Davy Chou (E09), réalisateur : « À chaque nouveau film, tu repars à zéro »
Passé directement des bancs de l’école au siège de réalisateur, Davy Chou (E09) prépare la sortie en salles, le 28 décembre, de son deuxième film Diamond Island. Il en profite pour faire le point sur sa carrière.
« J’avais envie de faire du cinéma, mais le plan restait flou… » Davy Chou entre à l’ESSEC en pensant présenter la Fémis ou l’École nationale supérieure Louis Lumière à l’issue de sa première année. Mais son implication dans l’association étudiante Cine Qua Non change la donne : « J’ai proposé qu’on se lance dans la production de courts métrages professionnels. L’équipe a suivi, et j’ai décidé de porter le projet jusqu’au bout, plutôt que de passer de nouveaux concours. » La focale se précise : Davy Chou commence à s’imaginer producteur. « J’ai découvert que les diplômés d’écoles de commerce étaient nombreux à exercer dans ce domaine – bien plus que je ne le croyais. » Il décroche un premier stage chez Lazennec : « Coup de chance : j’ai rencontré le patron, Alain Rocca, à l’occasion d’un débat que j’animais sur le campus. » Puis un apprentissage au sein de Studio 37, la division cinéma d’Orange : « Coup de chance, encore : mon professeur Serge Hayat (E86) m’a introduit au moment de la création de la structure, après m’avoir croisé dans le RER alors que je m’étais résigné à postuler chez TF1 en R&D suite à des mois de prospection infructueuse… J’ai été le premier candidat pour un poste d’apprenti, et le premier embauché ! » Chance – ou destin ? Toujours est-il que l’expérience confirme l’intérêt de Davy Chou pour le métier : « Je me suis retrouvé à un poste d’observation et d’action privilégié, dans une boîte en plein développement où il y avait tout à faire. J’ai énormément appris sur le montage financier d’un film, ainsi que sur les relations entre distributeurs et grands groupes. Et j’ai fait beaucoup de rencontres qui me sont encore utiles aujourd’hui. »
Du bureau au plateau
Davy Chou aurait pu en rester là. Mais il veut aller plus loin – ou plutôt, plus près de la caméra. Quand il n’est pas au travail, il assiste au tournage des courts métrages que soutient Cine Qua Non, voire y participe : « Je faisais le régisseur, le technicien… » L’exercice lui plaît. Il finit par se jeter à l’eau et convainc son association de l’aider à réaliser Le premier film de Davy Chou, court métrage qu’il a lui-même écrit. « Presque du détournement de fonds ! », s’amuse-t-il aujourd’hui.
Il enchaîne sur Expired. « Ça s’est passé un peu par accident : j’ai filmé mon premier voyage au Cambodge, mon pays d’origine, avec ma famille, puis j’ai utilisé les images pour en tirer une fiction, une sorte de conte recréé. » Une démarche qui n’est pas sans rappeler le Mashup Cinéma théorisé par un autre alumnus, Julien Lahmi (E00). « C’était une période d’expérimentations. » Qui n’en contient pas moins, déjà, les germes de son premier projet d’envergure.
