Baudouin de Pontcharra (E09), président de SNL : « Nous nous mobilisons contre le mal-logement »
La Fondation Abbé Pierre estime à 4 millions le nombre de mal-logés en France. Baudouin de Pontcharra (E09), président de Solidarités Nouvelles pour le Logement (SNL), explique comment il lutte au quotidien contre ce fléau – et appelle les alumni à s’engager à ses côtés.
ESSEC Alumni : Comment est née SNL ?
Baudouin de Pontcharra : SNL a été créée en 1988 par deux frères, Denis et Etienne Primard, partis du constat que le logement était essentiel dans le parcours d’insertion des personnes en difficulté et que l’offre de logements accessibles aux plus précaires était largement insuffisante. Le duo a donc constitué un groupe local de solidarité avec quelques habitants du XIXème arrondissement de Paris et financé l’achat d’un premier logement intégralement grâce à des dons, afin d’y accueillir et accompagner des personnes sans domicile fixe.
EA : Trente ans plus tard, quel est le bilan de SNL ?
B. de Pontcharra : La conviction profonde que toute personne doit pouvoir habiter dans un logement décent et être pleinement intégré dans la société reste toujours au cœur de notre projet citoyen. L’association est désormais implantée dans toute l’Ile-de-France (hors 77) et compte 120 groupes locaux avec 1 400 bénévoles, 85 salariés (dont un tiers de travailleurs sociaux) et plus de 1 100 logements passerelles. Chaque nuit, près de 3 000 personnes issues de la grande précarité, dont 1 300 enfants, dorment dans leur propre logement grâce à SNL. Et depuis l’origine, ce sont en tout plus de 10 500 personnes qui ont été accueillies et accompagnées vers le relogement.
EA : Concrètement, comment SNL parvient-elle à ces résultats ?
B. de Pontcharra : Au niveau individuel, en plus de mettre à disposition un logement, nous proposons un accompagnement à deux niveaux : apprendre à vivre chez soi et s’insérer dans son quartier. C’est là que réside la clef de notre réussite, puisque 93 % des ménages locataires, au bout de trois ans, réunissent les conditions nécessaires pour être relogés durablement.
Au niveau régional, nous intervenons auprès des collectivités territoriales, pour les aider à atteindre le nombre de logement social prévu par la loi. Nous réhabilitons ainsi des bâtiments du parc public qui ne sont pas valorisés, en les transformant en logements et en veillant à leur qualité énergétique.
Et au niveau national, nous nous mobilisons pour pallier les insuffisances de la réponse publique, pour alerter le gouvernement sur les besoins du terrain, et pour faire en sorte que le « choc de l’offre » promis par le gouvernement en matière de logement social soit enfin perceptible.
EA : Comment votre parcours vous a-t-il mené à vous impliquer au sein de SNL ?
B. de Pontcharra : J’ai toujours été impliqué dans des associations, parce que je suis convaincu de leur importance dans le vivre ensemble, et aussi parce que c’est là que j’ai vécu mes plus belles rencontres. Ce sont des lieux de fraternité, des terreaux de solidarité… et je suis persuadé qu’elles deviendront encore plus nécessaires à l’avenir.
Parallèlement, je suis un professionnel de l’immobilier. Après avoir suivi la Chaire Immobilier et Développement durable à l’ESSEC, j’ai rejoint une foncière puis créé la société Chalandiz, qui accompagne des acteurs de l’immobilier dans leur transformation digitale.
C’est donc assez naturellement qu’il y a 4 ans, j’ai cherché à mettre mes compétences au service d’une association spécialisée. De nombreux proches m’ont alors parlé de SNL, qui venait d’être lauréate de La France S’Engage (devenue la Fondation France S’Engage).
EA : Pourquoi avoir décidé de briguer la présidence ?
B. de Pontcharra : Le précédent détenteur du poste, Alain Régnier, a été nommé délégué interministériel à l’accueil et à l’intégration des réfugiés, et les administrateurs de SNL ont pensé à moi pour lui succéder. J’ai décidé de relever le défi, tout simplement parce que j’avais envie de monter en première ligne, à l’heure où nous traversons une période très dure sur le plan social et sociétal. On compte ainsi 4 millions de mal-logés en France, selon la Fondation Abbé Pierre. Une statistique qui recouvre différentes réalités – personnes sans abri, hébergements d’urgence, habitats insalubres, appartements surpeuplés – et qui est aggravée par la rareté foncière, la hausse des prix de l’immobilier et plus récemment la baisse des APL. Résultat : près de 2 millions de demandes de logements sociaux sont en attente de traitement.
EA : Quelles ont été vos premières actions en tant que président de SNL ?
B. de Pontcharra : J’ai choisi de prendre le temps de la réflexion avec des États Généraux impliquant l’ensemble des membres et des partenaires (publics, privés, associatifs) de SNL. Objectif : dresser l’état des lieux de nos activités et préparer nos 30 prochaines années en donnant sa place à chacun, qu’il soit bénévole, locataire ou salarié de SNL, dans le développement de l’association. Car je crois fermement aux échanges fructueux entres les générations – notamment au fait de combiner l’expérience des anciens et les outils des plus jeunes. Cela aide à « tricoter l’intricotable », comme le formulait récemment une bénévole historique.
