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Bernard Ollié (E83) : « Le marché du bio a passé la crise »

Interviews

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03.12.2025

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Bernard Ollié (E83) préside good, observatoire des consommations alternatives qui a notamment développé un panel des distributeurs du réseau bio en France. Il dresse un état des lieux d’un marché qui a passé la crise mais qui reste fragile.

ESSEC Alumni : Comment expliquer les difficultés du marché bio ces dernières années ? 

Bernard Ollié : Il faut remonter aux années COVID pour bien comprendre les évolutions récentes. De 2020 à 2022, la situation sanitaire profite au bio. On cuisine. On épargne. Tout concourt à des achats alimentaires jugés plus qualitatifs. Résultat : le bio bat des records de chiffre d’affaires et le nombre de magasins spécialisés explose, atteignant 3 200 enseignes en 2021. Alors pourquoi n’en compte-t-on plus que 2 600 en 2025 ? À partir de 2023, la sortie de la pandémie marque une baisse du budget alloué à l’alimentation. Conjointement, la guerre en Ukraine provoque une fièvre des prix qui frappe plus brutalement encore la consommation bio. Sans oublier une pression plus souterraine et délétère, qui n’a été évaluée à sa juste valeur qu’avec retard : le greenwashing. La croissance du bio a en effet fini par attirer les acteurs conventionnels. Certaines grandes surfaces, comme Carrefour ou Leclerc, ont tenté de lancer des chaînes dédiées, tandis que de grandes marques de café, de pâtisserie ou de produits frais se sont mises à proposer des extensions bio. Mais cette tendance a entraîné l’émergence d’une concurrence déloyale : celle de « labels » qui n’en ont que l’apparence, c’est-à-dire qui utilisent des noms trompeurs évoquant des produits naturels (Haute Valeur Environnementale - HVE, Zéro résidu de pesticides, Bleu Blanc Cœur…) tout en affichant des prix 15 à 20 % moins chers. 

EA : Dans ce contexte, où en est le marché aujourd’hui ?

B. Ollié : Le marché français stagne à un volume global de 12 milliards d’euros en 2024. Cette relative stabilité masque des réalités contrastées sur le terrain. En amont, les surfaces cultivées en agriculture bio ont baissé de 2 % sur cette même année, tandis qu’en aval, les grandes surfaces (GMS) ont subi une chute de 5 % et les artisans comme les bouchers et les maraîchers ont dégringolé de 7-8 %. En revanche, les 26 000 fermes en vente directe enregistrent une hausse de 6 % et le réseau spécialisé, qui pèse à lui seul 30 % du marché, revendique une croissance de 5 %. Des résultats qui tiennent à la purge des magasins les moins performants et à la décapitation des rayons bio dans les GMS, qui a renvoyé les consommateurs vers le réseau spécialisé. À noter également, une inflation de 5 à 10 points moins élevée par rapport aux mêmes GMS : les fruits et légumes frais notamment, qui représentent environ 15 % du chiffre d’affaires total dans le secteur, affichent des prix devenus très attractifs depuis que le coût des intrants utilisés en agriculture conventionnelle, comme les fertilisants, a explosé avec l’aggravation des tensions géopolitiques – pour mémoire, la Russie est le 3ème producteur d’engrais mondial... On a ainsi vu des pommes bio au même prix que les pommes conventionnelles chez Leclerc en 2024. 

EA : Quelles conclusions tirer de cet état des lieux pour l’avenir ?

B. Ollié : Le marché bio est stable, pas dynamique. Il a certes passé la crise mais seulement grâce à ses « adeptes », à la fois ultra fidèles et gros consommateurs, qui représentent 30 % de la clientèle. Hormis ce socle, les fondamentaux ne sont pas consolidés : le greenwashing sévit toujours (le Conseil d’État a récemment décidé de maintenir le référentiel HVE malgré la requête d’un collectif d’en annuler la nouvelle version), les pouvoirs publics ne soutiennent pas assez le secteur (la Commission européenne vient de retirer un projet de règlement qui visait à réduire de moitié l’usage des pesticides d’ici 2030) et les prix restent trop hauts (particulièrement pour la classe moyenne, principal réservoir de croissance mais au pouvoir d’achat en berne). Impossible dans ces conditions de dépasser les 5 % d’alimentation bio dans le pays. 

EA : Ces constats s’appliquent-il uniquement à la France ? Ou la situation est-elle similaire partout ? 

B. Ollié : Il est difficile d’établir des comparaisons car la notion même de bio peut varier d’un pays à l’autre, avec différents degrés de sévérité et d’exclusion dans l’acception. Une certitude cependant : la défiance à l’égard des dérives de la méga-agriculture – pesticides, OGM, destruction des écosystèmes – est unanime. Mais l’adoption du bio reste tributaire d’autres facteurs, notamment géographiques (le pourtour méditerranéen produit plus facilement du bio que la Belgique), culturels (les populations avec une approche plus diététique de l’alimentation se tournent plus facilement vers le bio), concurrentiels (les lobbies de l’agriculture conventionnelle sont plus ou moins forts selon les pays) et logistiques (le réseau de distribution bio français fait figure d’exception). 

