Florence Dupré (M95) : « Seulement 10 % des CEO dans le monde sont des femmes »

En parallèle d’une carrière de dirigeante dans le secteur de la santé, Florence Dupré (M95) porte l’initiative Women for CEO. Objectif : faire passer la part de femmes CEO dans le monde de 10 % à 50 % en 10 ans. 

ESSEC Alumni : Pourquoi avoir lancé Women for CEO ?

Florence Dupré : Malgré de réels efforts au niveau politique comme au niveau des entreprises, la part des femmes exerçant des fonctions de CEO dans le monde plafonne encore à 10 %. Sur la base du taux actuel de rotation à ces postes, il faudrait plus de 80 ans pour atteindre la parité. Et le constat vaut même pour les industries féminisées comme celle de la santé. D’où l'importance d'une prise de conscience collective et la nécessité d'une action concertée pour changer la donne. Il ne s’agit pas seulement d’une question d’équité : les faits montrent que davantage de diversité à tous les échelons des organisations, dont à leur sommet, amène de meilleures performances.

EA : Face à ces constats, que proposez-vous avec Women for CEO ? 

F. Dupré : Notre mouvement se donne pour objectif d’atteindre la parité sur les postes de CEO dans moins de 10 ans. Pour réussir cette accélération, nous nous appuyons sur un collectif de leaders hommes et femmes animés par de fortes convictions et prêts à réinventer un cadre de travail plus inclusif et efficient en usant de leur pouvoir d’influence et de décision. 

EA : Concrètement, quelles actions comptez-vous mener ? 

F. Dupré : Nous avons d’ores et déjà choisi 3 leviers que nous appelons nos « marches ». Première marche : comment les femmes peuvent travailler sur elles-mêmes et entre elles pour prendre conscience du plafond de verre social. Deuxième marche : comment les hommes peuvent travailler sur eux et entre eux pour prendre leur part de responsabilité dans l’existence de ce plafond de verre. Troisième marche : comment les hommes et les femmes peuvent travailler ensemble sur l’organisation et la gouvernance des entreprises pour favoriser l’égalité d’accès aux postes à responsabilité.

EA : À ce stade, qui s’engage à vos côtés ? 

F. Dupré : Nous mobilisons déjà un réseau de 350 leaders ainsi que de nombreux experts en diversité et inclusion. Nous avons en outre composé un comité scientifique pour analyser les enjeux de la parité et des biais en entreprise, élaborer notre feuille de route en conséquence et établir des indicateurs pour mesurer nos progrès et ajuster notre trajectoire. L’équipe compte Viviane de Beaufort, professeure, référente égalité femmes-hommes et fondatrice des programmes Women Empowerment à l’ESSEC ; Guillaume Alvarez, directeur du développement corporate du Global Peter Drucker Forum et responsable stratégie de ThinkYoung ; Sophia Belghiti-Mahut, maîtresse de conférences en sciences de gestion à l’Université Paul Valéry -  Montpellier III ; et Pascal Huguet, directeur de recherche de classe exceptionnelle au CNRS, directeur du Laboratoire de psychologie sociale et cognitive (LAPSCO) de l’université Clermont-Auvergne et membre du conseil scientifique de l'Éducation nationale.

EA : Vous pouvez aussi compter sur le soutien de l’écosystème ESSEC…  

F. Dupré : L'ESSEC joue un rôle clé dans le mouvement grâce à l’implication de Viviane de Beaufort mais aussi de Vincenzo Vinzi. Women for CEO peut ainsi se nourrir des travaux académiques de l’école sur la gouvernance d’entreprise, de ses engagements en matière de mixité, de son vaste réseau d'alumni ou encore de son expertise du mentorat. J’ai d’ailleurs moi-même eu l’honneur d’être nommée marraine de la 15^ème promotion de la formation Women Board Ready. 

EA : Vous organisez un événement inaugural le 17 octobre en partenariat avec Future4Care. Quel est le programme de cette soirée ? 

