes et deux jeunes hommes, tous conscients qu’il faut aider la science et convaincus qu’il faut unir les forces des entreprises, des ONG, des fondations et des pouvoirs publics pour aider ceux qui, sur le terrain, permettent à la nature de retrouver sa résilience là où elle ne peut plus le faire seule. 

EA : Quelles seront les grandes étapes de votre expédition ?

P. Alphonse : Tout d’abord, nous ancrons le projet dans notre région bretonne, notre port-base de Brest, en collaborant avant même notre départ avec une équipe de scientifiques de l’IFREMER, pilotée par Stéphane Pouvreau, qui restaure ce qui était autrefois l’équivalent des récifs coralliens en Europe : les récifs d’huîtres plates, qui bordaient nos côtes des Pays-Bas à l’Espagne sur des milliers de kilomètres, avec une biodiversité incroyable et des fonctions biologiques similaires à leurs cousins tropicaux. 

EA : Puis vous prendrez la direction des Canaries…

P. Alphonse : Là-bas, nous irons rencontrer des porteurs du projet de restauration de prairies d’herbiers sous-marins Seastore. Bien qu’ils ne représentent que 0,2 % du fonds des océans, les herbiers sous-marins séquestrent 10 % du carbone dissous sous forme de sédiments, soit deux fois plus que les forêts terrestres. Problème : en 50 ans, environ 30 % des herbiers ont disparu, et ils continuent aujourd’hui de reculer au rythme de près de 1,5 % par an. Je ne sais pas si les lecteurs se rendent compte de ce que cela signifie : les premiers végétaux marins sont apparus sur Terre il y a 1,2 milliards d’années, c’est-à-dire il y a mille fois plus longtemps que les premiers Homo Sapiens… et en une fraction de seconde à l’échelle du vivant, nous avons largement impacté cette branche de l’arbre de la vie.

EA : À quelles initiatives apporterez-vous votre aide ensuite ? 

P. Alphonse : Nous traverserons l’Atlantique pour soutenir des projets de restauration de coraux et de mangroves dans les Antilles françaises, notamment avec l’association L’Asso-Mer en Martinique et la réserve naturelle de Saint Martin. Les mangroves captent entre deux et quatre fois plus de dioxyde de carbone par hectare que les forêts tropicales terrestres. Elles sont aussi les principales nurseries de poissons côtiers tropicaux et protègent les côtes de l’érosion. Or en 50 ans, environ 40 % des mangroves ont été détruites. 

EA : Quid des coraux ? 

P. Alphonse : Eux aussi couvrent seulement 0,2 % du sol océanique, mais ils sont à l’origine du quart de toute la biodiversité marine. Avec plus de 2500 espèces, ils soutiennent la vie de plusieurs millions d’autres espèces. Et 30 % d’entre eux sont morts depuis les années 1980… tandis que 90 % des récifs coralliens restants sont en grave danger d’extinction, sous l’effet combiné du réchauffement climatique, de l’acidification des océans et de la pollution. 

EA : Après avoir traversé Panama, vous vous rendrez au Costa-Rica…

P. Alphonse : Plus précisément, nous gagnerons l’Area de Conservacion Guanacaste, où nous filmerons le travail d’une association qui aide, main dans la main avec les pêcheurs locaux, à faire revivre des hectares de mangroves, car ils ont compris que ces écosystèmes sont aussi à la base de leur travail, donc de leur économie. Enfin, nous remontrons la côte est du Pacifique pour rencontrer au Mexique et en Californie les porteurs du SPORA project visant à restaurer des forêts sous-marines de kelp, macro-algues de plusieurs mètres de haut, refuges de faunes endémiques avec des biomasses inégalées par m². 

EA : Pourquoi avoir sélectionné ces projets ? 

P. Alphonse : La plupart sont encore peu connus : nous voulons les faire connaître auprès du grand public et leur offrir du matériel de communication (vidéos professionnelles). Par ricochet, cela peut en outre les aider à obtenir des subventions publiques ou des financements privés. Il est temps que le monde corporate s’empare de ces sujets : sauver le vivant et maintenir le réchauffement sous la barre des 2°C ne se fera pas sans action directe et efficace comme seules les entreprises savent en mener. 

EA : Comment les entreprises peuvent-elles s’impliquer sur ces questions – et plus particulièrement dans votre initiative ?

P. Alphonse : Nous proposons de sortir du modèle de sponsoring tel qu’on l’entend encore le plus souvent dans le monde du sport. Certes, nous donnerons de la visibilité à chaque partenaire qui nous suivra, mais celui-ci devra aussi se faire l’ambassadeur de la régénération de l’océan. Il n’est plus question de se donner bonne conscience tout en cherchant à doper ses ventes : les entreprises doivent regarder plus loin que leurs résultats annuels et comprendre que si elles ne changent pas la donne dans les 30 ou 50 prochaines années, elles auront d’autres problèmes à gérer, autrement plus urgents, que l’impact marketing de tel ou tel produit sur tel ou tel marché. C’est d’ailleurs une conviction que nous partageons avec notre partenaire fondateur Tenaka, qui propose aux entreprises des programmes RSE taillés sur mesure pour reconstruire leur propre récif corallien ou leur propre mangrove ; voilà un projet utile et sans greenwashing ! De même, la Fondation de la Mer a lancé un programme d’envergure, SOS Corail, plateforme fixe de financement participatif pour mécènes ou entreprises, dont nous allons d’ailleurs être ambassadeurs.

