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David Simonnet (E93), PDG d'Axyntis : « Nous devons enrayer le déclin de l'industrie »

Interviews

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13/09/2016

David Simonnet (E93) est aux commandes du groupe Axyntis, ETI indépendante qu’il a créée en 2007, leader de la chimie fine en France par ses moyens industriels (six usines, trois centres de R&D, 430 salariés et plus de 80M€ de CA avec une VA de 70 %). Il finalise actuellement la reprise de l’activité de fabrication de principes actifs du groupe américain 3M. Son credo : une vision durable de l’entreprise.

ESSEC Alumni: Comment en êtes-vous venu à la chimie?

David Simonnet : Après une première expérience professionnelle en 1993 au cabinet du Maire de Paris et un service militaire, j’ai rejoint Mars&Co où je suis intervenu auprès de la direction du Trésor pour une revue stratégique de l’aérospatiale et de sa filiale Eurocopter. J’ai alors eu envie de poursuivre ma carrière dans l’industrie à cause de ses enjeux mixtes, publics et privés. J’ai donc rejoint en 1996 le groupe SNPE (ex-Société nationale des poudres et explosifs) dans des fonctions de M&A et de stratégie afin d’accompagner son repositionnement sur des marchés civils. J’ai alors acquis la conviction que la chimie était un des métiers industriels les plus intéressants car technique, risqué et vaste dans ses marchés applicatifs. On a souvent l’impression que l’industrie est figée, surtout en comparaison avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication qui seraient en perpétuel changement. En réalité, on retrouve encore et toujours l’industrie au cœur des mutations durables, économiques et sociales. C’est pourquoi nous devons enrayer son déclin.

EA: Vous êtes assez sévère sur le digital. Pourquoi?

D. Simonnet : Je suis effectivement critique car je ne pense pas que le digital soit en mesure de prendre le relais du ralentissement de la croissance et de la productivité du travail. Le poids des NTIC n’est pas aussi important que les gens se l’imaginent. 4 % du PIB français et 5 % en Europe. Au final, combien de divisions ? Google, Amazon, Facebook et Apple tous réunis n’emploient pas plus de salariés que La Poste ! Cela ne veut pas dire que La Poste ne doit pas faire sa révolution numérique – au contraire, elle l’a déjà bien entamée. Mais on ne peut engager la révolution numérique sans en évaluer les impacts sociaux.

EA: Les entreprises numériques sont aussi pourvoyeuses d’emplois !

D. Simonnet : Surtout de nouvelles formes d’emplois qui accélèrent la destruction d’autres. Alors, destruction créatrice ou destructrice ? Derrière le côté « branché » et l’ambiance « cool » des entreprises du numérique, il y a une injonction paradoxale qui est d’attendre de son collaborateur de l’autonomie et de l’initiative pour développer des outils qui nécessiteront toujours moins de salariés. Mais ma critique la plus radicale s’adresse aux activités numériques dont le fonctionnement peut nous rappeler celui … de la mafia. Prenons l’exemple des sites de réservation en ligne de chambres d’hôtel. Face à l’hôtelier classique, une plateforme réussit à s’imposer comme point de passage obligé pour réserver, prélevant au passage, sur toutes les transactions, un pourcentage. Or elle ne possède pas l’actif, ni n’en porte la responsabilité d’exploitation et des salariés. On a donc un rentier dont la responsabilité économique et sociale est externalisée vers l’entrepreneur propriétaire qui n’a d’autre choix que d’en accepter la logique prédatrice. Sans parler des mécanismes d’optimisation fiscale qui s’assimilent à du blanchiment. Ce n’est pas le cas de toutes les entreprises numériques, mais ce modèle-là fait réfléchir et mérite d’être régulé.

EA: Dans l’industrie, les profils sont très différents: nécessité de chercheurs, d’ingénieurs, d’ouvriers, que l’on ne trouve pas dans le numérique.

