Avner Simeoni (M19) : « Tout reste à faire dans l’impact social »
Avner Simeoni (M19) s’est spécialisé dans la mesure d’impact social pour les entreprises. Une discipline vouée à connaître un fort essor, en complément des actions pour la transition environnementale. Explications.
ESSEC Alumni : Comment vous êtes-vous spécialisé dans l’impact social ?
Avner Simeoni : Titulaire d’un doctorat en sciences des matériaux à l’Université d’Aix-Marseille, j’ai complété ma formation avec le Mastère Spécialisé en Management des Projets technologiques de l’ESSEC, où j’ai également intégré la Chaire Innovation sociale. Puis j’ai rejoint Deloitte Développement Durable avant de lancer ma propre activité de conseil et d’accompagnement en mesure d’impact social. J’interviens notamment auprès de l’ESSEC Impact Unlimited, pôle conseil en mesure d’impact de l’ESSEC.
EA : Qu’entend-on exactement par la mesure d’impact social ?
A. Simeoni : Selon le Conseil supérieur de l’ESS, il s’agit de mesurer « l’ensemble des conséquences significatives (évolutions, inflexions, changements, ruptures) des activités d’une organisation, tant sur ses parties prenantes externes (bénéficiaires, usagers, clients, auxquels nous pourrions ajouter les donateurs et les investisseurs), directes ou indirectes de son territoire, qu’internes (salariés, bénévoles, volontaires), et que sur la société en général ». On peut ajouter que la discipline vient initialement du monde anglo-saxon qui ne distingue pas les termes « social » et « sociétal » comme en français ; autrement dit, elle peut s’appliquer à ces deux dimensions, mais aussi aux questions environnementales.
EA : Concrètement, comment une étude d’impact social se déroule-t-elle ?
A. Simeoni : On remonte à la genèse du projet et aux changements visés à l’origine, et on mène une réflexion avec les parties prenantes réellement impactées, alimentée par les techniques d’intelligence collective, pour établir des indicateurs qualitatifs et quantitatifs, comme autant d’hypothèses à vérifier.
EA : Quels sont les principaux indicateurs d’impact social ?
A. Simeoni : Il n’existe pas d’indicateurs standardisés mais bien des indicateurs au cas par cas en fonction des projets. On peut cependant distinguer différents types d’indicateurs. Les indicateurs de réalisation reflètent l’étendue du projet. Les indicateurs de résultat traduisent les changements observés à court terme après le déploiement du projet. Les indicateurs d’impact mesurent les changements pérennes (on parle de « temps long ») et attribuables (au moins en partie) au projet. Par exemple : la Fresque de la Diversité créée par l’ESSEC a franchi en 2024 le cap des 20 000 participants (indicateur de réalisation) ; sur ces 20 000 participants, X % déclarent mieux appréhender les situations d’inégalité et de discriminations (indicateur de résultat) ; et X % des entreprises formées mettent en place de nouveaux dispositifs en faveur de l’inclusion (indicateur d’impact).
EA : Aujourd’hui, à quel point les entreprises sont-elles sensibilisées à leur impact social ?
A. Simeoni : Désormais généralisée, la démarche RSE invite bien sûr les entreprises à se questionner sur leur impact social. On observe néanmoins une priorité accordée aux enjeux environnementaux, particulièrement au dérèglement climatique. L’impact social reste le plus souvent envisagé sur le seul plan interne, au niveau des salariés, au travers des fonctions RH (formations, bien être, égalité femmes-hommes. Tout ou presque reste à faire, notamment concernant les parties prenantes externes.
EA : Quid de l’action publique et réglementaire en la matière ?
A. Simeoni : Aucune règlementation dédiée ne contraint les entreprises à se lancer dans une démarche de mesure d’impact social au sens canonique du terme. En revanche, la loi française sur le devoir de vigilance promulguée en 2017 incite les grandes entreprises à considérer leur impact à chaque maillon de leur chaîne de valeur jusqu’aux fournisseurs de rang X, et la CSRD européenne, transposée au droit français fin 2023, instaure un reporting de durabilité très renforcé sur tous les sujets, y compris sociaux, avec le concept de « double matérialité » recouvrant à la fois l’impact sur la performance économique (matérialité financière, généralement déjà bien prise en compte) et l’impact sur la société (matérialité des impacts).
EA : Dans ce contexte, la mesure d’impact social s’est-elle développée ces dernières années ?
A. Simeoni : En 1980, on dénombrait en moyenne un article scientifique par an sur la mesure d’impact social. Depuis 2020, on dépasse les 180 chaque année. Malgré le chemin restant à parcourir, on constate donc bien une évolution exponentielle, d’ailleurs attestée par les panoramas de l’évaluation d’impact social en France que publient l’ESSEC et l’Impact Tank. Logiquement, les acteurs de l’économie sociale et solidaire s’avèrent particulièrement exemplaires en la matière. Le secteur du conseil s’est également emparé du sujet, avec le développement d’offres dédiées chez les Big 4 et l’émergence d’acteurs spécialisés comme Improve ou Kimso, cofondé par Octavie Baculard (E90) et Emeline Stievenart (E07). Citons aussi le déploiement des contrats à impact social, dispositifs permettant aux investisseurs finançant des projets à impact de percevoir des remboursements publics si les objectifs sociaux fixés en amont sont atteints – et même une prime s’ils sont dépassés.
