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Damien Viel (E97), DG de Twitter France : « Twitter est à un virage »

Interviews

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05/01/2017

Twitter a fêté ses dix années d'existence en 2016. Avec 320 millions d'utilisateurs actifs chaque mois à travers le monde, le site de microblogging aux 140 signes n'aurait pourtant pas encore trouvé son modèle économique pour la plupart des analystes. Ce que dément avec force son co-fondateur Jack Dorsey, revenu à la direction générale de l'entreprise en octobre 2015. Au même moment, Damien Viel (E97), venu de YouTube (Google), devenait à 41 ans le nouveau directeur général de Twitter France, fort d'une solide expérience chez plusieurs annonceurs et en agences médias (M6 Publicité, Carat France). À sa sortie de l'ESSEC, il entrait chez L'Oréal où il allait passer huit ans, avant de rejoindre Alain Afflelou puis Marionnaud. Père de trois enfants, passionné de course à pied (30 km par semaine) et de cuisine française moderne, Damien Viel (@damienviel) dévoile ses ambitions pour Twitter France et ses perspectives de développement sur un marché très concurrentiel. Interview par Michel Zerr.

ESSEC Alumni : Après quatre ans chez YouTube, pourquoi avoir relevé le défi de prendre la tête de Twitter en France ?

Damien Viel : Cela correspondait à titre personnel à un extraordinaire alignement de planètes, à savoir l'envie, à un peu plus de 40 ans, de prendre en main un business comme celui de Twitter en France, qui connaît une formidable croissance. J'ai rencontré chez Twitter en Californie des gens qui m'ont donné une très forte envie d'aller vers eux, avec lesquels j'ai eu très vite le désir de travailler. Et puis à Paris, je suis aussi tombé sous le charme de l'ensemble de l'équipe, qu'il s'agisse du management, des fonctions de développement médias, des fonctions de marketing, de conseil et de relations auprès des clients et des entreprises, des communicants, de la trentaine de personnes qui travaillent ici. Cela a donc été dès le départ un véritable coup de cœur.

EA : Si l'on en croit beaucoup d'analystes, il ne s'agit pourtant pas de la meilleure période en termes de croissance.

D. Viel : Je crois au contraire que d'un point de vue produit, il n'y a pas meilleure période dans l'histoire de Twitter qu'aujourd'hui. Participer à cette aventure est une opportunité folle, tout simplement parce que Twitter est à un virage. Nous atteignons un moment de maturité extrêmement intéressant. Les questions qui se posent aujourd'hui en termes de croissance et des étapes à venir rendent les enjeux pour le moins passionnants. Twitter réussira en étant plus simple et en ayant du sens, c'est-à-dire que nous devons cerner avec précision sa fonction et son utilité dans son environnement. Au cours des dix dernières années, Twitter a fondamentalement changé la communication de l'immédiateté et du live, de la communication conversationnelle et de la communication publique. Grâce à notre plateforme, chacun dans le monde a la possibilité de dire quelque chose et d'être entendu, de la même manière que chacun a la possibilité d'aller chercher n'importe quelle information le concernant.

EA : Ce fut notamment le cas lors des dramatiques attentats du 13 novembre 2015...

