Un mois, un Alumni engagé, Nicolas Mottis, "La finance peut-elle verdir le monde ?"
08.25.2023
Enseignant-chercheur, il travaille sur la finance durable depuis une quinzaine d’années et est administrateur du Forum pour l’investissement responsable (FIR), qui fédère les acteurs de ce domaine les plus engagés et accueille désormais de plus en plus d’acteurs de la finance mainstream.
Membre de la commission Climat et finance durable (CCFD) de l’Autorité des marchés financiers (AMF), et du conseil scientifique de Fair (anciennement Finansol), l’association de la finance solidaire, il s'est prêté au jeu des "évènements ESSEC du Club" pour nous présenter ses différents angles d'approche la question de la finance durable, en observant les freins au verdissement de l’économie qui résultent des interactions entre marchés financiers et entreprises.
"Si les financiers classiques se sont finalement intéressés à la finance durable, c’est d’abord et avant tout sous l’angle du risque – notamment l’éventualité d’être piégés dans des actifs échoués – plutôt que par souci profond du climat, dont les enjeux sont connus depuis longtemps. La France, par exemple, à travers ses actifs financiers accumulés, dispose de ressources largement suffisantes pour financer la transition. Nous n’avons pas tant un problème de moyen qu’un problème d’allocation. Alors que les travaux du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) montrent que nous courons à la catastrophe, lever les freins au financement de la transition est une priorité.
Le premier frein réside chez les dirigeants d’entreprise, et ce, pour trois raisons.
Tout d’abord, le modèle mental de nombreux dirigeants, et particulièrement des directeurs financiers, leur a très longtemps fait considérer la RSE et les enjeux climatiques comme des lubies d’écolos éloignés des réalités des affaires. Il est frappant d’observer à quel point cela a évolué depuis quelques années. Il est devenu rare d’être confronté à un rejet systématique de ces questions. Toutefois, si ce déplacement récent du modèle mental des dirigeants est significatif, il n’a pas encore produit tous ses effets.
La deuxième raison découle du système de rémunération des dirigeants. Les investissements nécessaires à la transition ont très souvent des rentabilités plus faibles ou des temps de retour plus longs. Ils peuvent impacter négativement les bonus et autres parts variables de rémunération des dirigeants, ce qui n’encourage pas ces derniers à engager des efforts qui n’auront d’effets qu’à long terme. C’est une illustration classique de la fameuse “tragédie des horizons”.
Le niveau de formation des dirigeants, en particulier sur les enjeux technologiques de la transition, participe également à cette résistance. Cependant, lorsqu’ils sont face aux innovations, au potentiel des recherches en cours, aux changements de modèles qui en découlent, leur changement d’attitude est spectaculaire, notamment chez les plus de 50 ans qui méconnaissaient trop souvent les énormes possibilités s’offrant à eux. Pour paraphraser Keynes, ils sont souvent victimes de visions techniques, environnementales et économiques déjà mortes.
Le deuxième frein relève du droit et de la régulation.
La démocratie actionnariale française ne fonctionne pas de manière satisfaisante, en particulier quand des investisseurs réclament à des entreprises d’être plus ambitieuses sur le climat, mais que les résolutions qu’ils proposent ne sont même pas soumises au vote des actionnaires. En France, les conseils d’administration ont en effet le droit de bloquer de telles résolutions au prétexte qu’elles interfèreraient avec leurs prérogatives en matière de stratégie. Cela suscite l’incompréhension des actionnaires internationaux. Nous ne pourrons indéfiniment prétendre être une place leader de la finance verte sans résoudre ce problème de droit qui nous est spécifique.
Le troisième frein est que, même si le système français de finance verte est très compétitif, ces sujets ne peuvent être abordés dans le seul cadre national ou européen, face au Royaume-Uni et aux États-Unis qui représentent environ les deux tiers du marché actions mondial.
C’est d’autant plus préoccupant que, depuis quelque temps, de grands acteurs de la finance tels BlackRock ou HSBC tiennent des positions inquiétantes en matière de climat".
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