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Reflets Mag #148 | Laetitia Garriott de Cayeux (E00), à la poursuite de « moonshots »

Interviews

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12/07/2023

Reflets Mag #148 consacre un portrait à Laetitia Garriott de Cayeux (E00) qui a reçu l’ESSEC USA Visionary Award 2023 pour son parcours et ses engagements dans les hautes sphères, depuis l’industrie aérospatiale jusqu’aux plus grandes institutions américaines et organisations internationales. Découvrez l’article en accès libre… et pour lire les prochains numéros, abonnez-vous !

Dès le lycée, Laetitia Garriott de Cayeux s’intéresse à la tech – et à son impact sur la société. « À 17 ans, j’ai été sélectionnée pour représenter la France au GII Junior Summit de 1995 sur les perspectives ouvertes par le web, qui n’en était qu’à ses débuts. J’ai soutenu l’idée que ce réseau pouvait contribuer à une économie plus durable et à l’éducation en hébergeant des plateformes citoyennes de signalement de dégâts environnementaux et des écoles virtuelles. » Elle est cependant consciente qu’il faut des moyens pour concrétiser cette vision. « J’ai intégré l’ESSEC pour m’orienter vers le financement et l’accompagnement de l’innovation. » Elle fait ses armes chez BNP Paribas à Hong Kong, auprès de Bruno-Roland Bernard (E88), puis Goldman Sachs à Londres, où Thierry Sancier (E93) la recrute. « Je travaillais sur des opérations de crossborder M&A avec les États-Unis, la Chine… pour des deals d’un total de 8 milliards $. » Si la période est porteuse, elle est aussi marquée par l’éclatement de la bulle Internet. « J’y ai assisté aux premières loges. Leçon retenue. »

L’aventure américaine

Au bout de quelques années, Laetitia Garriott de Cayeux part aux États-Unis, qu’elle ne quittera plus, pour effectuer un MBA à Harvard. Ce tournant marque aussi ses premiers pas dans l’entrepreneuriat. « Avec quatre camarades de promotion, nous avons lancé un procédé pour congeler les ovules puis les réintégrer fécondés à une date ultérieure. Objectif : proposer une solution aux femmes qui souhaitaient attendre sans pour autant risquer de perdre leur fertilité entre-temps, par exemple à l’issue de certains traitements médicaux comme une chimiothérapie. » Aujourd’hui, ce recours est devenu commun aux États-Unis. « Cependant je n’ai pas accompagné le projet au-delà de l’université. Il me fallait un poste sûr et rémunérateur pour rembourser mon prêt étudiant. » L’argent est décidément le nerf de la guerre… 

Dont acte : après quelques années en gestion d’actifs chez TPG-Axon puis Renaissance Technologies, elle trouve le bon compromis en créant son propre fonds d’investissement, Ajna Capital. Nous sommes alors en 2008. « La crise des subprimes s’est déclenchée dans les mois qui ont suivi… » Il ne s’agira pourtant pas du plus grand obstacle qu’elle rencontrera. « À l’époque, les femmes géraient moins de 2 % des actifs de l’industrie ! Et encore aujourd’hui, nous avons plus de difficultés que les hommes à convaincre les investisseurs… »

Elle parvient cependant à relever le plafond de verre, à défaut de le briser. « J’attribue mes bons résultats à ma bonne maîtrise des risques financiers. À cet égard, je tiens entre autres à remercier l’ESSEC, dont les enseignements m’ont donné une longueur d’avance en la matière – notamment les interventions de Benoît Mandelbrot, mathématicien avec lequel je suis restée en relation après l’école et jusqu’à sa mort, qui a élaboré la théorie des fractales et analysé ses incidences sur les cours boursiers. »

Dans un premier temps, elle cible surtout les marchés publics. « Cette focalisation permet de se construire un track record rapidement : les prises de participation réclament relativement peu de capital et durent généralement 12 à 18 mois. » Sa réputation faite, elle se tourne vers les start-up industrielles dans la deeptech et l’intelligence artificielle, avec une appétence particulière pour le secteur de l’aérospatial. « Pour la petite histoire, mon grand-père – André de Cayeux dit Cailleux – est considéré comme le père fondateur de la géologie planétaire. Un cratère de la Lune porte même son nom ! » C’est ce qui s’appelle être née sous une bonne étoile et qui explique peut-être qu’elle ait été une des premières à miser sur une certaine jeune pousse appelée… SpaceX.

