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Damien Guermonprez (M89), business angel : « Ce n’est pas l’appât du gain qui m’anime »

Interviews

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18/10/2017

Damien Guermonprez (M89), CEO de Lemon Way, est également le 11ème business angel français selon le magazine Challenges. Il explique à ESSEC Alumni comment il compte rentabiliser les 2 M€ qu’il a investis dans 22 projets.

ESSEC Alumni : Comment êtes-vous devenu business angel ?

Damien Guermonprez : J’ai commencé très tôt, lorsque j’étais chez RCI Banque. J’ai investi dans des entreprises créées par des amis : serveurs vocaux interactifs, franchises de yaourts glacés… Or l’expérience s’est avérée plutôt négative. Dans un cas, j’ai tout juste retrouvé ma mise, dans l’autre, l’entreprise a fait faillite. Certes, j’ai eu le plaisir de suivre les projets de bout en bout avec les fondateurs, et ça fait partie des motivations d’un business angel, mais ça ne suffit pas ; il faut aussi qu’il y ait retour sur investissement…
J’ai retenté l’aventure 20 ans plus tard suite à la vente de Buy Way (ex-Cetelem Belgique). À ce moment, j’ai pris conscience que j’avais raté la première vague Internet, intervenue en 1995, lorsque je sortais d’Harvard. La plupart de mes camarades de promotion avaient bien surfé sur la vague à l’époque, mais pas moi. Quand j’ai compris que des pans entiers de l’économie étaient désormais sur le point de se digitaliser, je n’ai pas voulu rater le coche une deuxième fois.

EA : Comment vous y êtes-vous pris pour ne pas répéter vos premières erreurs ?

D. Guermonprez : J’ai abordé la question de manière statistique. Quand vous investissez seulement sur deux dossiers, les probabilités jouent contre vous ; si vous espérez conclure, il vaut mieux investir sur une vingtaine de dossiers.
Ceci étant posé, je me suis fixé des règles. La première : investir dans des métiers que je connais. La deuxième : investir dans des activités dont le potentiel est démontré, c’est-à-dire qui enregistrent déjà un chiffre d’affaires d’au moins 200 K €. La troisième : investir dans des start-up dont l’équipe compte au moins un CTO et un (vrai) CEO, capable d’énoncer sa vision, de faire preuve de leadership et de bien négocier son premier round. Par exemple, si je constate qu’un dirigeant n’arrive pas à exclure de son tour de table des personnes néfastes au projet, j’évite de m’engager. Dans le même temps, si je relève que les premiers investisseurs sont absents lors d’un nouveau tour de table, je prends ça comme un mauvais signe.
Ces critères m’ont permis de faire un premier tri parmi les 400 dossiers que j’ai reçus, pour me concentrer sur une centaine de projets. À partir de là, je me suis basé sur un business plan et sur un ou plusieurs entretiens de quelques heures pour m’assurer qu’on partageait le même diagnostic stratégique.

EA : Comment évalue-t-on la justesse d’une valorisation ?

D. Guermonprez : C’est extrêmement difficile. À un stade de développement similaire, les valorisations oscillent entre 20 000 et 2 millions €. De surcroît, les fonds de venture capital et les sites de crowd equity ont tendance à nourrir une inflation des prix. Auquel cas, tant pis : il m’est arrivé de renoncer à investir même si le projet me convainquait, parce que sa valorisation ne me paraissait pas raisonnable. Il faut garder en tête que les bonnes affaires se font aussi à l’achat.
Heureusement, il y a une forme d’entente entre business angels. On se parle assez facilement pour éviter que les porteurs de projet ne fassent monter les enchères en nous mettant en concurrence. On sait toujours qui est intéressé par quel dossier, et on se concerte pour fixer un montant au-delà duquel on n’ira pas.

EA : Combien avez-vous investi en tout ?

D. Guermonprez : 2 millions € dans 22 projets, en mobilisant uniquement de l’argent personnel, à travers des holdings. Soit environ 90 000 € par dossier, en sachant que certains réclament un accompagnement financier sur la durée ; auquel cas, il faut prévoir de remettre au pot, en commençant par un petit ticket de 30 000 € et en complétant au bout d’un an quand les choses paraissent plus sûres.

EA : Quels sont les signaux d’alerte à surveiller ?

D. Guermonprez : Un porteur de projets a droit à deux erreurs – c’est-à-dire qu’il peut changer de modèle économique deux fois ; après deux pivots, il n’a en général plus d’argent, et on n’a pas intérêt à le suivre.
Je me méfie également de ceux qui demandent des « bridge » – des financements intermédiaires pour réunir les éléments nécessaires à un succès futur. C’est souvent un leurre pour des entrepreneurs en difficulté qui ne trouvent pas leur marché.
À l’inverse, on peut se fier sans crainte à une start-up qui obtient des résultats positifs dès les six premiers mois. Le succès amenant le succès, après ce n’est qu’une question de gestion de croissance.

