Julie Lasne (M07) : « La crise du COVID-19 est une crise environnementale »
À temps exceptionnel, offre exceptionnelle : ESSEC Alumni vous donne accès libre au numéro spécial COVID-19 de Reflets ! Au sommaire, une cinquantaine d’articles de diplômé(e)s et de professeur(e)s ESSEC – parmi lesquels Julie Lasne (M07), militante tout-terrain engagée dans le combat pour la défense des animaux, qui explique pourquoi la crise sanitaire est aussi une crise écologique. Découvrez son interview directement sur notre site – et accédez à l’intégralité du numéro en version flipbook !
ESSEC Alumni : Quel(s) rapport(s) entre la crise sanitaire et la crise environnementale ?
Julie Lasne : La première annonce-t-elle la seconde ? La seconde a-t-elle causé la première ? La source de la pandémie est bien connue : elle provient d’un hôte animal sauvage. Or de fait, ces zoonoses (maladies transmissibles entre hommes et animaux) ne peuvent aller qu’en s’aggravant, compte tenu de l’empiètement toujours plus grand de l’homme sur les territoires protégés de la faune sauvage. Les contaminations sont appelées à passer de plus en plus souvent des espèces sauvages aux espèces domestiques, puis à l’homme, et inversement. Le mouvement est d’ailleurs amplement amorcé. Depuis le début des années 2000, les épisodes de grippes aviaires, porcines ou des infections à coronavirus (SRAS en 2003, MERS en 2012…) se multiplient, avec des conséquences de plus en plus sévères sur l’humanité, et le fonctionnement de ses civilisations.
Par ailleurs les pollutions de tous les milieux, en particulier l’eau, l’air et les sols, sont autant de facteurs de propagation ou d’amplification des pandémies. Il est notamment démontré que de nombreuses bactéries et maladies dangereuses se fixent sur lesmicroplastiques qui prolifèrent dans l’eau. Sans oublier la fonte du permafrost en Arctique ou les grandes sécheresses en Afrique qui libèrent du sol des pathogènes contagieux dramatiques comme l’anthrax. Bref, il n’y a pas de doute : la crise sanitaire actuelle est un pendant de la crise environnementale mondiale.
EA : Peut-on parler d’une prise de conscience environnementale à la faveur de cette crise ?
J. Lasne : Beaucoup évoquent le monde d’après, auquel j’aimerais croire et auquel j’aspire, mais les comportements à l’annonce dudéconfinementfont craindre qu’on assiste plus à des « résolutions de nouvelle année » qu’à une véritable prise de conscience générale. Cependant les clusters et l’éventualité d’une nouvelle vague finiront peut-être par ancrer dans les esprits que cette pandémie nécessite bien une métamorphose en profondeur de notre société et de nos modes de vie et de consommation.
EA : Quelles sont alors les priorités ?
J. Lasne : La préservation des milieux, tant en quantité qu’en qualité et en continuité écologique, devient prioritaire, en particulier sur l’air, l’eau, les sols et la forêt, afin d’éviter les propagations virales dues à la destruction des barrières naturelles. À cet égard, les critères de l’OMS constituent une bonne base de départ.
EA : Comment placer les enjeux climatiques au cœur de la relance ?
J. Lasne : Sans parler de décroissance, nous devons viser la résilience au sens premier du terme – un véritable vivreautrement, qui comprenne certes les valeurs et savoirs (allopathique, sanitaire, économique, philosophique, scientifique…) traditionnels, mais qui les associe à des techniques nouvelles comme l’agroforesterie, l’agroécologie, les banques de semences, l’économie circulaire et locale, ou encore les énergies renouvelables et vertes, et qui intègre une réflexion objective sur l’ensemble des coûts économiques comme écologiques, ainsi qu’une analyse du cycle de vie (ACV) systématique – comme cela se fait déjà pour de nombreux objets du quotidien. On ne peut pas développer la voiture électrique sans travailler sur ses batteries polluantes au lithium, ni prioriser les éoliennes sans prendre en compte leur impact sur la faune sauvage et les courants marins ainsi que la pollution sonore et les infrasons qu’elles génèrent, et les matières premières qu’elles nécessitent.
Ce qui n’empêche pas de trouver des solutions « gagnant – gagnant » pour tout le monde. Prenons l’exemple de la pollution sonore dans le trafic maritime, qui entraîne des collisions de cétacés avec des bateaux : une simple réduction de 10 % de la vitesse de la flotte suffirait à empêcher tout accident, tandis que le coût de ce ralentissement serait compensé par la réduction de la consommation de carburant.
Cessons la politique de l’autruche, la tête enfouie dans un sol radioactif explosif… Ne suivons pas l’exemple terrifiant de la Mer de Barents, poubelle nucléaire à ciel ouvert, aux dangers et risques imminents connus, qui depuis mi-2018 héberge en plus des centrales nucléaires flottantes !
EA : Quelles sont les conséquences du COVID-19 pour vos activités dans la défense des animaux ?
J. Lasne : La faune sauvage se situe actuellement bien en bas de la liste des priorités. Les financements, aides, dons ont été gelés comme le reste des flux économiques, et les bénévoles qui constituent une part considérable des effectifs des parcs nationaux et du secteur de la conservation, confinés comme le reste de la population… Pourtant les animaux sont eux aussi menacés par la pandémie – certes pas sur le plan sanitaire, mais la désorganisation qu’elle entraîne laisse le champ libre aux bandes armées, terroristes, braconniers et autres criminels qui les chassent et les exploitent. Dans la bande malienne où j’ai œuvré récemment, la situation actuelle a permis des rapprochements entre l’EI, Boko Haram et d’autres mouvements terroristes, avec des conséquences terribles pour tous les vivants alentour – pas seulement les humains. Tout cela fait partie intégrante d’une crise plus large du bien-être et de la conservation des animaux qui se déroule sur les continents les plus pauvres du monde.
Propos recueillis par François de Guillebon, rédacteur en chef de Reflets ESSEC Magazine
Paru dans Reflets #133 spécial COVID-19. Pour recevoir les prochains numéros du magazine Reflets ESSEC, cliquer ici.
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