Clémentine Baldon (E99), avocate dans l’Affaire du Siècle : « La justice climatique n’en est qu’à ses débuts »
L’avocate Clémentine Baldon (E99) représente la Fondation Nicolas Hulot (FNH) dans l’Affaire du Siècle, qui pourrait marquer un tournant décisif dans la responsabilisation des États face à l’urgence climatique. Explications.
ESSEC Alumni : Comment avez-vous été amenée à représenter la FNH dans « l’Affaire du siècle » ?
Clémentine Baldon : Ma collaboration avec la FNH remonte à 2017. Je travaillais alors à la direction juridique de Bouygues Telecom mais, sensible aux enjeux climatiques, j’ai aidé la FNH bénévolement à réaliser l’analyse juridique de l’accord de commerce CETA entre l’Union européenne et le Canada. Nous avons construit une relation de confiance et quand j’ai créé mon cabinet, j’ai continué à les accompagner sur différents sujets : droit européen, droit de l’OMC, loi EGALIM… et l’Affaire du siècle.
EA : En quoi consiste « l’Affaire du siècle » ?
C. Baldon : Il s’agit d’une action en justice initiée fin 2018 devant le juge administratif français par quatre ONG (la FNH, Greenpeace, Oxfam et Notre Affaire à tous) avec deux objectifs principaux : faire reconnaître la responsabilité de l’État quant aux conséquences de son action insuffisante dans la lutte contre le changement climatique, et le contraindre à agir.
EA : Au-delà de la procédure judiciaire, quels sont les grands enjeux de cette affaire ?
C. Baldon : Il y a d’abord un enjeu de mobilisation citoyenne : la pétition en ligne de soutien a reçu plus de 2 millions de signatures, un record historique en France. L’Affaire du siècle est ainsi devenue un support de mobilisation et un levier politique puissant. Il y a aussi un enjeu de diffusion dans la sphère juridique des enjeux climatiques, et le jugement du 3 février dernier montre que le juge administratif s’en saisit désormais pleinement, et avec une certaine audace.
EA : Quelle décision a-t-elle été rendue le 3 février ? Avec quelles conséquences ?
C. Baldon : Le jugement reconnaît que le non-respect par l’État de ses engagements climatiques est une faute et qu’il est à ce titre responsable d’une partie de l’aggravation du changement climatique. C’est une première, d’autant plus remarquable que les sujets de débat juridique étaient nombreux. Un deuxième volet s’ouvre maintenant : dans quelques mois, après un nouvel échange entre les parties, le Tribunal administratif pourrait enjoindre à l’État d’adopter de nouvelles mesures pour réparer les dommages causés par ses manquements et y mettre fin.
EA : On assiste plus largement à un vaste mouvement de judiciarisation des enjeux climatiques. Pourquoi ?
C. Baldon : Face à la menace existentielle du réchauffement climatique, il y a urgence à agir, et ce durant cette décennie. L’objectif de la société civile est simple : obtenir des résultats concrets. En commençant par contraindre les États à respecter les engagements pris dans l’Accord de Paris. À cette fin, dans une logique d’efficacité, elle mobilise tous les leviers à sa disposition. L’instrument juridique vient donc en relais du politique et des autres actions menées.
EA : Où en est ce mouvement en France ?
C. Baldon : En France, la justice climatique, comme voie de changement de la politique de l’État, en est à ses débuts. En parallèle de l’Affaire du siècle, le Conseil d’État doit rendre une décision importante dans l’affaire proche « Commune de Grande Synthe », à laquelle les ONG de l’Affaire du siècle sont aussi parties.
EA : Et à l’international ? Y a-t-il d’autres actions en justice en cours à fort enjeu ? Auquel cas, quelles sont les prochaines échéances clé ?
C. Baldon : Les dossiers précités s’inscrivent dans un mouvement international, inspiré notamment par l’affaire « Urgenda » : les juges néerlandais, jusqu’à la Cour suprême en 2019, ont condamné les Pays-Bas à revoir à la hausse leurs objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Des recours similaires ont été engagés dans toute l’Europe (Irlande, Allemagne, Royaume-Uni, Belgique, Espagne…). Dernièrement, la Cour européenne des droits de l’homme a été saisie par six jeunes Portugais déterminés à faire reconnaître que le non-respect par 33 États (dont la France) de leurs engagements au titre de l’Accord de Paris constitue une violation de leurs droits fondamentaux.
EA : Quelles sont les perspectives pour la judiciarisation des enjeux climatiques dans les années à venir ?
C. Baldon : Le mouvement international de « recours climatiques » semble de fait s’amplifier avec le ressenti désormais très perceptible des impacts du changement climatique. Ces affaires doivent être suivies avec attention car la pression supplémentaire qu’elles imposent aux États pourrait être un vecteur puissant de changement. C’est en tous cas ce que j’espère !
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
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