Dominik Winterling (E06) à la tête d'un des orchestres les plus réputés du monde
En 15 ans, Dominik Winterling (E06) a pris des postes de direction dans trois institutions culturelles majeures en Allemagne et aux Pays-Bas. Il raconte comment il s’est fait une place de choix dans ce milieu très convoité – et explique les différences d’un pays à l’autre.
ESSEC Alumni : Vous avez débuté au Heidelberger Frühling. En quoi consiste ce festival ?
Dominik Winterling : Le Heidelberger Frühling existe depuis 1997 et est depuis devenu l’un des festivals les plus importants dans le domaine de la musique classique – non seulement en Allemagne mais aussi en Europe. Le festival met un fort accent sur le Lied, la musique de chambre et la musique contemporaine et travaille en étroite collaboration avec des musiciens de renommé mondiale tels que le bariton Thomas Hampson, le pianiste Igor Levit (qui a aussi officié en tant que co-directeur artistique avec le fondateur du festival Thorsten Schmidt), ou encore le compositeur et chef d’orchestre Matthias Pintscher. Chaque année, le festival reçoit plus de 50 000 visiteurs et organise plus de 100 événements.
EA : Quelles étaient vos missions en tant que directeur du planning artistique de ce festival ?
D. Winterling : J’étais responsable de la programmation des concerts, du développement de nouveaux concepts artistiques et de la gestion du budget.
EA : Vous avez ensuite pris la direction générale de la Stiftung Elbphilharmonie…
D. Winterling : La Stiftung Elbphilharmonie a été créée en 2005 dans le but de collecter des dons pour la Elbphilharmonie, nouvel emblème de la ville de Hamburg avec sa fameuse salle de concert inaugurée début 2017. La Stiftung est un organisme à but non lucratif qui a commencé par contribuer au financement du bâtiment et qui aujourd’hui soutient des projets d’éducation musicale pour enfants et familles.
EA : Que recouvraient vos responsabilités ?
D. Winterling : Je coordonnais toutes les activités visant a attirer de nouveaux donateurs et à prendre soin des donateurs existants. En même temps, je gérais l’équipe de sponsoring de la société d’exploitation qui s’occupait des partenariats corporate avec des grandes entreprises tels que SAP, Deutsche Telekom ou la banque privée suisse Julius Baer.
EA : Quel est le modèle financier de la Stiftung Elbphilharmonie ?
D. Winterling : La Stiftung dispose d’un capital fixe dont le rendement peut être dépensé pour le financement d’activités artistiques ou sociales. En même temps, elle collecte des dons pour des projets artistiques ou dans le domaine de l’éducation musicale organisés par la Elbphilharmonie. Outre la Stiftung, la ville de Hambourg soutient également ces activités par des subventions annuelles. On peut donc parler d'un véritable partenariat public-privé qui, à ma connaissance, est unique en Allemagne sous cette forme, même si par ailleurs les modèles de financement mixte deviennent de plus en plus courants.
EA : Vous êtes aujourd’hui directeur général du Koninklijk Concertgebouworkest. Pouvez-vous nous présenter cette institution ?
D. Winterling : Le Koninklijk Concertgebouworkest (également connu sous le nom de Royal Concertgebouw Orchestra) a été fondé en 1888 et compte parmi les meilleurs orchestres du monde. Installé au Concertgebouw d'Amsterdam, l'une des salles de concert les plus prestigieuses sur la scène internationale, il compte actuellement plus de 120 musiciens issus de 25 pays différents. En plus de 130 ans d'existence, l'orchestre n'a eu que 7 chefs d'orchestre, dont certains parmi les plus célèbres de leur époque comme Bernard Haitink, Riccardo Chailly ou Mariss Jansons. En juin 2022, le Finlandais Klaus Mäkelä, âgé de 26 ans et actuel directeur musical de l'Orchestre de Paris, a été nommé huitième chef d'orchestre principal de l'orchestre. Il prendra ses fonctions en 2027 et sera associé à l'orchestre en tant que partenaire artistique jusqu'à cette date.
EA : Concrètement, comment s’organise votre collaboration avec la directrice artistique du Koninklijk Concertgebouworkest ?
D. Winterling : La directrice artistique définit la stratégie artistique en étroite collaboration avec moi et élabore ensuite les programmes et concepts artistiques. Pour ma part, je me concentre surtout sur la communication et la représentation de l'orchestre à l'extérieur, avec un fort accent sur nos partenaires et donateurs. La gestion stratégique de la marque occupe également une place très importante.
EA : Le Koninklijk Concertgebouworkest est en outre lié à la salle Concertgebouw. Comment s’articulent ces deux entités ?
D. Winterling : Depuis 1952, la salle et l'orchestre sont séparés sur le plan organisationnel en raison de modèles de financement différents. Mais l'orchestre reste le plus grand locataire du Concertgebouw, avec un contrat-cadre qui lui confère des droits préférentiels pour organiser ses répétitions et ses concerts dans la grande salle.