EA : Comment appliquez-vous l’exigence du zéro carbone à votre propre expédition ?

P. Alphonse : Voyager à la voile (sur un voilier affichant déjà 25 ans au compteur) constitue déjà un moyen de transport assez responsable en soi. Mais nous allons plus loin en recourant à l’énergie solaire pour notre électricité embarquée, et en affectant une partie des dons qui nous sont faits aux projets que nous allons mettre en lumière – afin que l’expédition devienne elle-même régénératrice. 

EA : Vous collectez donc des dons ? 

P. Alphonse : Nous avons en effet lancé une campagne de crowdfunding sur Ekosea, à laquelle vous pouvez contribuer jusqu’au 28 novembre. Si celle-ci atteint son objectif final, nous réserverons 10 % de la somme collectée pour la restauration d’une mangrove « Phoenix » chez l’un des acteurs rencontrés au fil de notre périple. 

EA : Quels usages ferez-vous des enseignements tirés de votre expédition ?

P. Alphonse : Pendant l’expédition, nous diffuserons une web-série sur YouTube et des articles de vulgarisation sur les réseaux sociaux pour éduquer le plus grand nombre sur ces sujets. Nous espérons ainsi toucher une multitude de salariés, d’entrepreneurs, d’acteurs économiques de tous les niveaux, susceptibles d’intéresser et d’engager leur hiérarchie ou leurs équipes. Nous montons en outre un programme éducatif avec des écoles supérieures et primaires pour échanger directement avec les élèves et étudiants avant et pendant notre aventure. Des instituts scientifiques et acteurs publics comme l’Office français de la biodiversité sont aussi dans la danse. Ces derniers effectuent déjà un travail remarquable d’éducation dans les réserves et les parcs nationaux, avec notamment les aires marines éducatives : reste à y insérer les méthodes de régénération des écosystèmes, partout où c’est possible. 

EA : Et après l’expédition ? 

P. Alphonse : Nous prévoyons de publier un livre qui retracera et vulgarisera l’ensemble des techniques appréhendées. Et nous aimerions continuer à développer Phoenix, d’une part en bouclant notre tour du monde, d’autre part en créant un dispositif qui permettrait aux entreprises de s’engager plus facilement dans ce type de projets – une sorte d’application de rencontre, avec carte interactive et suivi en temps réel des actions de régénération, peut-être en nous basant sur la solution SOS Corail de la Fondation de la Mer et sur l’outil Tenaka Science. À suivre…

EA : Au-delà de votre expédition, quels sont les objectifs à atteindre selon vous dans le domaine de la protection des océans ? 

P. Alphonse : Il faut que le réseau du « carbone bleu » devienne tout autant lié au marché mondial du « carbon offset » que les écosystèmes terrestres. La Terre est bien mal nommée : la résilience de notre planète se situe dans l’océan beaucoup plus que sur les continents. Et la régénération du vivant fait partie des solutions qui marchent face à la crise environnementale. Une équipe de scientifiques émérites a récemment publié un article important à ce sujet dans la revue Nature, intitulé Rebuilding Marine Life, qui fait le tour de la question dans le monde et se conclue sur une note très optimiste… sous réserve de ne pas perdre plus de temps – et, aussi, de commencer par cesser toute destruction. Les Nations Unies viennent d’ailleurs de lancer, en même temps que la décennie pour les sciences marines, celle pour la restauration des écosystèmes, où la mer joue nécessairement un rôle majeur, puisqu’elle couvre plus de 70 % du globe.

EA : Comment les ESSEC peuvent-ils soutenir vos actions ?

P. Alphonse : Vous connaissez le nerf de la guerre… Évidemment, vous pouvez contribuer à notre campagne de crowdfunding sur Ekosea jusqu’au 28 novembre. Vos dons nous permettront à la fois de maximiser la somme reversée au projet de régénération de notre choix et de finaliser les préparatifs de l’expédition. Par ailleurs, si vous souhaitez investir dans le projet en-dehors du cadre de la campagne, à titre personnel ou via votre entreprise, vous pouvez à tout moment nous faire un don via notre site ou via la Fondation de la Mer. Vous nous aiderez aussi beaucoup simplement en partageant nos actualités auprès de vos réseaux. J’en profite pour remercier les ESSEC qui ont déjà fait beaucoup pour nous. Je pense en particulier à mes amis rencontrés il y a dix ans sur les bancs de Cergy, ainsi qu’à ESSEC Alumni et à l’équipe de Reflets Mag, qui m’a donné l’occasion de partager la couverture avec Sabine Roux de Bézieux il y a un an : sans cette rencontre, cette expédition aurait bien pu ne jamais voir le jour. L’esprit de Phoenix est étroitement lié aux valeurs et aux enseignements de l’ESSEC : la force de l’entreprenariat, l’engagement pour des projets porteurs de sens, la puissance du travail en réseau. Merci à toutes et tous !


Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni 

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