EA : Comment la France se positionne-t-elle sur le marché bio par rapport aux autres pays ?

B. Ollié : Encore une fois, on parle ici de bio « à la française », c’est-à-dire adossé à un cahier des charges établi par un certificateur agréé Cofrac, le fameux label Eurofeuille. Dans ce cadre, la France figure parmi les meilleurs élèves européens en termes de contrôle, de qualité et de réglementation, aux côtés de l’Autriche, l’Allemagne, l’Espagne et surtout le Danemark, qui détient le record mondial de part de marché bio, à savoir 12 % du marché alimentaire total. De fait, l’État français gagnerait de s’inspirer un peu plus du Danemark : là-bas, la restauration collective utilise 12 % de produits bio, contre seulement 6 % chez nous, et le gouvernement a même fixé un objectif de 75 % pour les cantines publiques. 

EA : L’État français a d’ailleurs jeté un froid au début de l’année en menaçant de supprimer l’Agence Bio…  

B. Ollié : Cette tentative n’a pas tenu la route pour deux raisons. D’une part, le budget de l’Agence Bio est trop faible pour justifier sa suppression : le gain financier se serait élevé à 1 million d’euros environ, pour une perte considérée comme vitale par la majorité des acteurs du secteur. D’autre part, l’Agence Bio remplit un rôle tout à fait nécessaire de coordination, d’orientation des investissements et de promotion. Il semble que notre camarade Laure Verdeau (E08), qui dirige l’Agence Bio, ait finalement su le faire voir à nos décideurs.

EA : Quels facteurs sont-ils susceptibles de jouer sur l’évolution du marché bio dans un futur proche ? 

B. Ollié : Côté freins, on peut citer les prix, la déconfiture des partis écologiques, le ras-le-bol des agriculteurs face aux réglementations, la confusion des consommateurs face à la jungle des labels. Côté opportunités, il faut prendre en compte l’arrivée de 200 000 seniors par an, plus enclins au bio, et la répétition des scandales sanitaires, notamment l’épidémie de cancers, qui constituent autant de prises de conscience. Ces différents éléments permettent quelques projections. Les tensions géopolitiques risquent fort de perdurer et donc de nourrir l’inflation, au bénéfice du bio sur les produits frais (fruits et légumes) qui constituent son fer de lance. Les magasins spécialisés et la vente directe devraient ainsi maintenir leur dynamique actuelle. À l’inverse, les GMS resteront probablement atones sur le bio : elles auront d’autres combats à mener au vu du contexte économique. De quoi miser, en tout, sur une croissance régulière de 3 à 5 % pour l’ensemble du marché. 

EA : Au-delà de ces tendances, quelles actions et mesures vous paraîtraient-elles pertinentes pour développer le marché du bio ? 

B. Ollié : Si l’on parle de la consommation Bio comme d’une consommation associée à des référentiels normés, partagés et contrôlés, quatre axes d’action me paraissent se dégager. Primo : des efforts sur les prix. Le réseau bio a d’ailleurs déjà amorcé sa révolution culturelle sur ce point en développant depuis 2022 des marques distributeurs, des promotions et des 1ers prix. Deuxio : la lutte contre le greenwashing. Là aussi, des lois européennes sont déjà dans les tuyaux, par exemple la directive sur l’autonomisation des consommateurs pour la transition verte (ECGT), qui devrait entrer en vigueur avant 2026, ou le Green Claims Directive sur les règles de vérification, prévue pour 2028. Tertio : l’unification des acteurs du secteur. Le marché a connu des taux de croissance à 2 chiffres pendant 20 ans, de sorte qu’il n’a pas eu besoin d’apprendre à se fédérer et à collaborer pour peser sur les lois et contre le lobby agricole conventionnelle. Cette période est révolue : il faut désormais se regrouper pour défendre ses intérêts. Dernier axe : l’innovation. Le bio a un peu perdu son identité historique de pionnier et de lanceur d’alerte, notamment dans ses extensions en non-alimentaire comme l’hygiène et le soin, qui plongent de 8 à 12 % par an à mesure que ses bénéfices de naturalité sont récupérés par les marques conventionnelles. Il devient urgent de reprendre la main. 

EA : À (long) terme, peut-on imaginer un monde où le marché bio serait majoritaire voire hégémonique ? 

B. Ollié : Je ne crois pas, sauf invention de rupture majeure. Comment imaginer que le bio puisse rivaliser avec les technologies en cours de déploiement dans l’agriculture conventionnelle – génétique, IA, data, manipulation directe et formelle du vivant… ? Cependant le bio n’en gardera pas moins un rôle majeur : celui de raisonner le progrès, de le stimuler et de l’infléchir vers la bonne direction.

 

Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni 

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