EA : Vos motivations sont-elles purement financières ?

D. Guermonprez : Ce n’est pas l’appât du gain qui m’anime, sinon je me tournerais plutôt vers le marché des actions cotées… Selon Jean-David Chamboredon, porte drapeau du mouvement des Pigeons, l’espérance de rentabilité chez les VC en France est de l’ordre de 3 % par an, ce qui est très faible par rapport au risque pris. Le fait est que la majorité des entreprises ne créeront pas de valeur et que le rendement dépendra de quelques pépites. Les business angels l’acceptent et investissent en connaissance de cause.
Ce qui me procure beaucoup de satisfaction en revanche, c’est de vivre et de vibrer avec des porteurs de projets qui me ressemblent tout en étant souvent plus jeunes. Il y a quelque chose de l’ordre de la transmission, du passage de témoin. Je suis là pour aider l’entrepreneur à élaborer une stratégie, pour lui ouvrir quelques portes, pour le conseiller juridiquement… 

EA : Concrètement, comment se passe cet accompagnement ?

D. Guermonprez : Ça s’avère plus léger que je ne l’imaginais. Les interactions sont nombreuses mais se font pour la plupart à distance. Seuls les comités stratégiques – quelques heures par-ci par –là – requièrent une présence physique. Le reste du temps, on partage des fichiers d’opportunités à transformer, des rapports d’activités trimestriels, des bonnes pratiques… On peut aussi soutenir les démarches auprès des fonds d’investissement.

EA : Vous n’êtes donc pas en concurrence avec les fonds d’investissement ?

D. Guermonprez : Pas du tout ! Les business angels font partie d’une chaîne. Ils représentent une étape plutôt qu’un mode de financement. Dès qu’il faut plusieurs millions, les fonds prennent le relai. Car les ressources des business angels ne sont pas illimitées : compte tenu du haut niveau de risque, ils doivent veiller à ne pas mettre plus de 10 % de leur patrimoine dans ces investissement – et être capables de les perdre, ou d’attendre au moins 10 ans avant de dégager de la rentabilité.  

 EA : Comment un business angel peut-il limiter ses risques ?

D. Guermonprez : Personnellement, j’ai retenu la leçon de ma première expérience ratée il y a 20 ans, où j’avais fait la triple erreur d’engager une part conséquente de mon patrimoine, dans trop peu d’activités, que je ne connaissais pas.
Aujourd’hui, j’investis en parallèle dans l’immobilier commercial, sur des projets exactement opposés : le gain espéré est défini et connu dès le début, ou presque. C’est ennuyeux, mais c’est quasi certain.

EA : À quoi ressemble l’écosystème des business angels en France ?

D. Guermonprez : Il y a un petit nombre de business angels pour un grand nombre de porteurs de projets. C’est une bonne chose, parce que ça maintient les valorisations à un niveau raisonnable, et parce que du coup tout le monde se connaît, donc l’information circule. Il existe d’ailleurs beaucoup de plateformes de mise en relation, notamment Angel Square, Business Angel France et Femmes Business Angels, ainsi que plusieurs clubs spécialisés au sein d’associations de diplômés des grandes écoles françaises – celui d’ESSEC Alumni fonctionne bien !
Moi, je fais partie de 50 Partners, fond d’investissement français réservé aux entrepreneurs qui souhaitent investir à leur tour dans des start-up, ensemble. On se voit tous les deux mois pour sélectionner des projets, dans une ambiance extrêmement positive. On partage le goût d’entreprendre, la soif d’aventure, l’idée qu’il n’y a ni frontière ni barrière. Et à travers les porteurs de projets qu’on accompagne, on revit ces instants magiques qu’on a tous vécus, où nos propres start-up ont décollé.

EA : Justement, quels ont été les résultats de vos investissements jusqu’ici ?

D. Guermonprez : Je me suis lancé il y a deux ans, il est trop tôt pour tirer des conclusions. Mais je suis confiant. Certaines des start-up que j’accompagne ont dépassé leurs projections initiales et n’ont pas eu besoin de solliciter de nouveaux investisseurs pour leur second tour – ce qui est dans mon intérêt !
Mais la question soulève un enjeu plus large. Le fait est qu’aujourd’hui, on manque cruellement de transparence sur les rendements obtenus par les investisseurs. Par exemple, on n’a aucune donnée sur ce que leur rapporte en moyenne un premier tour de table en France. On sait seulement que les entreprises accompagnées ont un taux de survie nettement plus élevé…  Ce n’est pas très précis ! De ce point de vue, la performance du fonds 50 Partners va constituer un indicateur intéressant.

 

Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E11)

 

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