Myriam Cohen Welgryn (E88), dirigeante engagée : « L’entreprise a le devoir de créer les conditions pour neutraliser les biais de genre »
Myriam Cohen Welgryn (E88), présidente de Mars Pet Nutrition Europe, est connue dans le monde de la grande distribution pour son engagement en faveur de l’égalité hommes-femmes. Une cause qu’elle défend en entreprise, mais aussi dans les pages de son nouveau livre, Et tu oseras sortir du cadre.
ESSEC Alumni : Pourquoi avoir décidé d’écrire cet ouvrage ?
Myriam Cohen Welgryn : J’avais créé pour m’amuser à titre privé le personnage d’Olympe Castor, un avatar de résistance dont le nom fait directement référence à de grandes figures du féminisme : Olympe de Gouges et Simone de Beauvoir (the Beaver, alias le Castor). Je postais de temps en temps des dessins sur ma page Facebook, qui ont attiré l’attention d’Emmanuelle Bucco-Cances (E87), directrice générale de Harper Collins France. Celle-ci m’a proposé d’en faire un ouvrage. J’ai accepté parce que j’ai trois filles. Et que j’ai envie de leur transmettre ce que j’ai appris à mesure que je me frottais tout au long de ma carrière aux difficultés que les femmes rencontrent dans leur ascension professionnelle. J’ai l’espoir un peu candide de leur faire gagner du temps… Et de contribuer à faire bouger les lignes, à la manière du colibri cher à Pierre Rabbi, pour qu’émerge un monde où elles pourront déployer leurs ailes plus librement. C’est ainsi qu’est né Et tu oseras sortir du cadre, livre hybride, qui n’est pas vraiment une BD, mais plutôt un récit graphique et joyeux. Un témoignage dont l’ambition est de traiter ce sujet sérieux sans se prendre au sérieux, avec humour et une pointe de provocation.
EA : Quels aspects de votre parcours illustrent-ils les difficultés auxquelles les femmes peuvent se heurter en entreprise, par rapport aux hommes ?
M. Cohen Welgryn : Je raconte notamment dans mon livre un retour de congé de maternité compliqué où j’ai découvert que quelqu’un d’autre que moi occupait désormais mon poste ! Je mets aussi en scène les erreurs de novice, que j’appelle erreurs « d’oies blanches », qui m’ont gênée dans ma progression et que j’ai progressivement appris à dépasser. Par exemple, le perfectionnisme, aussi inefficace qu’épuisant. Ou encore, l’idée naïve qu’il suffit de bien faire son travail pour que cela se sache ! Au travail, il ne suffit pas de « bien faire », il faut aussi « faire savoir ». Et puis se faire aider, et se trouver des mentors aux bras longs. En bref, j’ai dû apprendre que les règles de l’entreprise diffèrent des règles de l’école : ce sont des règles écrites par les hommes pour les hommes.
EA : Comment décoder ces règles tacites ?
M. Cohen Welgryn : Vous pouvez commencer par lire Et tu oseras sortir du cadre ! J’y décris les « 5 lois de gravité » qui selon moi tirent les femmes vers le bas et les empêchent de gravir les sommets de l’entreprise. La loi « du masculin intempestif » qui, par le langage, contamine les consciences et empêche les petites filles de se projeter de la même manière que les petits garçons. La loi de « l’inertie radicale », qui tend à maintenir le statu quo. La loi « du costume à taille unique », qui empêche d’imaginer les solutions sur mesure nécessaires pour tenir compte des besoins spécifiques des femmes (et de plus en plus d’hommes). Et la loi de « l’équarrissage intempestif », qui tend à élaguer tout ce qui dépasse et nous empêche d’oser être nous-mêmes. Pourquoi faudrait-il porter un masque lorsqu’on est en entreprise ? L’entreprise a beaucoup à gagner à permettre à chacun de rester soi.