Car lors de son séjour au Cambodge, Davy Chou prévoit déjà de revenir. « Non seulement je trouvais presque blasphématoire de si mal connaître le pays où sont nés mes parents, mais en plus j’ai découvert à cette époque, grâce à ma tante, que le Cambodge avait connu son âge d’or du cinéma dans les années 1960, avec 400 films sortis en 15 ans, dont une grande partie produite par… mon propre grand-père ! » Destin, disait-on ? Vocation, en tout cas : « J’étais résolu à partir sur les traces de ces réalisateurs tombés dans l’oubli, car morts ou exilés sous la dictature. »
Premiers plans
Davy Chou profite de ses vacances pour faire des repérages. « J’ai suivi un conseil de Serge Hayat (encore lui) : ne repartez jamais d’un rendez-vous sans dix autres personnes à contacter. » Il multiplie les rencontres, non seulement pour se créer un carnet d’adresses, mais aussi pour tester son idée : « Je voulais commencer par ouvrir un atelier de vidéo gratuit pour les jeunes – un bon moyen pour apprendre la langue et pour comprendre le rapport des Cambodgiens à l’image tout en découvrant le pays et en effectuant mes recherches en parallèle. » Tout le monde l’encourage : « Même la direction de l’ESSEC, qui m’a permis de valider mes six mois à l’étranger avec cette aventure ! »
Restait à trouver l’argent nécessaire. Davy Chou prend alors conscience qu’il n’a pas à choisir entre la réalisation et la production : sa force, c’est de pouvoir porter les deux casquettes. « Avant de partir, j’ai co-fondé avec mes meilleurs amis Jacky Goldberg et Sylvain Decouvelaere la boîte de production Vycky Films. Mieux vaut défendre son scénario soi-même plutôt que de s’épuiser à convaincre un producteur. » De fait, les trois associés obtiennent immédiatement plusieurs subventions.
Entrée dans la lumière
Au final, Davy Chou reste un an et demi au Cambodge. « J’ai même raté ma cérémonie de diplôme. » Mais le jeu en vaut la chandelle : il rentre en France avec un documentaire prêt à monter… qui devient bientôt son premier succès. « Le Sommeil d’or a été distribué en salles, ce qui aujourd’hui est un accomplissement en soi, et a reçu un bel accueil critique. Avec lui, j’ai eu la chance de faire le tour des festivals du monde entier. »
L’envers du décor
Le retour a été difficile. « Quand tu sors ton film, c’est la consécration. Mais quand tu dois lancer le suivant, tu repars à zéro. » Heureusement, Davy Chou peut compter sur l’intermittence et sur les activités de Vycky Films pour lui assurer le minimum vital. « C’est ce qui m’a donné la liberté de continuer à créer. Car avant qu’une nouvelle idée puisse prendre forme, il faut des mois de développement non rémunérés. » Il prépare ainsi, pendant un an, un scénario sur la jeunesse cambodgienne, qu’il finit par abandonner. « Cet échec m’a tellement frustré que j’ai improvisé un court métrage en trois jours, Cambodia 2099, pour le seul plaisir de retrouver la caméra. Je ne me rendais pas encore compte que ces deux projets défrichaient le terrain pour la suite. »
La roue tourne
La suite, ce sera un long métrage, Diamond Island. « Cette fois, tout s’est bien enclenché – notamment parce que Cambodia 2099 a été sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs, ce qui m’a donné du crédit. J’ai décroché des aides à l’écriture, trouvé ma productrice Charlotte Vincent, et ensemble, on a obtenu le soutien du CNC, puis d’Arte, avant de signer avec les Films du Losange pour la distribution en salles et à l’étranger… »
Le défi du passage à la fiction n’en reste pas moins de taille. « J’ai découvert la direction d’acteurs. » Un exercice d’autant plus complexe que Davy Chou, dans le cas présent, tourne avec de jeunes amateurs, choisis sur casting sauvage, et parlant une autre langue que la sienne. « J’ai entre autres utilisé des techniques observées lors du cours de mise en scène du comportement à l’ESSEC, qui étaient en fait des exercices basiques de théâtre… Mais j’ai surtout fonctionné à l’intuition et à l’improvisation. » Plus largement, il doit gérer une équipe de 40 personnes aux fonctions très variées : « Le fait d’avoir occupé une partie de ces postes sur de précédents tournages m’a été d’un précieux secours. Et certainement, aussi, le fait d’avoir des notions de management. »