D. Simonnet : Oui, les profils sont différents, mais ce sont surtout les contextes de travail qui le sont. Un bon opérateur de fabrication en chimie a au moins cinq ans d’expérience, un bon ingénieur en R&D dix à quinze ans, et donc travailler dans l’industrie, c’est avant tout retrouver la valeur du temps long. Mais c’est aussi évoluer dans un secteur en déclin. Il y avait 4,5 millions de salariés dans l’industrie lorsque j’ai intégré l’ESSEC, il y en a aujourd’hui trois. C’est le défi de l’industriel que d’enrayer ce déclin. L’industrie en Europe, c’est aussi depuis plus de dix ans une concurrence accrue née de l’émergence de la Chine et de l’Inde.

EA: La pression à l’innovation vient de ce fait-là ou des innovations technologiques?

D. Simonnet : Des deux. Il faut être en permanence à la frontière de l’innovation si on veut échapper à cette concurrence sur les coûts qui s’apparente à une guerre économique. Mais l’innovation est aussi inhérente à l’ADN de l’entreprise et de ses collaborateurs, à celui de ses fournisseurs ou de ses clients. S’agissant d’Axyntis, notre identité de sous-traitant industriel avec des marchés principalement européens évolue vers un modèle de partenariat stratégique capable d’apporter des supports techniques et technologiques à nos clients les plus exigeants, tout en ciblant des marchés où la R&D demeure intense comme aux états-Unis ou au Japon.

EA: Comme dans l’industrie automobile? Ce sont des évolutions analogues?

D. Simonnet : Oui, l’évolution de l’industrie automobile est une source de réflexion comme celle de l’industrie aéronautique où les sous-traitants ont intégré une part croissante de valeur ajoutée grâce à des liens plus coopératifs avec leurs principaux donneurs d’ordre. Mais la comparaison s’arrête là, car l’industrie chimique vise des marchés applicatifs et a un portefeuille de clients beaucoup plus large et diversifié. La chimie fine d’Axyntis s’adresse à la pharmacie, à la santé animale, à l’agrochimie, mais également à l’électronique ou encore à la cosmétique.

 

Image - David Simonnet 6 © Arnaud Calais.jpg

 

EA : Dans le Que sais-je ? Les 100 mots de l’entreprise que vous venez d’écrire, vous estimez que les entrepreneurs doivent faire face à une prise de conscience. De quoi s’agit-il?

D. Simonnet  : Ce « Que sais-je ? » est le fruit de mon expérience et de ma réflexion, réflexion nourrie sur vingt ans à travers la publication d’articles de presse et l’enseignement en classes préparatoires et à l’université. J’y partage la conviction que le périmètre des responsabilités des entreprises s’est accru. Il dépasse les limites traditionnelles de l’entreprise. Le défi des managers, c’est de prendre conscience de cette évolution, car l’entreprise est définitivement un espace politique.

EA: Participer au débat public, c’est revenir à un modèle plus responsable?

D. Simonnet : Oui. En raison de son rôle politique croissant, l’entreprise doit demeurer maîtrisable et compréhensible par les citoyens. Faire preuve de pédagogie sur l’entreprise, c’est l’un des rôles que les managers doivent assumer. Est-ce que cette exigence est nouvelle ? Non ! Au sein d’Axyntis, deux usines, celles de Saint-Marcel et de Grasse, sont nées au xixe siècle, à un moment où, face à une faible mobilisation de la puissance publique sur le terrain social, le patronat chrétien a développé des politiques sociales en matière de logement ou d’allocations familiales. Lors de la création du groupe par rachat d’usines, j’ai été confronté sur certaines d’entre elles à l’usage du terme « patron ». Il ne faut pas en refuser le sens historique : au xixe siècle, le patron est celui qui dirige mais aussi celui qui protège, on y rattache une fonction sociale mais aussi certaines valeurs morales dont il est censé être le garant. à ces enjeux s’ajoutent désormais ceux de la sécurité et de l’environnement. Par exemple, Axyntis a des usines qui sont soumises à des plans de prévention des risques technologiques obligatoires suite à l’accident AZF auquel j’ai été confronté, la SNPE étant voisine de ce site.

