Aymeric Lavin (E16) : « Les jeunes sont particulièrement exposés à la violence et à la précarité »
Aymeric Lavin (E16) est responsable de la philanthropie pour la Fondation Apprentis d’Auteuil, qui accompagne 30 000 jeunes en difficulté. Il explique les enjeux auxquels ces derniers font face – et ouvre des pistes pour les résoudre.
ESSEC Alumni : Comment en êtes-vous venu à rejoindre la Fondation Apprentis d’Auteuil ?
Aymeric Lavin : À l’ESSEC, j’ai suivi le double diplôme avec l’École du Louvre et les cours de la Chaire Philanthropie. Puis j’ai débuté ma carrière dans le mécénat culturel, en lien avec de grands donateurs privés et des fondations privées et familiales. Après plusieurs expériences, j’ai voulu m’engager dans un nouveau domaine de l’intérêt général.
EA : Quelles sont les activités des Apprentis d’Auteuil ?
A. Lavin : La fondation a été créée il y a presque 160 ans par l’abbé Roussel pour accueillir et éduquer six jeunes garçons des rues du quartier d’Auteuil. Aujourd’hui, elle rassemble 7 000 salariés et accompagne 30 000 jeunes et 6 000 familles en difficulté dans près de 300 établissements en France. Nous intervenons dans la protection de l’enfance, l’éducation et la lutte contre le décrochage scolaire, l’insertion et le soutien à la parentalité. Nous gérons en propre des maisons d’enfants à caractère social, des établissements scolaires sous contrat avec l’État, des centres de formation, des dispositifs d’insertion, des maisons des familles, des résidences sociales… Notre approche se veut très complète pour répondre aux besoins spécifiques de chaque jeune.
EA : À quelles difficultés est confrontée la jeunesse française aujourd’hui ?
A. Lavin : Au-delà des chiffres que l’on connaît sur le front de l’école ou de l’emploi, les jeunes avec lesquels nous échangeons expriment le sentiment d’être entourés par la violence, sous toutes ses formes (verbales, physique, psychologique…) et partout (à l’école, à la maison, en ligne…). À cela s’ajoute la précarité – que la crise sanitaire a non seulement mise en lumière mais aussi accrue pour les jeunes et les familles déjà fragiles.
EA : Comment expliquer cette situation ?
A. Lavin : Nous pensons que la parole des jeunes n’est pas suffisamment entendue, écoutée et considérée. Que la jeunesse n’occupe pas une place centrale dans le débat public, alors qu’elle le devrait. Et qu’il existe des dysfonctionnements majeurs dans nos institutions qui laissent encore trop de jeunes sur le bord de la route.
EA : Face à ce constat, quelles solutions proposez-vous ?
A. Lavin : Nous cherchons, pour chaque jeune, une solution adaptée à son parcours, à son projet et à son territoire. Cependant pour la campagne présidentielle de 2022, nous avons écouté 5 000 jeunes (accompagnés ou non par Apprentis d’Auteuil) et porté avec eux 24 propositions générales, concrètes et étayées, pour « transformer leur avenir » – regroupées au sein de l’ouvrage Prendre le parti des jeunes. S’il était appliqué, ce programme permettrait de mieux protéger et inclure les jeunes, de garantir leur accès aux droits, de les aider à trouver leur voie, ainsi que de changer l’école et d’accompagner les parents.
EA : Quels résultats obtenez-vous avec les Apprentis d’Auteuil ?
A. Lavin : Tous les projets et dispositifs que nous opérons font l’objet d’évaluations dédiées, dans une logique d’amélioration continue. Dans le champ de l’insertion, nos programmes Pro’Pulse, Boost et Skola obtiennent de très bons taux de sorties positives : 88 % des participants finissent avec un diplôme. Sur le plan scolaire, nos dispositifs de lutte contre le décrochage permettent à de nombreux jeunes de retrouver goût dans l’école.
EA : Quels sont vos projets et objectifs dans les années à venir ?
A. Lavin : Nous allons continuer à ouvrir des Maisons des familles, pour répondre à un besoin grandissant d’accompagnement à la parentalité, ainsi qu’à adapter nos formations professionnelles aux évolutions des aspirations des jeunes et aux métiers en tension. Nous planchons aussi sur des innovations pédagogiques dans nos établissements scolaires. Plus globalement, nous restons vigilants aux sujets qui touchent l’ensemble de la jeunesse, comme la santé mentale. Grâce à l’engagement d’une fondation familiale, nous nous apprêtons à déployer un plan d’action national sur ce sujet, notamment pour former nos éducateurs qui travaillent en protection de l’enfance.
EA : Vous soutenez aussi des initiatives à l’international…
A. Lavin : En effet, nous travaillons avec 66 organisations partenaires et accompagnons plus de 12 000 jeunes et familles dans 24 pays, majoritairement en Afrique (Burkina Faso, Cameroun, Congo, Liban, Madagascar, Mali, Maroc, RDC, Sénégal) mais aussi en Europe, en Amérique du Sud (Pérou) et en Asie du Sud-Est (Cambodge, Laos, Myanmar, Philippines, Thaïlande, Vietnam).
EA : La jeunesse est-elle confrontée aux mêmes enjeux et problèmes dans tous les pays où vous intervenez ?
A. Lavin : Comme le dit Sonia Ligas Ovalle, la directrice de Qosqo Maki, notre partenaire péruvien : « Qu’ils vivent au Pérou, en France ou dans d’autres pays, les jeunes seront toujours des jeunes ! ». Partout, des enfants doivent quitter leur foyer, des adolescents sont en situation de décrochage scolaire, des jeunes rencontrent des difficultés d’insertion socio-professionnelle et rêvent d’un avenir meilleur… Et les parents et familles expriment le besoin d’être accompagnés face à ces défis. Nos partenaires interviennent chacun en fonction du contexte local et peuvent partager leurs difficultés et leurs réussites au sein des Communautés de Pratiques et de Savoirs qu’Apprentis d’Auteuil développe avec ses partenaires internationaux.
EA : Comment financez-vous vos actions ?
A. Lavin : La fondation est financée à hauteur de 55 % par des financements publics : 47 % dans le cadre de sommes octroyées au titre de l’Aide sociale à l’enfance, 8 % dans le cadre d’appels d’offre publics européens, étatiques, régionaux… Les 45% restants sont issus de financements privés : donateurs ponctuels ou réguliers, entreprises, fondations familiales, legs…
EA : Comment les ESSEC peuvent-ils soutenir Apprentis d’Auteuil ?
A. Lavin : Vous pouvez nous faire un don financier (don numéraire ou dons de titres) qui ouvre droit à des réductions sur l’IR ou l’IFI. Vous pouvez aussi engager votre entreprise via des partenariats ou du mécénat de compétence. À noter, Apprentis d’Auteuil a également le statut de fondation abritante : vous avez donc la possibilité de créer une fondation abritée dont l'objet s'inscrit dans celui d'Apprentis d'Auteuil - nous en comptons déjà 25. Par ailleurs, n’hésitez pas à parler de nos actions autour de vous, à vos familles, amis, collègues, clients. J’en profite pour remercier les nombreux ESSEC qui nous apportent déjà leur aide précieuse !
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
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