D. Viel : Il est vrai que lors des attentats à Paris et à Saint-Denis, les institutions, qu'il s'agisse des secours ou de la préfecture de police, ont utilisé la plateforme pour informer les Français. Les médias ont dans le même temps aidé à relayer et à vérifier les informations diffusées, ce qui a permis aux utilisateurs non seulement de s'informer, mais aussi de se rassembler et de s'entraider. Spontanément, le hashtag #PrayForParis a été utilisé à travers le monde pour témoigner de son soutien et de sa solidarité, et celui #PortesOuvertes a permis aux personnes dans la rue qui n'avaient pas la possibilité de rentrer chez elles de trouver un hébergement à proximité. C'est la dimension conversationnelle de Twitter, qui autorise à s'exprimer ou à offrir un service ; au quotidien, nos utilisateurs se servent de Twitter comme du microphone le plus puissant du monde pour diffuser leur message. Grâce à ses caractéristiques live, publique et conversationnelle, ils peuvent interpeller d'autres utilisateurs et défendre leurs points de vue. Je rappelle à ce propos que le fondement essentiel de Twitter est la défense de la liberté d'expression dans l'intégralité des pays dans lesquels nous opérons. Notre ADN est un ADN d'activistes, très présent dans la culture de l'entreprise, la manière dont on défend l'intérêt de nos utilisateurs. Pour diffuser son contenu, la plateforme a beaucoup évolué, en proposant 140 caractères, des images, de la vidéo, et désormais de la vidéo en live intégrée dans les timelines avec Periscope. Nous sommes résolument la plateforme du live : lorsqu'il se passe quelque chose dans le monde, ça se passe sur Twitter, et personne ne le fait aussi bien que nous aujourd'hui.

EA : La vidéo est-elle le passage obligé pour les annonceurs sur Twitter ?

D. Viel : C'est ce vers quoi nous devons aller davantage, parce qu'il n'y a aujourd'hui pas de meilleur format publicitaire. Nous avons lancé en 2015 un format autoplay pour toutes les vidéos natives, GIF et Vines, qui se lancent automatiquement au sein des timelines des utilisateurs. Nous avons développé et continuons de développer la vidéo tout simplement parce que l'image et le son sont le format le plus créatif, que la demande est très présente, et que c'est extrêmement efficace. Un tweet qui contient de la vidéo est six fois plus retweeté qu'un tweet qui contient de l'image, la viralité et l'engagement sont beaucoup plus forts que sur tout autre type de format. Le nombre de vues vidéo a d'ailleurs été multiplié par 220 entre 2015 et 2016. Il nous faut donc accompagner les annonceurs et leurs agences dans ce mouvement et ce virage, dans la compréhension de ce qu'est ce format publicitaire vidéo, et pourquoi pas demain le format vidéo live. On a là un moyen d'être une plateforme très performante et qui engage. L'une de nos priorités est de démontrer que nous sommes une plateforme d'investissement rentable pour les annonceurs, et que nous sommes très complémentaires des campagnes à la télévision. Nous savons aujourd'hui que l'intention d'achat pour une marque est multipliée par 2,2 lorsqu'une campagne est coordonnée à la télévision et sur Twitter. Les grands annonceurs commencent d'ailleurs à comprendre l'intérêt qu'ils ont à venir chez nous tout au long de l'année, et pas seulement au moment de grands événements discutés sur la plateforme.

 

Image - 2017 01 05 - Damien Viel 2 © Christophe Meireis.jpg

 

EA : Quelle est la relation des entreprises et des marques avec Twitter en France ?

D. Viel : En France, Twitter devient un espace naturel pour la relation client en ligne. Si l'on en croit les études réalisées par Socialbakers, spécialiste des statistiques « social media », 80 % des questions posées en ligne le sont sur Twitter. Nous sommes donc devenus la plateforme où l'on pose les questions aux marques. Notre rôle et notre mission sont donc de porter ce message auprès des grandes entreprises françaises, qui se doivent aujourd'hui d'être extrêmement réactives. Lorsqu'une réponse est personnalisée, rapide et empathique, l'impact sur les ventes et sur la fidélisation à la marque est réel. Ajoutez à cela que par rapport à un centre d'appel classique, les demandes sont mieux traitées et en plus grand nombre, ce qui représente un véritable gain de productivité. Nous travaillons avec les entreprises sur ces indicateurs, qu'il s'agisse des banques ou des grandes entreprises de service comme Air France, la SNCF ou encore la RATP. C'est un changement drastique dans la capacité des marques à pouvoir et à devoir répondre aux questions que se posent leurs clients.

EA : La France est-elle un pays important pour Twitter ?