EA: Est-ce que c’est propre à l’industrie plus particulièrement?

D. Simonnet : C’est particulièrement vrai pour les industriels car les externalités, négatives ou positives, qu’ils peuvent provoquer sur leurs environnements économiques et sociaux sont potentiellement élevées. Prenons la question de la dynamique des territoires. Là où le chômage s’est accru, c’est essentiellement à cause de la désindustrialisation. Les industries qui perdurent et se sont renouvelées par l’innovation sont donc un facteur de résistance. Par rapport à d’autres activités, l’industrie, ce sont aussi des salaires relativement élevés. Nous développons depuis la crise de 2009 nos activités et l’emploi à Calais et à Montluçon, deux de nos localisations, où le taux moyen de chômage est respectivement de 15 et 13 %.

EA: Finalement, vous dites que le patron doit être présent et doit participer au dialogue social?

D. Simonnet : Tout à fait  ! C’est une de ses priorités. Présence au sens physique d’abord : elle est décisive pour les parties prenantes dans la mesure où elle favorise la prise de décision. Si les syndicats de salariés sont particulièrement en demande de ces échanges directs, leur faible représentativité exige d’envisager d’autres canaux de dialogue social, avec ou via l’encadrement, ou bien encore directement avec les collaborateurs d’une unité exposés à un enjeu social majeur comme une cession ou une reprise… Pour faire vivre ces canaux, il faut que le dirigeant renonce parfois à la quête d’objectivité à laquelle il a souvent été formé. Rendre des comptes en face à face implique d’accepter une part de subjectivité, une dimension humaine qui peuvent prendre un caractère passionnel.

EA: Cette prise de conscience, c’est une tendance de fond ou elle vous est personnelle?

D. Simonnet : C’est une tendance de fond à en juger par l’obligation faite aux entreprises de communiquer des informations sur un cercle toujours plus large de questions sociétales et environnementales. Mais si elle n’est pas incarnée, l’exercice des responsabilités demeure vain. D’ailleurs, la lecture de l’ouvrage de Jean Tirole, économie du bien commun, également publié aux PUF en 2016, est éclairante sur la fiction de l’homo oeconomicus rationnel.

EA: Vous vous sentez entreprise familiale?

D. Simonnet : Oui, si entreprise familiale veut dire vision à long terme. En revanche, la question du patrimoine et de sa transmission m’intéresse moins que celle du chemin parcouru pour faire aboutir un objectif professionnel. Mon point de départ, c’est l’ESSEC où j’ai bénéficié d’une bourse. Ça ne fait pas partie de mes objectifs de commencer à me demander si mon fils ou ma fille peut reprendre le flambeau dans vingt ans. Dans l’immédiat, je me demande plutôt quels sont parmi mes collaborateurs ceux qui partagent mon ambition pour Axyntis et font preuve de qualités entrepreneuriales.

EA: Vous pensez que la prise de parole publique est importante?

D. Simonnet : Elle me paraît nécessaire puisque je suis convaincu de la dimension politique de l’entreprise. Mais ce n’est pas suffisant ! Il ne faut pas laisser la réflexion sur l’entreprise et son enseignement aux seuls enseignants et chercheurs, pas plus qu’il ne faut laisser les représentants du patronat monopoliser cette parole pour continuer à la nourrir de réflexes poujadistes sur la fiscalité ou le poids de la réglementation. La difficulté réside toutefois dans la cohérence de la prise de parole de l’entrepreneur et de son projet d’entreprise.

EA: Il faut s’effacer face à l’entreprise, finalement.

