Retour aux actualités
Article suivant
Article précédent

5 ESSEC défendent le Made in France

Interviews

-

05/08/2018

Quand Arnaud Montebourg a posé en couverture du Parisien pour promouvoir le made in France, les dents ont grincé. Cinq ans plus tard, le drapeau français fleurit sur toutes les étiquettes, et les enseignes spécialisées poussent comme des champignons de Paris. Mouvement de fond ou effet de mode ? Tour d’horizon avec Adrien Bodennec (M15), Victoire de Villiers (E18)Adrien Sanglé Ferrière (E14), Éloïse Gilles (E03) et Thomas Barret (E08), cinq entrepreneurs qui jouent la carte du patriotisme économique.

Toutes les études le montrent : le made in France a le vent en poupe. Selon l’Ifop, 70 % des Français étaient disposés à payer de 5 à 10 % plus cher pour des produits made in France en 2015, contre seulement 50 % l’année précédente, et 39 % en 1997. Parallèlement, le Credoc indiquait que le made in France était devenu en 2016 le premier critère d’achat pour les Français, à égalité avec la qualité, l’hygiène et la sécurité, jusque là considérées comme prioritaires.

Cause ou conséquence, l’offre a explosé en même temps que la demande. Le label France Terre Textile, certifiant qu’au moins 75 % des opérations de production d’un vêtement ont été réalisées entre nos frontières, a multiplié par quatre le nombre de ses références entre 2011 et 2015. Et le phénomène est loin de se limiter au secteur de la mode. Adrien Bodennec, fondateur du site de e-commerce Byfrançais qui sélectionne et distribue exclusivement du made in France, confirme : « Nous proposons 5000 produits issus de 200 marques, qui vont des accessoires de cuisine aux jouets d’enfants, en passant par le mobilier et les smartphones. »

Question d’étiquette

Reste à savoir ce que désigne au juste le made in France. Car cette expression un peu fourre-tout ne doit pas être confondue avec une appellation d’origine ; elle n’en a pas la précision – et elle est auto-déclarative. Adrien Bodennec regrette ainsi que « beaucoup de marques affichent made in France partout dans leur communication, alors que seuls certains de leurs produits sont concernés. » Autre ambiguïté, dénoncée par Victoire de Villiers, créatrice des sacs Louvreuse : « Certains s’arrangent pour réaliser 90 % de leurs étapes de fabrication à l’étranger, et seulement les dernières en France… » Chez Charlie Watch, marque d’horlogerie co-fondée par Adrien Sanglé Ferrière, « le made in France signifie qu'au moins 50 % de la valeur ajoutée des montres est réalisée dans l’Hexagone. Nous dessinons, concevons et assemblons nos modèles localement, mais les composants viennent de Suisse, du Japon et de Hong-Kong – tout simplement parce qu’on ne les trouve plus chez nous. » Même problématique pour les éventails de Duvelleroy, maison reprise par Raphaëlle de Panafieu et Éloïse Gilles : « Les parties métalliques proviennent d’Italie, les plumes d’Afrique du Sud, la nacre des Philippines. Mais la conception, la fabrication et l’assemblage se font en France. » Idem pour Thomas Barret avec The Morning Company, sa ligne d’accessoires du matin : « Tout est français, même le packaging ! »

Casse-tête français

Comment s’y retrouver entre toutes ces nuances ? C’est tout l’intérêt d’un site comme Byfrançais, qui se charge de faire le tri. Adrien Bodennec explique : « On demande aux marques de nous indiquer les noms et adresses de leurs fabricants, et on vérifie tout. » Son équipe s’efforce en outre de sensibiliser les consommateurs : « À chaque produit est associé une carte de France retraçant toutes ses étapes de fabrication. Par exemple, pour un t-shirt, on voit où ont eu lieu le tissage, la découpe, la couture, la broderie, la sérigraphie… »

Le grand public peut également se fier à certains labels. Origine France Garantie est le plus strict : pour l’obtenir, il faut que le produit prenne ses caractéristiques essentielles en France, et qu’entre 50 et 100 % de son prix de revient unitaire soit français. Les Entreprises du Patrimoine Vivant, telles que Duvelleroy ou encore la Maison Fey reprise par Fabienne Saligue (E83), constituent également une référence sûre ; elles s’engagent notamment à maintenir leurs activités en France, et à promouvoir la tradition et le savoir-faire français.

Un gage de qualité ?

