Reflets #136 | Sabine Roux de Bézieux (E86) et Pascal Alphonse (E13) : Cap sur la mer !
Dans Reflets #136, Sabine Roux de Bézieux (E86), présidente de la Fondation de la Mer, et Pascal Alphonse (E13), fondateur de Earth To Ocean, racontent les actions qu’ils mènent en faveur de la sauvegarde et de la préservation des milieux maritimes. On vous offre des extraits de leur interview en version digitale… abonnez-vous pour lire tout Reflets !
Reflets Magazine : Quels sont les grands enjeux économiques liés à l’espace maritime ?
Pascal Alphonse : Les chiffres du Cluster maritime français et du Centre d’études stratégiques de la Marine (CESM) parlent d’eux-mêmes : l’économie maritime totalise un chiffre d’affaires de 81 G€ par an ; 90 % du commerce international (en volume) emprunte la voie maritime ; un porte-conteneurs transporte l’équivalent de 8 800 semi-remorques ou de 1 480 avions de fret ; 400 millions de personnes tirent leur principal moyen de subsistance de la pêche ; environ 30 % de la production pétrolière et de gaz sont issus de gisements offshore ; 99 % des communications intercontinentales (Internet, téléphone) transitent au fond des océans ; plus de la moitié de la population mondiale vit à moins de 100 km du littoral. En fait, il y a autant d’enjeux économiques en mer que sur la terre, sinon plus, car il s’agit à la fois d’un espace fluide, sans habitation, sans frontière matérialisée, et d’un espace de connexion des civilisations, depuis la nuit des temps.
RM : L’exploitation économique des espaces maritimes est-elle compatible avec la protection de l’environnement maritime ?
P. Alphonse : Je pense que la question se pose de la même manière que pour une forêt ou une plaine. Coupez tous les arbres de la forêt ou rendez le sol de la plaine infertile et vous ne pourrez plus rien en tirer. Préserver l’environnement, c’est protéger les intérêts économiques – lorsque les choses sont bien faites, que les différents acteurs se mettent autour d’une table pour discuter des mesures de conservation utiles à une exploitation économique raisonnable et sensée. C’est ce qui se passe dans nos parcs marins naturels, comme celui de la mer d’Iroise. Mais il faut pousser la démarche plus avant, prendre soin d’écosystèmes parfois très éloignés des zones d’exploitation : par exemple les mangroves, récifs coralliens et prairies sous-marines où les poissons se reproduisent. Paradoxalement, cela réclame aussi d’agir très en amont, au cœur des terres, notamment en contrôlant les rejets humains dans les rivières ; l’océan commence à Paris !
RM : L’enjeu relève autant de la protection de l’environnement que de la gestion des ressources...
Sabine Roux de Bézieux : L’exploitation des ressources est de deux types : les ressources vivantes et les ressources inertes. La pêche représente directement la première source de protéines pour près d’un milliard de personnes dans le monde. Il est donc indispensable de s’assurer que la mer continue à être productive en matière halieutique. Et puis il y a les ressources minérales que sont le pétrole et le gaz. Si l’on prend l’exemple d’un groupe comme Total, deux tiers de sa production provient des fonds sous-marins. Il ne faut pas oublier non plus les terres et les métaux rares dont nous avons terriblement besoin pour la transition écologique ; on a quasiment épuisé l’exploitation de ces ressources sur terre, ce qui nous contraint désormais à les chercher dans l’océan. Cela constitue un enjeu économique et écologique majeur.
RM : Les entreprises peuvent-elles jouer un rôle dans la préservation des océans ?
S. Roux de Bézieux : Aujourd’hui, l’enjeu pour l’entreprise est de se rapprocher de ses clients, de ses salariés et de la société dans laquelle elle vit. On attend d’elle qu’elle fasse plus que de produire des biens et des services avec la meilleure marge possible. Il y a une attente forte en ce sens. L’impact de l’entreprise sur son environnement et sur l’environnement est devenu le sujet clé de la deuxième décennie de ce siècle. La plupart des entreprises se sont complètement désintéressées de la question de l’océan, tout simplement parce qu’il est lointain. Or, comme nous tous, elles ont, sans le savoir, un impact sur les océans : elles émettent des gaz à effet de serre, elles produisent des déchets, elles utilisent des ressources océaniques. L’un des enjeux pour la Fondation de la Mer est de faire prendre conscience à toutes les entreprises de leur impact sur la vie des océans et ainsi d’adapter leurs modèles économiques. Pour cela, avec le Boston Consulting Group et le ministère de la Transition écologique, nous avons créé un outil, et c’est une première mondiale, le Référentiel Océan pour les entreprises. Il est très simple à utiliser et accessible à tous, et il permet aux entreprises d’identifier et de mesurer leur impact sur l’océan et de se donner des objectifs d’amélioration.
RM : Quel est le but de la Fondation de la Mer ?
S. Roux de Bézieux : C’est la grande fondation en France qui s’occupe des enjeux de connaissance et de protection des mers et de l’océan, sur l’ensemble de la planète. Elle rassemble des navigateurs, des scientifiques, des écrivains, des chefs d’entreprise, des représentants de l’État dans toutes ses dimensions, la Marine nationale, les ministères de l’Outre-mer, de l’Éducation nationale, de la Transition écologique, des ONG, autant d’acteurs qui s’engagent pour la préservation des océans et en faveur d’une économie bleue durable. Autant de personnes et d’organisations qui portent la conviction profonde que les océans sont l’avenir de l’humanité, donc de la France, et qui souhaitent passer ce message très fort aux 70 millions de Français et aux 500 millions d’Européens.
RM : Et quelle est l’ambition de l’initiative Earth To Ocean ?
P. Alphonse : L’idée m’est venue lorsque je préparais les concours d’entrée sur titre à l’École navale pour intégrer la Marine nationale. Plus je m’intéressais à l’océan sous tous ses aspects, plus je prenais conscience que l’on ne parlait absolument pas des trois quarts bleus de notre planète dans nos grandes écoles. J’ai donc mobilisé d’autres camarades de l’ESSEC, dont Guillemette Colombe (E14), Emmanuelle Duez (E12), Marie-Ange Huchet de Kermadec (E14), Bénie Igiraneza (BBA14), Thibaut Morel (E16) et Alexandre Kantjas (E11) pour lancer le projet Earth To Ocean avec l’ambition d’initier et de sensibiliser les étudiants et futurs dirigeants à ces problématiques. Nous avons ainsi accompagné des porteurs de projets maritimes en les aidant sur leur business plan, participé aux Journées mondiales de l’océan à l’UNESCO, ou encore organisé des rencontres et des conférences avec des organisations comme Plastic Odyssey ou Consultandseas. Nous interviewons aussi des jeunes professionnels de la mer, aux parcours très différents, sur notre site Internet. Et nous avons aussi pour ambition de faire naître une chaire Océans à l’ESSEC…
RM : Quelles évolutions anticipez-vous pour les espaces maritimes dans les années à venir ?
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Propos recueillis par François de Guillebon, rédacteur en chef de Reflets ESSEC Magazine, et Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
Extrait du dossier «La mer au secours de la terre » paru dans Reflets #136. Pour voir un preview, cliquer ici. Pour recevoir les prochains numéros de Reflets ESSEC Magazine, cliquer ici.
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