D. Simonnet : Oui, le projet domine ! C’est simple, il est ce qui fait réfléchir puis agir, puis réfléchir… Sous cet angle, je suis toujours inquiet de la pauvreté de l’approche de l’entreprise, y compris des étudiants qui s’y destinent. Ils sont pour la plupart à la recherche du projet rémunérateur sur le court terme, la start-up que l’on revend en quelques années à quelques millions d’euros…

EA: C’était le modèle il y a quelques années, ça.

D. Simonnet : Oui, je l’évoquais dans un article publié dans Les échos en 2000 sous le titre « La nouvelle querelle des anciens et des modernes », mais ça fait encore des dégâts. Entreprendre, ce n’est pas la quête de la martingale dans le numérique, c’est surtout une vision et de l’opiniâtreté, comme me le rappelait récemment un de mes anciens associés. Pour entreprendre, l’industrie demeure un modèle intéressant car sa valeur sociétale en termes d’emplois, d’innovation, d’aménagement du territoire, de dialogue social, d’échanges culturels, est élevée ! Le projet d’entreprise, c’est bâtir une communauté d’intérêt durable même si le chemin est parfois violent : la recherche d’un équilibre entre la volonté d’avancer et de s’exposer et le besoin de stabilité et de protection. Si l’on ne parvient pas à cet équilibre, cela crée du stress voire des traumatismes auprès des salariés.

EA: Qui affectent l’ensemble…

D. Simonnet : Oui, mais là encore les dangers de la tyrannie du court terme et de la modernité sur le collectif ne sont pas nouveaux. Je me souviens d'avoir assisté à l’émergence du concept de création de valeur présenté alors comme une révolution ! C’était le fameux saint Graal du TRI à 15 % où finalement le résultat n’est pas envisagé comme la conséquence d’une bonne gestion, mais comme une prophétie auto-réalisatrice. Je pense évidemment le contraire  : on développe un projet dont on doit mesurer la valeur économique. Si elle est insuffisante pour que le projet perdure, on corrige le tir pour l’augmenter. Mais on peut décider de viser un profit moindre parce que certaines causes de l’entreprise, qui ont un coût, sont justes. La vraie révolution, c’est la pondération des objectifs financiers avec des objectifs philanthropiques qui, sur le long terme, peuvent même créer de la valeur durable. Par exemple, dans ce métier d’industriel de la chimie, j’ai fait le choix de privilégier le CDI pour l’ensemble des collaborateurs.

EA: C’est à contre-courant du débat actuel sur la fin du CDI ?

D. Simonnet : Je suis hostile au CDD et favorable à la taxation des emplois précaires sur le principe du pollueur payeur. Dire qu’on porte un projet et y associer de façon très ponctuelle et très flexible ses propres collaborateurs, c’est antinomique, que vous soyez dans l’industrie ou pas. En revanche, il faut pouvoir résilier des CDI, parce que leur ultra-rigidité peut favoriser des comportements de rentier chez des salariés au détriment des nouvelles générations qui ont peu d’accès ou alors qui sont précaires à l’emploi.

 

Image - David Simonnet 10 © Arnaud Calais.jpg

 

EA: Quelles mesures permettraient de rendre un peu de matière au tissu industriel?

D. Simonnet : Il faudrait enfin appliquer toutes les recommandations du rapport Gallois de 2012 ! Tout y est ! Selon moi, la crise actuelle ne résulte pas d’une difficulté à poser le bon diagnostic, mais d’un manque de courage politique : les pouvoirs publics peinent à passer du constat à l’action. Sous cet angle, l’entreprise est un modèle politique parfois plus agile que nos institutions. L’une des principales mesures serait d’établir des règles de concurrence loyale, notamment sur les enjeux clés que sont le respect de l’environnement ou la qualité des produits pour les consommateurs. Je pense que l’Europe est devenue ultralibérale et que sa politique de la concurrence a accéléré le déclin d’industries pourtant stratégiques pour sa souveraineté.

EA: La sortie du Royaume-Uni va-t-elle changer quelque chose?