En soi, le made in France est une garantie d’origine, pas d’excellence. Il n’en reste pas moins qu’une bonne part des entrepreneurs faisant le choix d’une fabrication française se positionne sur un segment haut de gamme. Éloïse Gilles rappelle que « la France abrite des savoir-faire à très forte valeur ajoutée. Avec Duvelleroy, nous nous inscrivons dans une tradition unique au monde, marquée par l’invention du moule à plisser textile et par un ancrage très couture, avec des éventails en organza, dentelle et marqueterie de plumes, souvent rebrodés de sequins. Moins de 10 artisans maîtrisent ces techniques. » Même son de cloche du côté de Victoire de Villiers : « Nous avons choisi de confier la fabrication des sacs Louvreuse à des artisans qui collaborent avec les plus grandes maisons de luxe françaises, et de nous tourner vers le Choletais, très réputé pour sa filière du cuir. »

L’exigence des affaires

Des convictions, il en faut quand on se réclame du made in France. Car derrière la profession de foi, il y a souvent un véritable chemin de croix. Adrien Sanglé-Ferrière a parfois eu du mal à trouver des fournisseurs pour Charlie Watch : « Certains font preuves d'une véritable défiance envers de nouveaux projets et réclament des garanties qui sont compliquées à avoir lorsque l'on débute. »

Tout aussi difficiles à convaincre – voire plus : les clients. De fait, il y a un gouffre entre l’intention d’achat, gonflée par l’effet de mode, et le passage à l’acte. Adrien Bodennec analyse : « Beaucoup se contentent d’acheter français dans l’alimentation et dans les produits pour enfants, parce qu’il y a un enjeu de sécurité, en plus de la question éthique. On ne veut pas empoisonner son fils ou sa fille avec des composants dangereux ou des teintures toxiques. En revanche, on a complètement intégré l’idée qu’on peut acheter un t-shirt pour le prix d’un sandwich. Dans la mode, c’est très dur de rééduquer le client, de l’inciter à réfléchir aux conditions de production qui se cachent derrière les tarifs extrêmement bas pratiqués par les marques internationales. » Victoire de Villiers en sait quelque chose : « Les revendeurs des sacs Louvreuse constatent une sorte de schizophrénie chez les consommateurs. D’un côté, ils veulent savoir où nos produits sont fabriqués et ils sont attentifs à la qualité des finitions. De l’autre, ils finissent par acheter un produit étranger, simplement parce qu’il est moins cher. » Thomas Barret, qui rencontre le même problème avec The Morning Company, résume : « On aime le made in France, on soutient moralement le made in France… Mais on n’est pas toujours prêt à se payer du made in France. »

Paradoxalement, les choses sont un peu plus faciles avec la clientèle internationale. Cependant Adrien Bodennec relève que « les start-up du made in France exportent peu. Elles sont encore trop jeunes. » Adrien Sanglé-Ferrière confirme : « Pour le moment, Charlie Watch réalise 95 % de son chiffre d'affaire en France. » Pas le choix : il faut composer avec les atermoiements des Français – et avec les limites de leur porte-monnaie.

Le juste prix

Adrien Bodennec relativise : « Le made in France n’est pas forcément plus cher. Tout dépend des produits – et de ce à quoi on compare. Sur le site Byfrançais, les jeans vont de 89 à 110 €. C’est pareil qu’un Levi’s fabriqué dans des pays à bas coûts. » Victoire de Villiers explique : « Certes, les coûts de main d’œuvre sont plus élevés qu’à l’international. Mais nous faisons l’effort de réduire nos marges pour que les sacs Louvreuse restent abordables. » Adrien Sanglé-Ferrière a adopté une autre stratégie : « Charlie Watch intègre au maximum la distribution, afin de garder des tarifs attractifs pour le client final. »

Et s’il n’est pas toujours possible de s’aligner sur la concurrence étrangère, Adrien Bodennec rappelle que « cet argent est réinjecté dans l’économie française ; virtuellement, on le récupère par d’autres biais… » Sans oublier, comme le souligne Thomas Barret, que « les coûts en question, ce sont des salaires ! Ça permet à des concitoyens de gagner leur vie correctement. Et ça, ça n’a pas de prix. »

 

Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E11), responsable des contenus ESSEC Alumni

 

C’est les vacances ! L’occasion de faire le bilan de l’année écoulée, et de se replonger dans les archives de Reflets ESSEC Magazine. Cet article a été initialement publié mi-2017, dans le n°119au sein du dossier « Made in France : plus facile à dire qu’à faire » consacré aux diplômés de l’ESSEC qui (re)localisent la production et la fabrication en France. Pour accéder à l’intégralité des contenus de Reflets ESSEC Magazine, cliquer ici.

 



Illustration : Eloïse Gilles (E03), Thomas Barret (E08), Victoire de Villiers (E18), Adrien Sanglé-Ferrière (E14) et Adrien Bodennec (M15)

J'aime
709 vues Visites
Partager sur

Commentaires0

Vous n'avez pas les droits pour lire ou ajouter un commentaire.

Articles suggérés

Interviews

Caroline Renoux (EXEC M10) : « À terme, on ne pourra plus faire carrière sans maîtriser la RSE »

photo de profil d'un membre

Louis ARMENGAUD WURMSER

10 décembre

Interviews

Blandine Cain (M04) : « Mon livre répond à 80 % des problématiques des entrepreneurs »

photo de profil d'un membre

Louis ARMENGAUD WURMSER

07 décembre

Interviews

Reflets #154 | Guillaume Heim (E21) & Emma Rappaport (E19) : « La France se positionne comme grande puissance de la deeptech »

photo de profil d'un membre

Louis ARMENGAUD WURMSER

25 novembre