Etienne Picand (E21), poète du transhumanisme : « J’appelle les derniers hommes que nous sommes à se révolter »
Etienne Picand (E21) vient de publier La Révolte des derniers hommes, recueil de poèmes d’anticipation grâce auquel il espère éveiller les consciences face aux risques du transhumanisme. Interview éclairante… et effrayante.
ESSEC Alumni : Quel est le sujet de votre recueil ?
Etienne Picand : Il s’agit de poèmes d’anticipation sur le transhumanisme, détaillant les origines de ce mouvement ainsi que ses acteurs actuels pour anticiper les crises qui pourraient advenir dans les trois prochaines décennies. Selon moi, ces crises, parce qu’elles toucheront l’homme dans son intimité la plus forte, vont complètement bouleverser la donne géopolitique et l’ordre des priorités, reléguant les enjeux climatiques ou sociaux au second plan. Mettre une puce dans un cerveau par exemple, pour stimuler l’activité neuronale ou transférer des connaissances sans apprentissage, c’est en effet prendre le risque d’être hacké et d’être contrôlé à distance, dans ses pensées comme dans ses mouvements, par un homme ou une machine potentiellement malveillante. Pensons à l’usage que ferait la dictature chinoise de tels outils – à l’heure où elle les développe – ou des milliardaires américains. La propagande et la police n’auront plus aucune raison d’être si les esprits peuvent être gouvernés à distance par l’État. Plus de gilets jaunes, plus de contestataires, seulement des citoyens parfaits et contents de leur sort.
On observe partout une montée des inégalités et des dérives autoritaires au profit de l’ambition hégémonique d’une poignée d’individus qui pour certains se rêvent déjà en cyborgs immortels. Je refuse ce monde, et par ce livre, j’appelle les derniers hommes que nous sommes à prendre leur destin en main et à se révolter.
EA : Croyez-vous vraiment à l'avènement du transhumanisme ?
E. Picand : Lorsque 39 % des Chinois sont favorables à la modification embryonnaire, lorsque le cofondateur de Google, Sergey Brin, reproche à Elon Musk de vouloir l’empêcher d’être immortel sous prétexte que ce dernier demande aux autorités fédérales de réguler l’intelligence artificielle, ou encore lorsque vous avez un dictateur à vie, Xi Jinping, qui prévoit de faire de la Chine la première puissance neurotechnologique en capacité de créer des surhommes en masse d’ici 2049, il ne s’agit plus de croire ou de ne pas croire. Le constat est que le transhumanisme se renforce en Californie et en Chine, légitimé par les avancées techniques, et que l’Union Européenne est complètement dépassée, parce qu’elle n’a aucune unité. Y a-t-il un GAFA ou un BATX européen ? Une stratégie technologique sur le long terme ? Rien. Nous avons dix années de retard. C’est désormais la Chine, devant les États-Unis, qui dépose le plus de brevets par an dans le domaine des nouvelles technologies, tandis que Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, avoue ne même pas posséder de smartphone.
EA : Ces perspectives vous inquiètent-elles ?
E. Picand : Ce n’est pas le transhumanisme en tant que tel qui m’effraie, car il n’est pas déraisonnable de vouloir lutter contre la mort. C’est d’ailleurs pour cela que les religions sont aussi populaires – retirez la promesse du paradis, et demain les églises et les mosquées se vident ! Ce qui m’effraie, c’est l’affrontement entre un transhumanisme libertarien en Californie et un transhumanisme étatique en Chine, qui pousse l’une et l’autre dans une course à l’armement d’un nouveau genre, où il s’agit d’être la première à se doter d’hommes-OGM invincibles et extrêmement intelligents.
EA : Comment sortir de cette logique délétère ?
E. Picand : Ces transhumanismes doivent, sous notre pression, être stoppés, pour nous laisser le temps de réguler les avancées et voir celles que nous autorisons, ou non. Le monopole du pouvoir politique et économique doit rester aux mains des hommes, et la liberté de pensée sacralisée. Pour cela, l’Europe doit être à la pointe de l’espionnage, de la cyberattaque et des techniques d’augmentation, afin de faire entendre sa voix à l’aune d’un rapport de forces favorable. Cependant, à terme, on ne pourra pas empêcher un homme de vouloir être immortel, surtout s’il est prouvé que Dieu n’existe pas. Seulement, son immortalité ne devra pas être accompagnée de toute-puissance, qui elle relève d’un caprice dangereux.
EA : Pourquoi avoir choisi la poésie, qui plus est la forme résolument classique des alexandrins, pour aborder le sujet du transhumanisme, radicalement contemporain ?
E. Picand : Peut-être, à l’heure où nous, hommes mortels et irrationnels, sommes concurrencés par de froides techniques d’augmentation, fallait-il renouer avec cette passion et cette ambivalence qui font notre charme…
EA : Comptez-vous écrire d’autres livres aussi engagés ?
E. Picand : J’aspire à être utile, car on ne trouve ni paix ni bonheur si le monde bascule dans des dérives irréversibles. Si j’ai autre chose à dire, je continuerai à écrire, peu importe le sujet ou la forme, mais seulement si l’action d’écrire un livre a plus d’impact à mes yeux que ce que je pourrai faire à mon niveau de responsabilités.
EA : Vous êtes encore étudiant. Imaginez-vous consacrer votre carrière à l’écriture ?
E. Picand : Je n’en ai aucune idée. Avec le développement des réseaux sociaux, il devient de plus en plus fastidieux de se concentrer sur de longues périodes, ce qui explique en partie la baisse de la lecture en France. Cependant, il y aura toujours l’envie d’être poète, soit par l’écriture, soit par la manière d’appréhender l’existence.
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
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