D. Simonnet : La dérive libérale c’est le Royaume-Uni, l’Europe à la carte, c’est encore le Royaume-Uni. Ceci dure depuis le « I want my money back » de Thatcher en 1979, six ans après son adhésion… Approfondissons l’Europe avec les fondateurs de l’Europe. Ma première réaction à l’annonce du Brexit a été de dire  : bonne nouvelle, on va pouvoir rebâtir l’axe franco-allemand. Plus prosaïquement, les comparaisons entre la France et l’Allemagne sont utiles pour notre économie. Par exemple, je pense depuis plusieurs années que le Mittelstand allemand, internationalisé et intensif en R&D, était l’exemple à suivre. En France, les ETI ne sont que 5 000, soit deux fois moins qu'en Allemagne. Pourtant plus agiles que les grands groupes, elles ont par rapport aux PME les moyens d’agir à l’international sans renoncer à leur ancrage local.

EA: Vous avez créé une joint-venture avec le groupe Fuji Silysia. Pourquoi un investisseur japonais?

D. Simonnet : Pourquoi le Japon ? Parce que le Japon demeure un des pays les plus industrialisés et innovants, mais, pour des raisons géographiques et démographiques, il a désormais besoin de partenaires étrangers. J’en ai fait une priorité commerciale en 2007 à la création d’Axyntis. Lorsque j’ai envisagé de prendre le contrôle du capital du groupe l’année dernière, j’avais besoin, en complément à mon investissement, d’un partenaire industriel capable de décider rapidement tout en partageant la vision à long terme d’Axyntis et ses valeurs. À l’autre bout du monde, cet industriel japonais, le dirigeant de Fuji Silysia, avec lequel je travaillais depuis quelques années, malgré nos différences générationnelle et culturelle, est venu compléter l’actionnariat sur le socle de cette conviction commune. Et puis, le Japon, pour reprendre le titre d’un livre récent, c’est être moderne sans être occidental.

EA: Vous n’allez pas fusionner à terme avec la société japonaise?

D. Simonnet : Non, on ne fusionne pas  ! Je contrôle depuis l’année dernière 50 % du capital et, via un pacte d’actionnaires, les décisions stratégiques et opérationnelles. En revanche, ils vont dupliquer leurs usines qu’ils ont au Japon dans les usines d’Axyntis dans le domaine des silices où nous ne sommes pas. Leur participation au capital est le moyen pour eux de contrôler le savoir–faire qu’ils vont ainsi transférer.

EA: Pour parler un peu de vous, vous vous êtes impliqué très tôt dans l’enseignement.

D. Simonnet : Après avoir été admis sur concours à l’ESSEC, j’ai enseigné en classes préparatoires pendant plus de dix ans parce que d’anciens professeurs me l’avaient proposé et parce que cela m’a permis au début de financer mes études. Mais je crois surtout que mon premier contact avec l’ESSEC m’avait incité à préserver un peu de mes idéaux par l’enseignement. La nouvelle promo réunie dans l’auditorium voyait défiler des jeunes diplômés dont l’un d’entre eux avait trouvé de nouveaux dieux à idolâtrer dans le temple de la lessive ! Je me suis demandé ce que je faisais là ! Finalement, j’ai connu des moments initiatiques comme ce cours d’éthique de Laurent Bibard, qui comprenait une pièce de théâtre à monter. Ce fut Lysistrata d’Aristophane, où je me suis senti à ma place !

EA: À ce propos, comment les jeunes voient-ils leur vie professionnelle selon vous?

D. Simonnet : Déjà, ils ont du mal à la voir car ils s’y projettent difficilement. On compte actuellement 1,9 million de jeunes de 15 à 29 ans sans emploi, ne suivant ni étude ni formation. La deuxième réalité, c’est que l’intégration dans l’entreprise, quand elle a lieu, se fait sous des formes flexibles. La défiance des jeunes vis-à-vis de l’entreprise est donc forte et croissante. Mais parallèlement, et c’est très paradoxal, il y a une aspiration à entreprendre. En réalité, l’apparition du chômage de masse pour les jeunes a imposé la création d’entreprises comme une façon de pallier un ascenseur social en panne.