F. Dupré : Nous allons partager notre feuille de route, soumettre aux votes des participantes et participants nos 3 marches ainsi que 9 priorités et 27 engagements personnels (« smart goals »), et lancer le chantier de création d’une matrice de compétences du leader inclusif et efficient. Nous présenterons en outre les résultats d’une enquête que nous avons menée avec Pascal Huguet afin de mieux comprendre et mesurer les stéréotypes de genre dans nos sociétés. 

EA : Que révèle cette enquête ? 

F. Dupré : La méthode que nous avons adoptée repose sur des tests de mémoire sémantique permettant d’identifier nos biais implicites, c’est-à-dire dont nous ne sommes pas conscients mais qui n’influencent pas moins nos comportements et décisions. Ces tests consistent à mesurer le temps que mettent les répondants et répondantes à associer certains mots : par exemple, on se rend compte que l’association entre femmes et mathématiques tend à se faire plus lentement qu’entre hommes et mathématiques. Ce type d’indicateurs implicites – par opposition aux indicateurs explicites comme les questionnaires et les entretiens – révèlent nos automatismes et nos préjugés. Ils offrent ainsi une vision plus objective des mécanismes à l’œuvre dans les discriminations, ce qui constitue la première étape pour les réduire. Une fois les biais conscientisés, il est en effet plus facile de les prendre en compte dans les processus de recrutement ou de promotion, et de prendre des mesures pour les atténuer. 

EA : Quelles autres actions prévoyez-vous dans un avenir proche ?

F. Dupré : Des sessions de débriefing avec Pascal Huguet pour les répondants et répondantes du test, des groupes de travail sur chaque marche pour (re)valider nos livrables et des collaborations avec des entreprises autour des stéréotypes de genre. Je vous invite à suivre la page LinkedIn de Women for CEO pour être tenu au courant de nos avancées.

EA : Comment les ESSEC peuvent-ils soutenir vos actions ?

F. Dupré : Vous pouvez vous porter volontaire pour du mentorat ou du coaching, ouvrir votre réseau pour créer des opportunités de networking et faciliter l'accès des femmes talentueuses à des postes de direction, ou encore, si vous êtes vous-même une femme exerçant de hautes responsabilités, partager votre parcours et vos conseils lors d'événements ou de webinaires. Si vous êtes en position de le faire, n’hésitez pas à mobiliser votre entreprise pour un partenariat avec Women for CEO autour de la promotion de la diversité ou de la recherche sur le leadership féminin. Et si vous en avez les moyens, vous avez aussi la possibilité de nous faire un don. 

EA : Au-delà de Women for CEO, quelles autres actions vous paraissent-elles nécessaires pour atteindre l’égalité femmes-hommes aux postes de pouvoir ? 

F. Dupré : Il faut encore renforcer le cadre législatif en développant et en appliquant les lois favorisant l'égalité professionnelle comme celle sur les quotas de genre dans les conseils d'administration. L'éducation et la sensibilisation sont également appelés à jouer un rôle primordial pour déconstruire les stéréotypes de genre dès le plus jeune âge. Autres pistes, en vrac : des dispositifs de soutien à l'entrepreneuriat féminin, des politiques de conciliation vie professionnelle-vie personnelle, des programmes de formation continue ciblés pour les femmes à haut potentiel, des campagnes de visibilisation de modèles féminins de réussite, des outils de mesure et de reporting sur l'égalité… Le tout avec l’engagement actif des hommes au même titre que les femmes, et des sphères publiques comme privées.

EA : Quelles ressources conseillez-vous aux ESSEC souhaitant se renseigner voire s’engager dans ce domaine ?

F. Dupré : Je recommande de consulter les contenus de 2GAP, association mondiale des réseaux professionnels féminins et mixtes des secteurs public et privé ; d’explorer les évaluations, décryptages et autres documents du Fonds Social Européen ; de participer aux nombreux événements organisés par l’ESSEC sur la diversité… et pour passer à l’action, de suivre le programme Femmes et Talents de l’ESSEC Executive Education et bien sûr de rejoindre Women for CEO ! 

Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni 

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