Jauffray Dunyach (C07), fondateur d’E-Cotiz : « Les grands groupes ont appris à laisser de l’indépendance aux start-up »
En 2016, le groupe BPCE faisait l’acquisition d’E-Cotiz, solution de gestion de cotisations pour les associations sportives créée par Aurélie Hoefs (E08) et Jauffray Dunyach (C07). Un an plus tard, ce dernier explique comment profiter pleinement d’une opération de ce type tout en gardant son indépendance.
ESSEC Alumni : Pourquoi avoir décidé d'intégrer le Groupe BPCE ?
Jauffray Dunyach : Historiquement, nous avions des échanges privilégiés avec le groupe BPCE, puisque sa filiale S-Money nous accompagnait comme prestataire de service de paiement.
En 2016, notre croissance s’est accélérée et nous avons réfléchi à une seconde levée de fonds avec nos actionnaires –Christophe Chenut, Laurent Damiani, Olivier Locufier, Geoffroy Roux de Bézieux (E84), Olivier Roux de Bézieux, Arnaud Tourtoulou, Thomas Grob (E97) ainsi que le fonds d’amorçage de l’ESSEC. C’est alors que le Groupe BPCE, premier groupe bancaire des associations en France via ses marques Caisse d’Épargne, Banque Populaire et Crédit Coopératif, nous a fait part de sa volonté de s’associer au projet, avec un objectif clair : faire d’E-Cotiz le leader des paiements associatifs en France, en appuyant notre stratégie grâce à leur réseau, leur connaissance des problématiques bancaires et leur compréhension de notre marché.
EA : Comment se sont passées la négociation et la transaction ? Quelles étaient vos conditions ?
J. Dunyach : Comme nous nous connaissions bien avec les dirigeants du groupe BPCE, nous étions chacun en confiance, ce qui a facilité les discussions.
Celles-ci avaient un double objectif. D’une part, donner la possibilité aux actionnaires d’E-Cotiz de sortir de l’aventure ; d’autre part, étudier la manière dont Aurélie Hoefs et moi-même, les fondateurs, voulions écrire l’histoire d’E-Cotiz.
Nous avons été très à l’écoute de la vision du groupe BPCE et des perspectives proposées. Notre ambition était non seulement de distribuer E-Cotiz au sein du réseau bancaire du groupe BPCE, mais aussi de partir à l’international. Le groupe BPCE l’a très bien compris et a su parfaitement y répondre.
L’opération est donc allée très vite puisque nos discussions ont commencé en juin pour une finalisation de l’acquisition fin septembre.
EA : Concrètement, comment s'est préparé, organisé puis déployé le processus d'intégration ?
J. Dunyach : Le groupe BPCE est rompu à l’exercice. Il a acquis de nombreuses start-up avant nous, comme LePotCommun, Depopass ou encore PayPlug, et les a regroupées au sein de l’entité Natixis Payment Solutions (NPS).
Nous sommes donc accompagnés depuis notre intégration par le management de NPS, qui nous aide à franchir les étapes de conformité et de validation de l’offre – passages obligés dans les grands groupes avant de déployer toute solution dans le réseau. Mais cela s’opère dans la plus grande bienveillance. Nous sommes toujours très agréablement surpris de l’approche très constructive qu’a l’ensemble de nos interlocuteurs.
Si notre intégration auprès du management n’aura pris « que » quelques mois, il s’agit désormais de se faire connaître auprès des 108 000 collaborateurs du groupe BPCE pour qu’E-Cotiz devienne un réflexe lorsqu’on parle associations.
EA : Personnellement, comment aborde-t-on le fait de réintégrer une hiérarchie après avoir fondé une start-up ?
J. Dunyach : Il n’y a pas de réintégration de hiérarchie aujourd’hui. En tout cas, ce n’est pas la vision de la directrice générale de Natixis Payment Solutions, Catherine Fournier. Nous fonctionnons de manière autonome avec un comité de surveillance, comme nous le faisions auparavant avec nos actionnaires.
