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Des alumni innovent pour l'égalité parentale en entreprise

Interviews

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23/02/2021

En 2019, Patrice Bonfy (E08), Jean Moreau (E07), Arnaud Le Rodallec (E17) et Lucie Soulard (E03) faisaient partie des 390 entrepreneurs qui signaient le Parental Act, réclamant l’allongement du congé paternité. Un an plus tard, une loi était votée dans ce sens. Si ces quatre alumni y voient une réelle avancée, ils expliquent pourquoi et comment aller plus loin. 

Patrice Bonfy éprouve un déclic sur la question du congé paternité à la naissance de son deuxième enfant. « J’ai pris 2 mois, contre seulement 11 jours pour mon premier. L’expérience m’a ouvert les portes d’un nouveau monde : charge mentale, équilibre pro/perso, égalité femmes-hommes dans les foyers et les entreprises… »

Même effet de contraste pour Jean Moreau : « J’ai pu m’arrêter plus longtemps pour le deuxième, et toute la famille en a perçu les bénéfices – nos enfants, ma compagne, et moi-même. En tant que parent comme en tant que dirigeant, j’ai eu le sentiment de retrouver le sens des priorités. Je souhaite à tout le monde de pouvoir vivre ces moments rares, même si tout n’est pas rose durant cette période qui s’apparente à tout sauf à des vacances ! Il est d’ailleurs bon que les pères s’en rendent compte… » 

Une prise de conscience nécessaire, et encore loin d’être généralisée, à en croire un chiffre cité par Patrice Bonfy : « 60 % des pères de la génération Y se considèrent comme impliqués à égalité dans les tâches parentales. Mais 30 % seulement des mères de la même génération confirment. »

De la réflexion à l’action

Face à ce constat, Patrice Bonfy décide de lancer avec un associé Le Paternel, « plateforme visant à identifier – et lever – les freins structurels qui empêchent les hommes de s’impliquer aussi pleinement dans leur paternité qu’ils affirment le souhaiter. » Ses actions incluent la publication d’articles sur la parentalité qui s’adressent à un homme considéré par défaut comme compétent et impliqué « alors que l’énorme majorité des contenus sur le sujet s’adressent encore à la mère, ou au père au second degré » ; l’accompagnement des entreprises dans leurs actions d’inclusion et d’égalité parentale ; et le lancement d’initiatives de plaidoyer pour l’allongement du congé paternité.

Il co-signe ainsi avec Tristan Champion, auteur du blog Barbapapa et du livre La barbe et le biberon (éd. Marabout), une tribune en faveur du congé parental alterné : « Si on laissait les pères 2 mois seuls avec leur bébé ». 

Puis il crée pour le 1er avril Lait Paternel, faux site e-commerce annonçant la mise en vente d’une pilule permettant aux hommes d’allaiter. « Je m’aperçois d’ailleurs que tous les amis qui ont posé avec leur bébé pour la bannière du site sont des ESSEC ! » Objectif : montrer par l’exagération la persistance des stéréotypes dans le partage parental, puis révéler qu’il y avait évidemment un remède plus simple pour favoriser l’égalité parentale. « Les médias Causette et Simone ont relayé l’opération, et nous avons touché plus de 500 000 personnes directement. »

En 2020, tout s’accélère

Pour la Fête des pères, Patrice Bonfy contribue à une tribune incitant les hommes à s’engager pour l’allongement du congé paternité. L’appel, diffusé par le Huffington Post, obtient une forte résonance : « Nous avons collecté de plus de 400 témoignages, dont nous avons ensuite publié la synthèse. »

Surtout, il signe en tant que dirigeant de TPE le Parental Act, aux côtés de 390 entreprises. Le texte réclame un congé deuxième parent d’un mois 100 % rémunéré. On compte de nombreux entrepreneurs ESSEC parmi les signataires : Guillaume Alary-Raisonnier (M08) de 360Learning, Pierre Grateau (E10) d’AssoConnect, Jonathan Livescault (E09) de Braineet, Maxime Forgeot (E10) de F&A Asset Management, Côme Fouques (E12) et Adrien Plat (BBA08) d’Indy, Pierre-Emmanuel Saint-Esprit (E16) de Zack, Caroline Gimenez (E06) et Colomba Flammarion (E06) de J’aime J’aime, Adrien Ledoux (E06) de JobTeaser, Damien Guermonprez (M89) de Lemon Way, Elise Prigent (BBA19) des Fabuleuses, Clara Delétraz (E09) de Switch Collective, Alexis Angot (E08) d’Ynsect, Martial Valéry (E07) d’Oh Bibi, Gaëlle Frizon de Lamotte (M02) d'OLY Be…

Des entreprises pionnières

Nombre des entrepreneurs signataires du Parental Act ont déjà pris des mesures en interne pour mieux accompagner la parentalité. C’est le cas d’Arnaud Le Rodallec dans sa start-up Zoov : « Nous pratiquons une politique d’horaires flexibles, qui permet ainsi aux parents de s’organiser par exemple pour aller déposer ou chercher leurs enfants à l’école et ainsi éviter les situations de déséquilibre au sein du couple. » 

Même approche pour Jean Moreau au sein de Phenix : « Nous interdisons les réunions tard le soir qui empêchent d’aller chercher son enfant à l’école. Nous insistons également pour que tous les salariés désactivent les notifications Slack après 20h et nous proscrivons l’envoi des mails au-delà de ce créneau. Par ailleurs, nous nous assurons que le congé maternité ne soit pas un frein aux promotions et aux augmentations salariales. On le sait, il y a toujours un risque que, pour un homme et une femme du même âge et du même niveau d’expérience, la femme touche un plus petit salaire car le congé maternité a retardé la décision de son employeur de l’augmenter. Chez Phenix, nous suivons ces indicateurs pour éviter ce type de discrimination, et il y a évidemment une égalité salariale parfaite.Nous comptons en outre plus de femmes que d’hommes dans nos rangs, ce qui est rare dans la tech. » 