EA : Selon vous, quelles autres initiatives pourrait-on lancer pour améliorer l’impact social des entreprises ?
A. Simeoni : On pourrait imaginer de rendre obligatoire les formations sur le sujet. Et sans passer par la contrainte, les entreprises auraient tout intérêt à partager leurs bonnes pratiques et leurs retours d’expériences, par exemple dans le cadre de colloques sectoriels, et à développer des ressources dédiées. Autre piste intéressante : ouvrir des postes de directeur de l’impact social, comme l’a fait mon ancien client McDonald’s France à l’époque où je l’accompagnais par l’intermédiaire de Deloitte.
EA : À l’échelle individuelle, quelles actions peut-on mettre en œuvre dès aujourd’hui pour améliorer son impact social ?
A. Simeoni : D’abord, se former. Ensuite, embarquer l’ensemble des parties prenantes (internes et externes) car la réussite de la démarche dépend de leur motivation, de la disponibilité des ressources et aussi de la capacité à ne pas raisonner en silo, à confronter les points de vue, notamment ceux des bénéficiaires qui sont les mieux placés pour infirmer, confirmer ou soulever de nouvelles hypothèses d’impact. Enfin, s’orienter vers le pilotage de la performance par l’impact plutôt que par le financier, ou du moins articuler les deux, et ce, dès en amont de l’activité, à la fixation des objectifs, et non uniquement à l’évaluation des résultats.
EA : Quels sont les outils à utiliser ?
A. Simeoni : Je recommande deux méthodes. D’abord, la méthode SROI (Social Return On Investment), démarche très complète allant de l’étape de cadrage jusqu’à l’étape de monétarisation : par exemple, un SROI de 3 indiquera que le projet concerné génère 3 € de valeur sociale pour 1 € investi. Pour plus de détails, vous pouvez vous référer au Guide SROI publié en 2012 par The Cabinet Office (UK) et traduit en français par l’ESSEC. Ensuite, la méthode des coûts évités, particulièrement adaptée pour les financeurs publics car elle cherche, comme son nom l’indique, à estimer et valoriser les coûts évités pour la société grâce à un projet social : si ces coûts sont supérieurs à ceux engagés dans le projet, alors ce dernier est considéré à impact positif. Pour une introduction sur cette approche, je conseille le Petit précis de l’évaluation de l’impact social publié en 2021 par l’ESSEC, Avise et Mouvement Impact France.
EA : Plus largement, comment se former à la mesure d’impact social ?
A. Simeoni : Vous pouvez commencer par des formations en accès libre sur Internet, notamment les MOOC de notre cher professeur Thierry Sibieude (E99), aujourd’hui expert associé de la Chaire Innovation sociale qu’il a longtemps dirigée. Mais rien ne remplace une formation en présentiel avec des experts : j’en dispense moi-même, en utilisant des techniques d’intelligence collective qui permettent de passer rapidement à l’action. N’hésitez pas à me solliciter : contact@avner-simeoni.fr.
EA : Au-delà de vos activités de formateur, quel type de missions réalisez-vous pour les entreprises ?
A. Simeoni : J’accompagne depuis peu un des plus gros financeurs français des associations œuvrant pour l’égalité des chances, qui injecte plusieurs centaines de milliers d’euros dans chacun de ses projets, soit plusieurs millions d’euros annuellement. Il m’a demandé d’analyser l’impact de son accompagnement (financier et extrafinancier) d’une part sur les projets et les équipes subventionnés (impact direct), d’autre part sur les bénéficiaires finaux (impact indirect), tant sur le plan quantitatif (étude statistique, analyse croisée) que qualitatif (entretiens individuels, compilation de verbatims). Autre projet qui me tient à cœur : la mesure d’impact d’un autre financeur engagé dans l’innovation en faveur du bien vieillir. Cette fois, le client souhaite aussi utiliser mes travaux pour améliorer son appel à projets : la mission relève donc aussi du pilotage de la performance par l’impact.
EA : Quelles sont les perspectives pour le champ de l’impact social dans les années à venir ?
A. Simeoni : Je pense que le sujet va continuer de gagner en importance, notamment d’un point de vue réglementaire, où il me paraît appelé à connaître ce qu’a connu la dimension environnementale ces dernières années : des objectifs toujours plus ambitieux et une exigence de transparence toujours plus grande. La devise pourrait être « Social is the new Green ». D’autant qu’en l’occurrence, la transition écologique, qui restera centrale du fait de son urgence, ne pourra aboutir si elle n’est pas juste socialement. En fait, les deux vont ensemble – et répondent à la même logique : mieux vaut passer à l’action dès maintenant que de tenter de rattraper le train en marche.
En savoir plus :
avner-simeoni.fr
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
Vous avez aimé cet article ? Pour que nous puissions continuer à vous proposer des contenus sur les ESSEC et leurs actualités, cotisez à ESSEC Alumni.

Commentaires0
Veuillez vous connecter pour lire ou ajouter un commentaire
Articles suggérés