D. Viel : La France est très importante pour au moins deux raisons. D'abord parce que l'audience de Twitter en France est une audience qualifiée, leader d'opinion, avec une surreprésentation des CSP+. Les Français sont plusieurs millions à se connecter chaque jour, avec une multitude d'usages et de communautés qui se regroupent autour de diverses thématiques, que ce soit le gaming, la musique, le sport, ou encore les services et l'actualité. Ensuite parce que l'une des caractéristiques françaises est notamment marquée par l'utilisation de notre plateforme par l'État, les collectivités locales et territoriales, les grandes entreprises de service public. En France, toutes les villes de plus de 100 000 habitants sont sur Twitter. Au siège de la société à San Francisco, on porte donc une attention particulière à la France pour le côté spécifique de la plateforme, mais aussi pour son potentiel de développement. Nous sommes un pays clé dans le développement mondial de l'entreprise, avec une volonté affichée en termes d'investissements. La stratégie de développement de Twitter passe par la France, nous avons pour vocation de devenir un centre d'excellence en matière de service client et de créativité, avec une grande part d'autonomie et de liberté. À Paris, nous sommes une petite entreprise, très agile, et c'est à nous d'écrire notre propre histoire dans les années à venir, au regard du paysage média, de la manière dont les Français vont souhaiter nous utiliser pour que nous soyons leur porte-voix, notamment à l'occasion de l'élection présidentielle en 2017. C'est pour toutes ces raisons que l'on pense en Californie que le modèle de développement en France est très prometteur, et que nous allons continuer à avoir une très forte croissance d'utilisateurs et de business. 

EA : Comment comptez-vous y parvenir ?

D. Viel : Notre projet tient en cinq points. D'abord continuer à faire en sorte que Twitter reste une plateforme simple, comprise, facile d'utilisation. Nous devons aussi nous affirmer comme la plateforme leader du live dans le monde en général et en France en particulier. Troisième point, nous croyons beaucoup dans la nécessité d'accompagner les créateurs de contenu, ceux qui vont continuer à donner de l'oxygène à la plateforme. Nous avons besoin de partenaires très créatifs qui utilisent Twitter pour son caractère unique et original, et nous avons pour vocation de nous investir beaucoup en leur direction. Ensuite, nous devons exploiter le vivier incroyable de développeurs qui existe en France. Il y a ici énormément de talents, d'entreprises, de start-ups, la French Tech est reconnue à l'international, et il est indispensable que nous soyons à leurs côtés. Enfin, nous allons poursuivre notre engagement en matière de protection de nos utilisateurs.

EA : Vous êtes-vous fixé des objectifs commerciaux ?

D. Viel : Comme toutes les entreprises, les objectifs de Twitter sont d'avoir une activité en croissance, rentable et vertueuse. Pour autant, la plateforme est à un moment de sa vie où l'on cherche à consolider son usage et à donner à nos utilisateurs du sens. Tout ce que je viens d'évoquer en termes de services et d'utilité est totalement décorrélé et déconnecté d'une discussion business. Aujourd'hui, nous ne sommes pas du tout obsédés par cette forme de croissance. La croissance qui nous intéresse est celle de l'usage, de nos utilisateurs et de leur satisfaction. Comme la plupart des entreprises californiennes, nous sommes convaincus que le reste suivra, ce n'est donc pas aujourd'hui un sujet de discussion. Twitter a le temps, les moyens, l'indépendance et l'autonomie, et les partenariats stratégiques pour accompagner son développement. Notre objectif est d'être utile et d'avoir de plus en plus d'influence dans la vie des Français, de permettre aux gens d'être entendus. Donc je ne veux pas éluder la question du business model de Twitter, dont les chiffres de croissance sont bons, avec une exploitation qui est maintenant positive, un cash flow positif. On pourrait probablement faire plus en termes de revenus, seulement aujourd'hui on investit beaucoup et on préfère privilégier l'ergonomie, l'accès, l'utilité et la simplicité. Nous verrons par la suite comment il faut davantage monétiser notre audience, mais nous n'en n'avons absolument pas besoin pour l'instant.

