Didier Pourquery (E77) : « Nous donnons les clés pour choisir les bonnes sources d’information »
Didier Pourquery (E77), président du site The Conversation France, publie S’informer moins, s’informer mieux aux éditions Flammarion avec Patrick Busquet, président du think tank Informations pour le Monde Suivant. Un titre-programme… et d’actualité, forcément.
ESSEC Alumni : Comment votre parcours vous a-t-il mené au journalisme ?
Didier Pourquery : Également diplômé de Sciences Po Paris, j’ai travaillé comme cadre dans plusieurs entreprises pendant 6 ans tout en écrivant des piges notamment pour Libération, dont j’ai fini par intégrer la rédaction au début des années 1980. Puis j’ai rejoint Le Monde avant de prendre des postes de rédacteur en chef dans plusieurs médias : Sciences et Vie Économie, La Tribune, InfoMatin, VSD, L’Expansion… J’ai ensuite lancé le journal gratuit Metro en France, que j’ai dirigé pendant près de 5 ans, puis je suis revenu à Libération, cette fois à la direction éditoriale, et au Monde, à divers postes dont celui de directeur adjoint du quotidien. En 2015, j’ai cofondé la version française du site d’actualité scientifique TheConversation.fr que je préside depuis 2019. En parallèle, je préside aussi le centre de culture scientifique Cap Sciences à Bordeaux depuis 2018. Par ailleurs, j’ai publié une douzaine d’ouvrages, dont récemment Une histoire des Trente Glorieuses chez Grasset. Pour S’informer moins, s’informer mieux, je signe avec mon co-auteur Patrick Busquet. Nous travaillons ensemble depuis 5 ans, dans le cadre du think tank Information pour le Monde Suivant (imsprojet.org), dont il est président et moi-même vice-président.
EA : Quels sujets abordez-vous dans votre nouvel ouvrage ?
D. Pourquery : Avec le think tank Information pour le Monde Suivant, nous défendons notamment le concept d’Information utile d’intérêt collectif (IUIC), autour duquel nous rédigeons des chroniques dans les médias, en particulier Usbek & Rica. Nous regroupons dans ce livre d’éducation et de réflexion les conclusions de nos travaux sous la forme de courts chapitres. Objectif : inciter les lecteurs à se montrer plus sélectifs dans les sources d’information qu’ils consultent, dans un contexte où 25 à 35 % des citoyens des pays occidentaux déclarent ne plus vouloir suivre l’actualité.
EA : Comment expliquer cette fatigue informationnelle ?
D. Pourquery : Selon l’étude annuelle du Digital News Report du Reuters Institute, ce phénomène tient principalement à une lassitude face à des informations qui se répètent trop, un stress face au flux de nouvelles et à l’agressivité des discussions qui les entourent, une méfiance vis-à-vis des médias, et un sentiment d’impuissance, de frustration face à la masse de problèmes, de violences et de catastrophes qui est diffusée.
EA : Est-ce le contenu des informations qui est devenu particulièrement anxiogène – ou est-ce la sélection et le traitement qu’en font les médias ?
D. Pourquery : À l’ère numérique, de nombreux médias jouent sur l’émotion pour capter notre attention, dont ils ont besoin pour générer leurs revenus. Le procédé n’est pas neuf : autrefois, on disait dans la presse populaire que le sang, le crime, les faits divers faisaient vendre. Mais avec les réseaux sociaux, les contenus déclencheurs arrivent sur nos écrans en flux continu, alors que la presse écrite nous était livrée une fois par jour. Ce qui nous indique d’emblée une première solution pour limiter la fatigue informationnelle : déconnectez-vous, quittez les réseaux sociaux ou désactivez vos notifications. Un peu comme un régime : on arrête de grignoter tout le temps de la junk food médiatique et on prend des repas bons et sains à heure fixe.
EA : Quels autres conseils donnez-vous aux citoyens pour mieux s’informer ?
D. Pourquery : Quitte à ralentir, prenez aussi le temps de réfléchir à ce que vous allez « consommer », d’identifier et de sélectionner des sources à valeur ajoutée, plus calmes, plus profondes. S’informer doit redevenir une démarche active, volontaire, et non un acte que l’on subit, un matraquage qui nous est imposé. Aiguisons notre discernement, devenons plus exigeants. La démocratie a tout à y gagner.
EA : Les médias ne doivent-ils pas aussi jouer leur part en se responsabilisant ?
D. Pourquery : Tout à fait, chaque acteur du secteur doit de son côté réfléchir plus à l’impact de ce qu’il diffuse. Je crois à des médias qui apportent des solutions, de l’information utile, engageante, actionnable en plus d’un flux d’actualités correctement décryptées.
EA : Comment appliquez-vous ces lignes directrices chez The Conversation ?
D. Pourquery : The Conversation, média associatif à but non lucratif, a comme ambition d’éclairer tranquillement le débat public avec de l’expertise de qualité, via une dizaine d’articles par jour couvrant tous les domaines. Pas de l’opinion, ni du commentaire, exclusivement des analyses basées sur de la recherche. Et visiblement, la formule trouve son public : nous comptons un peu plus de 100 000 abonnés à nos newsletters et environ 5 millions de pages vues par mois.
EA : Au-delà des bonnes pratiques des médias, d’autres acteurs peuvent-ils agir pour améliorer la situation ?
D. Pourquery : Avec le think tank Information pour le Monde Suivant, nous proposons entre autres de mettre en place une labellisation qui serait co-pilotée par des instances professionnelles et citoyennes – idée qui a d’ailleurs été soulevée pendant les États généraux de l’information. Nous préconisons aussi de s’intéresser à un large éventail de producteurs d’informations, pas seulement les médias. Nous lançons d’ailleurs une plateforme (actionnable.org) pour référencer et évaluer ces sources alternatives et souvent passionnantes : centres de recherche, universités, associations, ONG… De fait, le mouvement associatif peut s’avérer un puissant vecteur de remobilisation des citoyens qui se sont éloignés de l’information.
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
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