Il ne s’agit pas pour le groupe BPCE d’ingurgiter une activité, mais de l’intégrer et donc de l’aider, l’accompagner, la soutenir dans son développement. Par exemple, nous avons gardé nos bureaux dans le Stade Jean Bouin, dans le 16ème arrondissement de Paris, au sein du Tremplin, car NPS a conscience que notre place est au sein cet écosystème sportif. Les managers sont d’ailleurs enchantés de venir à notre rencontre au Stade dès qu’ils le peuvent pour découvrir la vie d’une start-up.
EA : Et sur le plan organisationnel, comment aborde-t-on fait de passer d'une structure de start-up à celle d'un grand groupe ?
J. Dunyach : La question, c’est plutôt comment passer d’une petite structure à une grande structure – car rejoindre un grand groupe vous donne plus de moyens et vous permet donc d’accélérer vos recrutements et de décupler votre développement. C’est un véritable enjeu de croissance. Il faut savoir continuer de grandir tout en gardant l’état d’esprit et surtout l’agilité du début. Nous avons donc dû monter en compétences et, petit à petit, intégrer des profils plus seniors, pour apporter une nouvelle vision, être challengé sur les idées et surtout se renouveler.
E-Cotiz occupe une position de leader sur le marché mais ne doit pas pour autant se reposer sur ses lauriers. Se maintenir au meilleur niveau représente au contraire un défi de tous les instants : il faut constamment inventer les solutions de demain pour toujours garder un temps d’avance sur la concurrence.
EA : Quels ont été les avantages de cette opération pour e-Cotiz ?
J. Dunyach : Nous avons désormais la chance de pouvoir nous appuyer sur le premier groupe bancaire des associations pour déployer notre solution. En 2018, E-Cotiz sera distribuée dans l’ensemble du réseau bancaire BPCE, auprès de ses 360 000 associations clientes, ce qui va créer une traction importante.
Par ailleurs, nous avions le rêve ou l’ambition cachée de lancer E-Cotiz en Europe. C’est une perspective que nous allons pouvoir envisager grâce aux filiales et partenaires du groupe BPCE.
Enfin, nous avons identifié de nouveaux projets à développer autour de la monétique et du monde associatif dont NPS va accompagner le déploiement.
EA : Avec le recul, pensez-vous que vous auriez pu opter pour une autre forme de levier de croissance ?
J. Dunyach : Nous aurions pu rester indépendants. Nous avions un soutien sans faille de nos actionnaires et nous aurions pu les solliciter pour notre seconde levée. Mais les planètes se sont alignées autrement. D’un côté, il s’est avéré que notre offre répondait à une problématique brûlante pour les banques : la digitalisation des services et la fin du chèque. De l’autre, le milieu du sport a connu un essor important avec la candidature de Paris 2024 – de quoi envisager un changement d’échelle pour E-Cotiz, à condition de s’en donner les moyens. Le groupe BPCE ne s’y est pas trompé : sa proposition ne pouvait pas mieux tomber. C’est seulement avec cette opération que nous pouvions changer de dimension.
EA : Quels seraient vos conseils à un entrepreneur ESSEC sur le point de réaliser une opération similaire à la vôtre ?
J. Dunyach : Il est normal, lorsqu’on est absorbé par un grand groupe, de craindre que cela dénature sa start-up, ou l’esprit qu’on y a insufflé. Mais les grands groupes ont tiré les leçons des échecs passés et comprennent de plus en plus l’importance de laisser une certaine indépendance aux start-up et de les accompagner dans leur croissance. Certes, on ne peut pas changer l’inertie d’un grand groupe, et parfois, on ne peut pas aller aussi vite qu’une start-up, mais leur apport reste considérable, surtout s’il donne du sens et de la légitimité à votre activité, comme cela a pu être le cas pour nous.
Le plus important est de partager avec les dirigeants une vision claire et commune des ambitions que vous nourrissez pour votre start-up et d’identifier les moyens nécessaires pour y parvenir. C’est la clé de la réussite pour une relation constructive et dans la durée avec votre futur partenaire.
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E11)
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