EA : Quel est le modèle budgétaire du Koninklijk Concertgebouworkest ?
D. Winterling : Nous recevons environ 50 % de notre budget sous la forme de subventions versées par l’État et la ville d’Amsterdam – ce qui est plutôt bas par rapport aux pratiques du secteur, particulièrement pour un orchestre d’une telle renommée. Nous générons ensuite 25 % de nos revenus par la vente de billets pour nos concerts à Amsterdam, 10-15 % par les recettes de nos tournées à l’international et 10-15 % par la collecte de fonds. À ma connaissance, il s’agit là encore d’un modèle de financement unique, du moins aux Pays-Bas.
EA : Vous êtes arrivé en poste en pleine crise du COVID. Comment cette crise a-t-elle impacté le Koninklijk Concertgebouworkest ?
D. Winterling : La crise nous a frappés de plein fouet, comme l'ensemble du secteur culturel, puisque nous avons dû suspendre nos activités principales avec public pendant plusieurs mois. Heureusement, comme toutes les institutions subventionnées par l'État, nous avons reçu des aides spécifiques de la part du ministère néerlandais de la Culture, ce qui nous a permis de maintenir nos effectifs au sein de l'orchestre et de l'équipe. Nous en avons profité pour produire une offre digitale riche et variée avec des enregistrements de concerts du plus haut niveau pour notre public dans le monde entier. Nous n’en sommes pas moins très soulagés de pouvoir désormais retrouver notre fidèle public.
EA : Quelles principales différences avez-vous constaté dans le cadre de vos activités entre le secteur culturel des Pays-Bas et celui de l’Allemagne ?
D. Winterling : En Allemagne, la culture est l'affaire des Länder, alors qu'aux Pays-Bas, il existe une politique culturelle à l'échelle nationale. Par ailleurs je constate régulièrement que l'appréciation de la culture et de la musique classique en particulier n'est pas aussi forte aux Pays-Bas qu’en Allemagne, comme si ce pays n’avait pas pleinement conscience de la richesse de son propre héritage culturel. Il s’agit peut-être là du plus grand défi que nous ayons à relever en tant qu'institution culturelle d’envergure nationale.
EA : Plus largement, quels sont les liens culturels entre l’Allemagne et les Pays-Bas, notamment dans la musique ? Le fait que vous veniez d’Allemagne a-t-il joué dans votre recrutement ?
D. Winterling : Les Pays-Bas et l'Allemagne entretiennent traditionnellement des relations très étroites dans tous les domaines. De surcroît, les Pays-Bas et surtout Amsterdam constituent un environnement très international, tant sur le plan économique que culturel. La nomination d'un Allemand à la tête d’un institution culturelle locale n'a donc rien de spécial – ce n'est que le résultat d'un long processus de recherche international.
EA : Quels sont vos projets pour le Koninklijk Concertgebouworkest dans les années à venir ?
D. Winterling : Nous allons bien sûr continuer à jouer des concerts au plus haut niveau et dans les salles les plus prestigieuses dans le monde entier – dont la Philharmonie de Paris. Notre futur chef d’orchestre principal Klaus Mäkelä va jouer un rôle important dans la programmation, ainsi que d’autre partenaires artistiques issus de différents genres, que nous souhaitons inviter pour des projets uniques. Autre projet : le développement de nos programmes pour jeunes talents, notamment notre académie pour « young professionals » et notre orchestre « junior » Concertgebouworkest Young pour jeunes musiciens de toute l’Europe âgés de 14 à 17 ans.
EA : Dès vos débuts, vous vous êtes hissé à un haut niveau de responsabilité dans un secteur qu’on pourrait croire difficile d’accès. Comment avez-vous assis votre légitimité ?
D. Winterling : Je pense que j’ai décroché ces postes grâce à ma double formation de manager et de musicien. En parallèle de mes études de gestion d’entreprise à l'université de Mannheim, j'ai également étudié le piano au conservatoire de Mannheim, ce qui m'a permis non seulement d'étudier le répertoire, mais aussi de comprendre la perspective artistique, en particulier celle d'un musicien. Ce type de profil est difficile à trouver. Mes expériences internationales, comme mon double diplôme ESSEC-Mannheim, m’ont en outre été très utiles.
EA : Peut-on évoluer dans ce milieu sans être un spécialiste de la musique ?
D. Winterling : Il faut tout de même savoir de quoi on parle. Sinon, on n'est pas pris au sérieux par les musiciens. C’est une des grandes problématiques de notre secteur.
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
Vous avez aimé cet article ? Pour que nous puissions continuer à vous proposer des contenus sur les ESSEC et leurs actualités, adhérez à ESSEC Alumni !
Commentaires0
Vous n'avez pas les droits pour lire ou ajouter un commentaire.
Articles suggérés