EA : Quels conseils donnez-vous aux femmes pour briser le plafond de verre ?
M. Cohen Welgryn : Je crois que nous, les femmes, devons comprendre que nous sommes co-responsables du plafond de verre qui nous empêche d’atteindre les sommets. Nous pouvons nous mettre en mouvement sans attendre, en agissant sur les barrières mentales qui nous inhibent. Nous devons tout d’abord prendre conscience de l’existence des biais de genre. Aussi curieux que cela puisse paraître, cette prise de conscience n’est pas encore générale. Je raconte d’ailleurs la surprise qui fut la mienne, en passant le test d’association implicite de Harvard, de découvrir que j’avais moi-même des biais ! Il ne suffit pas d’être sensibilisé au sujet pour effacer les stéréotypes qui nous ont façonnés !
Il faut ensuite que nous cessions de croire à l’existence des « Super Women ». On ne peut pas tout faire tout seul. Je ne connais personne qui soit parvenu à se réaliser au plus haut niveau, quels que soient ses choix, sans avoir été soutenu d’une manière ou d’une autre. Il faut que nous apprenions à partager les tâches sans culpabilité, et même que nous exigions le partage. Mon deuxième conseil est donc de bien choisir son ou sa partenaire. Un(e) partenaire qui mette sa réalisation personnelle au même niveau que la nôtre. Un(e) partenaire qui nous aide à déployer nos ailes.
Mon troisième conseil, et c’est un corolaire, est de bien choisir aussi son entreprise. Une entreprise qui a les mêmes valeurs que soi, car on ne peut pas changer la culture d’une entreprise.
Enfin, et surtout, je crois que les femmes doivent être solidaires et s’entraider. C’est ce que j’appelle « le coup de pouce de Mocambo », du nom du bar dans lequel Marylin Monroe s’affichait tous les jours pour attirer la presse et faire décoller la carrière d’Ella Fitzgerald… Elle avait passé un deal avec le gérant du bar pour qu’il accepte de la faire monter sur scène !
EA : Les femmes sont-elles seules à porter ce combat ?
M. Cohen Welgryn : Les hommes comme les femmes sont victimes des biais que leur éducation et la pression sociale leur ont inculqué. Un monde où la diversité est riche permet à chacun d’être mieux au quotidien, j’en suis convaincue. Les hommes ont donc intérêt à promouvoir l’égalité des chances. Et l’entreprise dans son ensemble a le devoir de créer les conditions qui permettent de neutraliser les stéréotypes de genre. C’est d’ailleurs plus qu’un devoir ; c’est l’intérêt bien compris de l’entreprise. La recherche le démontre désormais : l’entreprise est plus performante lorsqu’elle donne plus de place aux femmes. Elle génère plus d’innovation et de meilleurs résultats financiers.
Bien sûr, il ne s’agit en aucun cas de déclencher une guerre des sexes. Bien au contraire ! Il s’agit de travailler ensemble et voir comment déjouer les lois de la gravité qui tirent les femmes vers le bas. Le plus réjouissant, c’est qu’on commence à identifier empiriquement comment corriger ces biais, et comment permettre aux femmes d’apporter ce qui fera du bien à tous. Bref, je prône un féminisme joyeux et inclusif !
EA : Au-delà de cet ouvrage, comment vous engagez-vous pour l’égalité hommes-femmes au quotidien ?
M. Cohen Welgryn : J’ai toujours mis une grande énergie soit à maintenir soit à obtenir une parité hommes-femmes dans tous les comités de direction que j’ai présidés, en France ou en Europe. Je décris d’ailleurs dans mon livre le plan très festif que j’ai contribué à mettre en place dans l’une des entreprises où j’ai travaillé. Je suis par ailleurs membre du conseil d’administration de Lead, réseau de développement et de promotion des femmes dans les entreprises de la distribution et de grande consommation en Europe.
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E11), responsable des contenus ESSEC Alumni
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