EA : Vous êtes entré chez L'Oréal à votre sortie de l'ESSEC, treize ans plus tard vous arriviez chez Google, puis chez Twitter. Comment avez-vous réussi à vous adapter à deux cultures d'entreprises aussi différentes ?

D. Viel : Il est vrai que la culture d'une entreprise comme L'Oréal et celle d'entreprises de la Silicon Valley sont très opposées. Selon moi, L'Oréal reste aujourd'hui encore la meilleure « école après l'école », pour apprendre ce qu'est le marketing, l'écoute du consommateur, le concept et la créativité. Ce qui fait le succès de L'Oréal, c'est une culture basée sur trois axes : un mode de décision par la confrontation, une forte émulation interne, et une hiérarchie très verticale. Quand je suis arrivé chez YouTube, j'ai découvert qu'à la culture de la confrontation on opposait celle du consensus, de telle sorte que chacun est partie prenante de la décision, ce qui permet à tous d'avancer au même rythme. Par rapport à l'émulation et la compétition interne, les entreprises de la Sillicon Valley opposent la transparence absolue, une culture du « One Team ». Enfin au niveau hiérarchique, l'évaluation de vos équipes compte beaucoup plus que celle de vos patrons, ce qui nécessite beaucoup d'ajustements en termes de management. Et c'est probablement ma formation à l'ESSEC qui m'a permis en partie de passer assez facilement d'un univers d'entreprise à l'autre. C'est une école assez unique et originale parmi les écoles de management et de commerce, par la diversité des personnes qui s'y trouvent et de celles qui y entrent. C'est une école de personnalités et de talents, avec un mixage beaucoup plus fort qu'ailleurs, et cela se retrouve dans les carrières de ses anciens élèves. 

EA : Quel lien avez-vous conservé avec l'école ?

D. Viel : J'y suis retourné l’année dernière à la demande de Jean-Michel Blanquer, qui est un grand utilisateur de Twitter, pour participer à l'iMagination Week. Au contact des étudiants que j'ai pu rencontrer, j'ai constaté avec bonheur et plaisir qu'il existait chez eux un mélange très stimulant entre leur esprit d'entreprise et leur confiance dans la technologie, un mixte qui fait sans nul doute de l'ESSEC une école d'avenir. Que Jean-Michel Blanquer soit extrêmement présent sur notre plateforme n'est probablement pas étranger au fait que l'école est à mon sens la meilleure en termes d'activité. Une école bâtit aussi sa réputation sur sa capacité à rayonner mondialement, et la manière dont l'ESSEC performe aujourd'hui permet de créer beaucoup de dynamique et d'interaction entre ce que l'école écrit ou produit, et la manière dont les étudiants l'utilisent.

 

Twitter en chiffres

Twitter a vu le jour le 21 mars 2006 à San Francisco et la plateforme est ouverte au public en juillet de la même année. L'entreprise compte 3 900 employés à travers le monde, environ 2 000 en Californie et 35 en France, dont le bureau a été créé en mars 2013. Son chiffre d'affaires s'élève à 2,2 milliards de dollars en 2015. Twitter, disponible en 35 langues, compte quelque 320 millions d'utilisateurs actifs mensuels, plus de 500 millions d'utilisateurs uniques accèdent au contenu de la plateforme chaque mois sans se connecter à un compte (unique logged-out users), 9 millions d'entreprises ont une présence sur Twitter dans le monde. Plusieurs centaines de millions de tweets sont envoyés chaque jour, plus de 500 milliards ont été publiés depuis sa création il y a dix ans. La société a fait l'acquisition de Periscope en mars 2015 et plus de 100 millions de vidéos ont été réalisées depuis le lancement de l'application.

 

Article paru dans le n°113 de Reflets ESSEC Magazine. Pour s’abonner, cliquer ici.

 



Illustration : © Christophe Meireis

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