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Jean-Emmanuel Pialoux (E05), bottier : « Tous les néo-artisans passent par la même crise de sens »

Interviews

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09.11.2019

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Carmes, Capitole, Saint-Georges, Daurade, Esquirol. Ces noms de vieux quartiers toulousains sont aussi ceux des souliers que confectionne Jean-Emmanuel Pialoux (E05), récemment (re)converti au métier de bottier, dans son petit atelier de la rue des Paradoux. 

ESSEC Alumni : Comment êtes-vous passé de l’ESSEC à l’artisanat ? 

Jean-Emmanuel Pialoux : En sortant de l’ESSEC, j’ai travaillé quelques temps comme consultant pour de grands groupes. Plus les années passaient, moins je trouvais de sens à mon travail. Et plus j’éprouvais des réticences à facturer 1200 € la journée pour mes Powerpoints, alors qu’un boulanger devait gagner, lui, 1600 € par mois. Au fond, j’ai ressenti le besoin de revenir à plus de « mesure », de faire quelque chose dont je perçoive le début et la fin. Quelque chose où on part de la matière, où on la transforme dans le but de rendre un service aux gens. 

EA : Pourquoi avoir choisi la botterie ?

J.-E. Pialoux : L’idée de devenir bottier m’est venue un jour où je suis rentré dans l’atelier d’un cordonnier pour faire réparer une chaussure. Après quelques mots échangés avec le maître des lieux, je suis reparti convaincu que ce métier-là avait un sens parce que ce travail, derrière ses airs discrets, était vraiment utile. 

EA : Bottier, cordonnier, c’est du pareil au même ? 

J.-E. Pialoux : Bien que proches, les deux termes ne désignent pas la même chose. Le cordonnier répare les chaussures tandis que le bottier les crée sur mesure.

EA : Comment vous êtes-vous formé à la botterie ?

J.-E. Pialoux : Sans grande originalité, je me suis inscrit en CAP Cordonnier bottier. Mais comme dans la plupart des métiers de l’artisanat, j’ai vraiment appris ce métier auprès d’un « grand maître » ; Louis Basso de la maison Jourdan. J’ai en parallèle effectué plusieurs stages – chez le bottier Joël Albert à Saumur spécialisé dans les bottes cavalières, chez Gérald Thibaut ancien de la maison John Lobb également. C'est ainsi, après trois ans et demi de formation dont deux pour obtenir mon diplôme, que je me suis lancé à mon compte.

EA : Pourquoi avoir choisi de vous implanter à Toulouse ? 

J.-E. Pialoux : Après avoir vécu successivement entre la Colombie, le Gabon, la Grèce, le Danemark, la Belgique et le Brésil, j’ai ressenti le besoin de mettre fin à ma vie de globe-trotter et de m’enraciner. Le dernier artisan bottier de Toulouse avait arrêté d’exercer en 2010 ; j’ai senti qu’il y avait une place à prendre. 

EA : Pourquoi se tourner vers vous plutôt que d’acheter des chaussures de marque ?

J.-E. Pialoux : En recourant à mes services, vous savez ce que vous portez – tant la matière que la personne à l’origine du produit, et le travail qu’il a fallu fournir. C’est plus cher évidemment, mais voyez-le comme un investissement : des chaussures faites à la main sont de meilleure qualité, et donc durent plus longtemps. Et n’oublions pas l’esthétique. Une belle patine sur des chaussures demande des années ; ce travail du temps, aucune machine le pourra le remplacer. Traverser les années avec un produit qui s’embellit en vieillissant justifie bien qu’on casse un peu sa tirelire !

EA : Votre formation à l’ESSEC vous sert-elle dans votre nouvelle vie d’artisan ?

J.-E. Pialoux : Bien sûr ! Mes années passées à l’ESSEC m’ont permis de développer des compétences utiles, notamment en communication. J’ai appris à bien parler de ce que je fais, à donner envie aux autres de soutenir mon projet. C’est précieux pour un entrepreneur, qui doit convaincre tout un tas d’interlocuteurs : acteurs bancaires, administratifs... Autre compétence acquise à l’ESSEC : je sais monter un projet, bien prendre en considération toutes les variables pour que le tout soit rentable. Sans oublier le réseau, qui m’a été à plusieurs reprises utile, que ce soit pour présenter mes souliers ou pour récolter des conseils avisés auprès d’amis rencontrés en école. 

EA : Les diplômés d’écoles de commerce semblent de plus en plus nombreux à se reconvertir dans des métiers artisanaux. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

J.-E. Pialoux : Je crois que tous ces néo-artisans passent par la même crise de sens que j’ai déjà décrite, et cherchent à y répondre en se tournant vers une activité à taille humaine et en renouant avec la matière. Je pense en outre que nos générations sont d’autant plus sensibles à l’artisanat qu’elles ont grandi dans le « tout industriel » et le « tout numérique ». J’ai vraiment l’impression qu’on est arrivé à un stade où on ne supporte plus bien cette mise à distance, cette déconnection vis-à-vis de la matière qui, finalement, n’est rien d’autre qu’une déconnection du réel. 

Dernière raison à mon avis à ces reconversions : le besoin de beau. Quand on vise la qualité, on met plus facilement du cœur à l’ouvrage. Ça, c’est un privilège de l’artisanat. 


En savoir plus :
www.lebottiertoulousain.fr

Propos recueillis par Paul de Lapeyrière (E21)

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