Jean Moreau revendique ce positionnement : « Prendre de l’avance sur les pouvoirs publics en matière de justice et de liberté constitue pour moi une vraie réjouissance. Nous parlons certes d’un sujet de société qui dépasse le seul cadre de l’entreprise, mais celle-ci n’en a pas moins un rôle important à jouer pour changer les mentalités. »

Pas de problèmes, que des solutions

Toutes les entreprises ne sont pas aussi à l’aise avec le sujet, comme a pu le constater Patrice Bonfy lors de ses interventions en milieu professionnel avec Le Paternel. « Je me suis heurté à deux difficultés. Premièrement, quand une conférence n’est pas obligatoire, seules viennent des personnes déjà convaincues : on passe un moment agréable mais fait-on vraiment avancer la cause ? Deuxièmement, rares sont les salariés qui osent prendre la parole sur un sujet sensible comme la parentalité, ce qui complique la compréhension mutuelle et le dialogue avec les DRH et le CSE. »

D’où l’idée de développer un outil de médiation dédié. « Avec trois associés, nous avons conçu et lancé Remixt, solution d’accompagnement des efforts de diversité et d’inclusion dans les entreprises, basée sur une plateforme digitale combinant sensibilisation et diagnostic. Nous sommes soutenus par BPI et La French Tech, et nous déployons nos parcours dans des grands groupes, comme Natixis et la RATP, et des startups, comme Phenix et WeLink. »

Du terrain aux textes

Pour les signataires du Parental Act, la proposition récente du gouvernement de doubler le congé paternité de 14 à 28 jours, qui a obtenu un large consensus, est une petite victoire. Patrice Bonfy s’est empressé d’appuyer l’initiative : « Juste après l’annonce officielle, Le Paternel a publié en collaboration avec des jeunes avocats de l’ACE-JA une documentation juridique gratuite pour aider les entreprises à appliquer de manière anticipée cet allongement, qui n’entrera en vigueur qu’en juillet 2021. Voire à pousser au-delà de la durée légale ! Le nombre de téléchargements de cette documentation confirme que de nombreuses entreprises se penchent sur la question. »

Car Patrice Bonfy est formel : « On peut bien sûr aller plus loin, jusqu’à l’égalité. » Jean Moreau relève de même : « En 2002, la France était pionnière sur la mise en place du congé paternité. Nous avons ouvert la voie à d’autres pays, notamment scandinaves – qui depuis nous ont rattrapé et dépassé. Bien sûr, on peut s’étonner que dans un moment où l’État s’endette pour la relance économique du pays, il consente à assumer ce type de dépenses. Mais il n’est jamais trop tôt pour progresser en matière d’équité. » 

D’autant que Jean Moreau craint que la nouvelle loi ne suffise pas : « Certains recruteurs risquent encore de favoriser les hommes car leur congé paternité sera toujours moins long que le congé maternité des femmes. Peu importe la durée du congé, il faut que celle-ci soit la même pour le père et pour la mère si on veut lutter efficacement contre les biais de carrière. »

La loi, et après ?

Patrice Bonfy souhaite concentrer ses prochains efforts sur deux défis. « Le premier sera d’encourager l’utilisation effective du nouveau congé paternité, dont 7 jours seulement seront obligatoires. Cela passera par des actions de sensibilisation au niveau national et dans chaque entreprise, pour expliquer les bénéfices de cette mesure aux dirigeants et salariés – qu’ils soient parents ou non. Remixt et Le Paternel proposent une campagne interne sur le sujet. »

Deuxième défi : « Je voudrais que nous allions au bout de la dynamique en réformant aussi le congé parental. Ce dispositif grâce auquel les parents peuvent interrompre leur carrière pendant plus d’un an n’est aujourd’hui presque pas utilisé par les hommes du fait de sa moindre rémunération : moins de 400 euros par mois… On pourrait imaginer un Compte Individuel de Parentalité, sur le modèle du Compte Individuel de Formation, qui serait utilisable de manière plus flexible, par exemple en maintenant les compensations actuelles prévues sur 12 mois, mais en permettant de les grouper sur 3 mois, pour prendre un congé mieux rémunéré en alternance de l’autre parent. »

Arnaud Le Rodallec ouvre une autre piste : « Il me semble qu’une problématique récurrente génératrice d’inégalités est la disponibilité de places en crèche. Sans possibilité de pouvoir faire garder leur enfant facilement dans un établissement de qualité, les parents se retrouvent à devoir s’organiser autrement, au risque de générer des déséquilibres. »

Lucie Soulard, fondatrice de Place2Swap, se veut cependant optimiste. « Je vois à quel point chez nos jeunes collaborateurs cette question de paternité assumée est une évidence. L’un d’entre eux m’a récemment raconté qu’il avait quitté sa précédente entreprise entres autres parce qu’un des fondateurs l’avait regardé avec des yeux de merlan frit quand il avait annoncé vouloir prendre 1 mois de congé pour s’occuper de son enfant, en plus des jours prévus par la loi. Pour moi, l’égalité passera avant tout par ce biais : quand un homme, même – et surtout ! – s’il est dirigeant, pourra dire librement qu’il part à 18h30 pour passer du temps avec ses enfants. Je suis sûre qu’on finira par y arriver ! »


Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni

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Image : © AdobeStock

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