Retour aux actualités
Article suivant
Article précédent

Jérôme Adam (E00) : « Nous devons adopter une autre approche de l’addiction »

Interviews

-

14/12/2021

Dans le documentaire Tout pour être heureux ?Jérôme Adam (E00) donne la parole aux frères et sœurs de personnes dépendantes à la drogue ou à l’alcool. Un projet inspiré par sa propre histoire familiale – et une manière d’appeler à revoir la façon dont notre société approche ce sujet. Vous pouvez soutenir la sortie du film en salles en faisant un don ici !

ESSEC Alumni : Comment en êtes-vous venu à tourner un documentaire sur l’addiction ? 

Jérôme Adam : Beau gosse, intelligent, issu d’un milieu privilégié… mon frère avait soi-disant tout pour être heureux. Et pourtant, à l’adolescence, il a basculé dans l’addiction aux stupéfiants et à l’alcool. Des années plus tard, j’ai réalisé que j’appréhendais de revivre avec ma fille ce que mes parents et moi avions connu avec mon frère. J’ai souhaité comprendre comment mieux la sensibiliser et la responsabiliser sans tomber dans le pathos ou dans la culpabilisation. Vous pouvez voir la bande-annonce ici.

EA : Quelle est l’étendue du phénomène de l’addiction en France ?

J. Adam : Nous parlons ici d’addiction aux stupéfiants et à l’alcool. Avant la crise sanitaire qui a renforcé les pratiques addictives, on estimait que la consommation problématique de drogues (autres que le cannabis) concernait 350 000 personnes en France. 2,1 millions de Français avaient déjà consommé de la cocaïne, 900 000 consommaient tous les jours du cannabis, 3,4 millions avaient une consommation à risque d’alcool. Tous ces chiffres datent de 2019 et proviennent de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). 

EA : Les campagnes de sensibilisation sont pourtant nombreuses…

J. Adam : Les discours sur ce sujet sont souvent culpabilisants ou visent à faire peur. Or l’inefficacité de la plupart de ces messages est démontrée. J’ai vu des jeunes rire face aux témoignages télévisés de personnes sorties de l’addiction. Ils ne s’identifiaient pas. Et le fait que la personne s’en était sortie leur donnait l’impression que le danger n’était pas si grand qu’on le disait. 

EA : Quel message faites-vous passer avec votre documentaire ? 

J. Adam : J’adopte une autre approche en donnant la parole aux sœurs et frères des personnes dépendantes. Des personnes que l’on entend rarement alors qu’elles sont souvent des confidents privilégiés… et qu’elles sont impactées par la consommation de leurs proches. C’est aussi un moyen de sortir des clichés sur l’addiction : délinquance, déchéance, consommation de rue… En réalité, les drogues concernent toutes les couches de la population. 

EA : Comment l’addiction d’une personne impacte-t-elle sa famille ? 

J. Adam : On retrouve les différentes phases traversées dans toute épreuve : déni, colère, effondrement, deuil et acceptation. Bien sûr ces états se révèlent plus ou moins intenses selon les personnes, les périodes et les évolutions de la situation. Les sentiments de culpabilité, d’impuissance, les tensions et les déchirements au sein de la famille peuvent être très forts.

EA : La personne dépendante se rend-elle compte de cet impact ?

J. Adam : Pas forcément. J’ai montré le film à des personnes dépendantes. J’ai été frappé par la prise de conscience que le film a fait naître chez elles.

EA : Quel rôle la famille peut-elle jouer dans l’accompagnement de la personne dépendante ? 

J. Adam : Longtemps, la personne dépendante se retrouvait dans un huis-clos avec le corps médical, dont la famille était exclue, notamment parce qu’on avait tendance à la rendre en partie responsable du problème. C’est ainsi qu’à l’époque de mon frère, nous n’avons jamais réussi à entrer en lien avec les soignants. Aujourd’hui, la prise en charge s’est décloisonnée – même s’il ne faut pas s’y tromper : la famille ne peut pas agir à la place des professionnels, ni à la place de la personne dépendante elle-même. Tout l’enjeu pour l’entourage réside dans le fait de trouver un équilibre entre présence active et acceptation d’une certaine forme d’impuissance. 

EA : D’autres choses ont-elles changé depuis l’époque de l’addiction de votre frère ? 

J. Adam : Je me souviens qu’on visait alors l’abstinence totale, comme s’il suffisait de retirer le produit du corps pour régler le problème. Les traitements se veulent désormais plus subtils. On prend en compte trois facteurs : primo, le produit, sa nocivité, son caractère plus ou moins addictif ; deuxio, la personne dépendante elle-même ; tertio, son environnement. Et on se demande quels sont les effets recherchés derrière la consommation. 

EA : Les choses évoluent aussi du côté de la prévention…

J. Adam : De nouveaux programmes privilégient en effet l’interactivité au didactisme. On peut citer Unplugged en milieu scolaire : destiné aux 12-14 ans, ce dispositif mise sur le développement des aptitudes intra-personnelles : confiance en soi, expression de soi, respect des autres… En invitant à décrypter les attitudes positives et négatives à l’égard des influences de groupe, ainsi que les croyances sur les produits et leurs effets, il permet aux plus jeunes d’acquérir des compétences psycho-sociales qui leur serviront toute leur vie non seulement dans le champ de l'addiction mais aussi dans bien d'autres domaines. Je crois fortement à cette approche, mais elle reste insuffisamment intégrée au système éducatif de notre pays.

EA : À la lumière de votre expérience, quel regard portez-vous sur le débat autour de la légalisation des drogues ? 

J. Adam : Le sujet des drogues est trop souvent abordé sous l’angle réglementaire et judiciaire. La légalisation ne règlera pas la question de fond : quelle politique globale veut-on ? Et quelle éducation pour nos jeunes ? 

EA : Comment les alumni peuvent-ils soutenir vos actions ? 

J. Adam : Nous avons lancé avec la Fédération Addiction une collecte nationale pour nous aider à financer la projection en salles, l’impression d’affiches, l’accessibilité du film à tous les publics  et la réalisation de vidéos pédagogiques en bonus : faites un don ! Vous bénéficierez d’une importante déduction fiscale, que vous soyez un particulier ou une entreprise. Et si vous travaillez dans le cinéma et la télévision : nous cherchons des appuis pour la distribution et la diffusion. À bon entendeur ! 


Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni 

Vous avez aimé cet article ? Pour que nous puissions continuer à vous proposer des contenus sur les ESSEC et leurs actualités, adhérez à ESSEC Alumni !

J'aime
2720 vues Visites
Partager sur

Commentaires0

Vous n'avez pas les droits pour lire ou ajouter un commentaire.

Articles suggérés

Interviews

Caroline Renoux (EXEC M10) : « À terme, on ne pourra plus faire carrière sans maîtriser la RSE »

photo de profil d'un membre

Louis ARMENGAUD WURMSER

10 décembre

Interviews

Blandine Cain (M04) : « Mon livre répond à 80 % des problématiques des entrepreneurs »

photo de profil d'un membre

Louis ARMENGAUD WURMSER

07 décembre

Interviews

Reflets #154 | Guillaume Heim (E21) & Emma Rappaport (E19) : « La France se positionne comme grande puissance de la deeptech »

photo de profil d'un membre

Louis ARMENGAUD WURMSER

25 novembre