Dans le même esprit, j’essaie de rencontrer un maximum d’acteurs, président(e)s d’associations et de fondations, politiques, dirigeant(e)s, nouveaux acteurs… pour partager sur nos problématiques et nos solutions, défendre les questions de lutte contre le mal-logement ou encore établir de nouveaux partenariats.
EA : Quels sont les principaux chantiers que vous souhaitez engager ?
B. de Pontcharra : Nous devons à la fois questionner nos méthodes de travail et repenser notre modèle de développement. À quel public nous adressons-nous ? Sur quels territoires devons-nous nous implanter ? Comment innover pour créer de nouveaux logements sociaux ?
Ce dernier point est particulièrement important. Nous exerçons en Île-de-France, dans un marché immobilier de plus en plus contraint, où capter une part du parc privé pour créer du logement très social demande une certaine inventivité ! Certains dispositifs sont cependant prometteurs. Nous sommes ainsi en train de déployer un partenariat basé sur l’Usufruit Locatif Social avec PERL (Nexity), la RIVP et la Fondation Abbé Pierre, qui va nous permettre de créer puis gérer six logements très sociaux de grande qualité dans la friche industrielle du carré Daumesnil à Paris. Le Bail à Réhabilitation ouvre également des perspectives intéressantes.
EA : Quels sont les moyens dont dispose SNL pour mener à bien ses missions ?
B. de Pontcharra : Nous nous reposons sur une équipe de 82 salariés, dont plus d’un tiers de travailleurs sociaux. Nos ressources annuelles s’élèvent à environ 13 millions d’euros. Les loyers représentent un tiers de cette somme, derrière les subventions et les aides publiques. Près de 20 % proviennent de la générosité : dons de particuliers, mécénats privés, produits d’épargne solidaire.
EA : Avez-vous constaté une baisse des dons récemment, comme beaucoup d’acteurs associatifs ?
B. de Pontcharra : La suppression de l’ISF, la hausse de la CSG et la mise en place du prélèvement à la source ont porté un coup dur à l’ensemble du secteur associatif, qui estime la baisse des dons à 54 % cette année, soit un manque à gagner de 130 à 150 millions d’euros. Cependant l’impact est limité pour SNL, car cette source de financement reste minoritaire dans notre équilibre. Et la plupart de nos partenaires nous ont renouvelé leur confiance en 2018-2019, tels que la Fondation Abbé Pierre, la Fondation Bruneau, la Fondation des promoteurs immobiliers, la Fondation Macif ou encore Grosvenor.
EA : Comment gérez-vous votre patrimoine immobilier ?
B. de Pontcharra : Nous avons créé une foncière, SNL Prologues, qui est une Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale, dont le capital est abondé par des fonds d’épargne solidaire et des particuliers. Ceci nous permet de développer des partenariats avec la branche Investissement Solidaire de groupes tels que Amundi, BNP Paribas, Mandarine Gestion, Natixis… France Active a renouvelé et élargi sa participation en 2018. Nous sommes dans une démarche de qualité qui a été reconnue par Finansol, le label de la finance solidaire.
Nous disposons en outre d’un agrément de Maîtrise d’Ouvrage d’Insertion nous permettant de bénéficier des financements propres au logement social. Nous créons ainsi du logement PLAI ou PLAI plus. Nos locataires sont orientés vers nous par nos financeurs (l’État, la Région, les collectivités, Action Logement, des associations…) qui disposent de droits de réservation sur notre parc. Pour la partie des logements que nous autofinançons, des commissions d’attributions composées de membres de SNL passent en revue les dossiers que nous recevons en direct.
EA : Comment les ESSEC peuvent-ils soutenir vos activités ?
B. de Pontcharra : Côté étudiants, nous sommes à la recherche régulière de stagiaires mais également à l’écoute de ceux qui, dans le cadre de leurs cursus, souhaiteraient nous proposer un projet en marketing et management digital, ou bien en management urbain et immobilier.
Côté diplômés, nous invitons les chefs d’entreprise et les cadres de grandes entreprises à nous contacter pour mettre en place de nouveaux partenariats, que ce soit pour du mécénat financier ou de compétence, ou dans le cadre de leur démarche RSE. Nos responsables de maîtrise d’ouvrage sont en outre à la disposition des alumni qui disposent d’un patrimoine et souhaitent le valoriser en y intégrant une forte composante sociale.
De manière générale, nous invitons toutes celles et tous ceux qui ne veulent pas se résoudre à l’indifférence face au mal-logement à nous rejoindre ! Chacun peut devenir bénévole et s’investir à la mesure de son temps, de ses compétences… Ce sont des expériences marquantes, qui donnent l’occasion de transmettre ce que l’on a soi-même reçu, mais aussi de beaucoup recevoir en retour.
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser(E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
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Illustration : Baudouin de Pontcharra (E09)
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