EA: Plus de 70 % de votre chiffre d’affaires est fait à l’export. Vous devez donc avoir des profils à l’aise avec ça.

D. Simonnet : Oui, Axyntis s’est développé avec de nouveaux collaborateurs qui avaient déjà l’expérience d’entreprises ou de marchés étrangers. Aujourd’hui, ils parcourent des régions aussi différentes que Nagoya et ses entreprises familiales et traditionnelles, la côte Est des états-Unis avec ses emerging pharma ou la région de Vapi et ses risques environnementaux au nord de Bombay. Ces aptitudes à l’ouverture et au multiculturalisme, je cherche à les renforcer par des cours de géopolitique. Les équipes commerciales ont ainsi eu un cours sur les relations entre le Japon, la Chine et l’Inde.

EA: Ne trouvez-vous pas que la génération qui arrive est très en demande de cela?

D. Simonnet : Les nouvelles générations sont en quête de sens parce que nos repères sont obsolètes et donc difficiles à transmettre. C’est sans doute la raison pour laquelle les cours de géopolitique ont remplacé l’histoire, la géographie, l’économie en classes préparatoires… Les nouvelles générations ont aussi cette volonté farouche d’entreprendre parce qu’il faut réinventer ces repères. C’est aussi le constat de mon épouse qui, agrégée de lettres et diplômée d’HEC, a finalement choisi d’enseigner dans un lycée en zone sensible : c’est aussi une entreprise ! Pour simplifier, ces générations sont moins dans la coagulation, cette noblesse d’état analysée par Bourdieu, que dans l’irrigation.

EA: Comment voyez-vous votre engagement au sein d’Essec Alumni ?

D. Simonnet : Deux choses m’intéressent. D’abord, le mentorat que je pratique déjà avec Pôle Emploi à Paris. Il y a également ce projet de faire d’Essec Alumni un référent dans le débat public sur la place de l’entreprise et les enjeux sociétaux avec des regards croisés d’anciens élèves et d’enseignants de l’ESSEC. Ceci pourrait prendre la forme d’un think tank, dont une conférence annuelle et le suivi d’un indicateur seraient les points cardinaux. J’ai l’expérience du Festival de géopolitique de Grenoble dont je suis un des partenaires fondateurs à l’initiative de Pascal Gauchon, où j’interviens et qui est devenu au fil des ans un rendez-vous important.

EA: Que serait un indicateur ESSEC?

D. Simonnet : L’idée est de trouver un indicateur publié régulièrement avec des commentaires croisés d’un professeur et d’un praticien. Le thème de la vision de l’entreprise par les jeunes me paraît primordial.

EA: Enfin, vous êtes un sportif aguerri. Marathonien, triathlète… C’est important dans les affaires, aussi?

D. Simonnet : Oui, être entrepreneur, c’est physique. Mais surtout, certains contextes exigent de pouvoir répondre physiquement pour instaurer du respect mutuel. Je pense par exemple à la reprise de Calaire chimie en 2013, dont les 200 salariés avaient été livrés à un processus de liquidation judiciaire plutôt brutal. Nous n’avons pu en reprendre que 80, mais j’ai dû répondre également aux 200 sur les comportements de leurs propriétaires précédents, qui ne leur avaient pas rendu de comptes... Cet échange houleux de plusieurs heures, sous la pluie, les pneus qui brûlent à l’arrière-plan, les drapeaux rouges et les chansons libertaires anti-patrons, restera un des souvenirs les plus marquants de ma vie professionnelle. C’est aussi ça, l’industrie. 

 

Article paru dans le n°114 de Reflets ESSEC Magazine. Pour s'abonner, cliquer ici

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