Piste d’envol

Sur sa lancée, Laetitia Garriott de Cayeux rejoint bientôt, comme cofondatrice et présidente, Escape Dynamics, qui obtiendra des avancées déterminantes dans le domaine des micro-ondes à forte puissance. « Parmi les applications possibles : la propulsion de fusées, la transmission d’énergie sans fil… »

Des travaux qui attireront l’attention de la NASA mais aussi de l’armée américaine. « Peu à peu, je me suis mise à collaborer avec diverses instances nationales et internationales autour des enjeux de sécurité et de défense : le Pentagone, la Defense Advanced Research Projects Agency, le Defense Science Board, le Truman National Security Project, le Council on Foreign Relations… » Sans oublier l’OTAN qui sollicite ses recommandations pour des sujets comme le projet Digital Ocean ou le matériel militaire maritime sans équipage. Elle murmure même à l’oreille de Joe Biden pendant sa campagne électorale. « Partout, je porte le même message : les États-Unis doivent encourager et renforcer la coopération public-privé autour des technologies de rupture. L’Union européenne le fait déjà avec son Europe Innovation Fund. Ce type de dispositif constitue un moyen important pour permettre à l’État d’accéder à ces technologies qui, par nature, réclament des développements de long terme, plus risqués et moins rentables. Autrement, l’État est distancié en matière d’innovation ou de coût par des concurrents étrangers dont il ne saurait dépendre stratégiquement ou, pire, par des adversaires. Les intérêts économiques et sécuritaires du pays se retrouvent alors menacés. D’où aussi l’importance critique d’investir dans les start-up comme SpaceX ! »

Cette conviction sous-tend les choix qu’elle fait aujourd’hui à la tête du second fonds qu’elle a créé, Global Space Ventures II. Parmi les start-up qu’elle a déjà en portefeuille : Lynk Global, qui déploie des satellites permettant d’étendre la couverture du réseau cellulaire aux régions sans antenne relai ; Thrustme, qui propose des systèmes de propulsion à gaz froid iodé réduisant l’empreinte énergétique des mises en orbite ; ou encore Colossal Biosciences, qui reconstitue l’ADN d’espèces disparues grâce à l’édition génomique. « Selon moi, la tech a un rôle crucial à jouer pour bâtir un monde et des avenirs meilleurs. D’où aussi mon implication dans l’organisation du XPrize qui vise par exemple à soutenir des initiatives en faveur de la décarbonation. À la clé : une récompense de 100 M $ – dotation la plus élevée jamais attribuée pour cette cause ! » Elle se mobilise en outre pour l’avancement des femmes dans les sciences et l’innovation, via divers programmes dédiés du département d’État américain, mais aussi au Portugal, en Pologne, en Palestine, en Biélorussie…

« Sky is not the limit »

C’est pour l’ensemble de ces engagements que Laetitia Garriott de Cayeux a récemment reçu l’ESSEC USA Visionary Award 2023. « Lors de la cérémonie, j’ai remis aux ESSEC présents dans l’assistance des petits fragments d’un même astéroïde lunaire avec ce message : "What’s your moonshot ?" Une manière de les inviter à viser la lune – métaphoriquement et pourquoi pas littéralement ! Si chacun de nous assume de poursuivre ses rêves, on change le monde. »

Cette distinction lui tient également à cœur parce qu’elle témoigne de son attachement au réseau – et, à travers lui, à ses racines. « J’ai la nationalité américaine et je suis dévouée à ce pays. Mais je garde le lien avec la France. Quand Pierre-André de Chalendar (E79), président du conseil d'administration de Saint-Gobain, et Maxime Carmignac (E03), directrice générale de Carmignac UK, viennent prospecter à New York, je veille à les accueillir et à partager sur des volets communs, qu’il s’agisse de verre et céramique de haute technologie (à bord de la station spatiale internationale et maintenant Artemis !) ou d’encourager les femmes à prendre les rênes de leur avenir financier. Quand La French Tech me sollicite pour fédérer la communauté locale des 150 start-up françaises autour d’une conversation avec Thomas Pesquet, je réponds à l’appel. Quand Thrustme, lancée par une Polytechnicienne, me soumet son pitch, je ressens une certaine satisfaction à soutenir une jeune pousse française du spatial, qui plus est dirigée par une femme. Et quand je m’occupe de mes enfants, je me réjouis qu’ils parlent aussi bien français qu’anglais ! »

 

Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni

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