Après trois ans de travail, Diamond Island est présenté à Cannes – et reçoit le Prix SACD de la Semaine de la critique. La presse, à nouveau, s’emballe. Davy Chou, humble, tempère : « L’heure de vérité, ça reste la sortie en salles le 28 décembre. Un film sur le Cambodge, en khmer… Est-ce que ça va attirer les spectateurs français ? Je l’espère ! »
Passage en salles
De fait, l’œuvre de Davy Chou semble habitée par la question de la transmission. Le Sommeil d’or soulève des enjeux liés au devoir de mémoire comme à l’échange culturel : « Non seulement j’exhumais un patrimoine artistique oublié, mais je le faisais avec une équipe mixte de Français et de Cambodgiens. Les uns apportaient leurs compétences techniques, les autres leur connaissance de la culture. » Diamond Island s’interroge quant à lui sur la mondialisation qui bouleverse les aspirations de ses personnages : « À travers eux, on se demande comment se transmettent les rêves d’une génération à une autre – et entre différentes régions de la planète. »
On pense au mot célèbre de Serge Daney, qui se définissait comme un passeur critique. « Le fait est qu’on m’a passé la passion du cinéma au lycée, dans le cadre d’un club vidéo… et qu’aujourd’hui, je m’efforce de passer le relai au Cambodge ! » Davy Chou y a en effet lancé une deuxième société, Anti-Archive, qui défend l’émergence d’un cinéma local. « Avant, le public cambodgien n’avait accès qu’aux plateformes de téléchargement illégal et à des petites salles indépendantes diffusant des séries Z tournées sans aucun budget. Aujourd’hui, on voit apparaître des multiplexes avec une vraie programmation ainsi que des festivals d’art et d’essai. Conjointement, des organisations comme la Cambodia Film Commission forment des techniciens, tandis que les outils techniques se démocratisent avec la révolution numérique. Du coup, la jeunesse se tourne spontanément vers la création audiovisuelle. L’époque n’est pas sans rappeler celle qu’a connue mon grand-père. » Anti-Archive produit ainsi, entre autres, un long métrage de fiction, White Building, réalisé par Kavich Neang, qui a remporté le prix Arte et le prix CJ Entertainment à l’Asian Project Market, et prépare l’avant-première mondiale au Festival international du film Entrevues Belfort du documentaire Quinzaine Claire, réalisé par Adrien Genoudet et tourné au Cambodge, sur la place de l’art dans le devoir de mémoire.
La leçon de vidéo
La dimension quasi didactique du travail de Davy Chou peut surprendre de la part d’un électron libre qui n’a pas suivi de cursus spécialisé. « Je ne me suis pas jeté dans le vide pour autant. J’ai lu beaucoup de critiques et d’essais, essayé d’analyser les films que je voyais, et participé intensément au forum Mediacritik pendant des années… Et je me suis entouré des bonnes personnes. La technique, ça peut toujours se déléguer. Mon vrai rôle, c’est de penser l’image ; puis mon équipe doit essayer de traduire ma vision, mes intentions. » Et d’ajouter : « En fait, on ne sait pas vraiment quand on devient professionnel. C’est un glissement. Je suis parti au Cambodge en bricolant. Je suis revenu avec un film, une maison de production, un distributeur, des chaînes… Au début, c’est un jeu. Et tout à coup, il y a un vrai enjeu. »
Diamond Island est une île sur les rives de Phnom Penh transformée par des promoteurs immobiliers pour en faire le symbole du Cambodge du futur, un paradis ultramoderne pour les riches.
Bora a 18 ans et, comme de nombreux jeunes originaires des campagnes, il quitte son village natal pour travailler sur ce vaste chantier. C’est là qu’il se lie d’amitié avec d’autres ouvriers de son âge, jusqu’à ce qu’il retrouve son frère aîné, le charismatique Solei, disparu cinq ans plus tôt. Solei lui ouvre alors les portes d’un monde excitant, celui d’une jeunesse urbaine et favorisée, ses filles, ses nuits et ses illusions.
Sortie en salles : 28 décembre
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E11). Article paru dans le n°116 de Reflets ESSEC Magazine. Pour s’abonner, cliquer ici.
Illustration : © Thibault Perrier
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